Kenta, histoire d’une pommade bretonne marocanisée

C’est une pharmacienne bretonne qui a créé la formule de cette pommade pour bébé dans les années 1930 et la fabriquait sur commande.
Son héritier l’introduit au Maroc au début de la décennie 1970 et industrialise sa production via les laboratoires Maphar.
Deux millions de boîtes sont vendues chaque année au Maroc, son unique marché à l’heure actuelle.


Qui ne connaît la pommade Kenta ? Si le produit est presque trentenaire au Maroc, il est devenu, à la faveur du développement de la société de consommation, un achat nécessaire pour presque tous les parents soucieux du bien-être de leur bébé. De fait, servant à prévenir les irritations dues aux couches, cette crème est présente dans la majorité des foyers marocains.

Sachant que la marque Kenta n’est produite et vendue que sur le marché marocain, on pourrait facilement en déduire qu’elle est le fruit d’une invention locale. Il n’en est rien. Le produit fut en fait créé par Louise Kermaïdic, dans les années 1930. Pharmacienne en Bretagne, elle la préparait alors elle-même en broyant les composants au mortier. Elle la vendait sous l’appellation de Crème n°1, d’abord aux clients de sa pharmacie. Le succès ne s’est pas fait attendre. La réputation du produit se propagea de proche en proche et la préparation, conditionnée en tube dans les années 1950, était commercialisée à près d’un millier d’unités à travers la France à cette époque.

Vendu au départ en pharmacie, le produit est maintenant disponible dans tout le commerce
Dans les années 1970, le fils de Mme Kermaïdic, François Teunteun, reprit la relève. Pharmacien en poste au Maroc, il décida de passer à la phase industrielle, persuadé de la valeur et du succès de la pommade. La fabrication sera confiée aux laboratoires Maphar en 1973. La crème n°1 change de nom pour devenir Kenta, qui signifie premier en breton. La référence est claire : c’est la première crème que l’on applique au bébé.

Distribuée dans un premier temps dans les pharmacies de Casablanca, la crème sera ensuite disponible dans toutes les officines du Maroc qui en comptait alors 400. A ce jour, la marque est toujours la propriété de M. Teunteun qui, bien qu’à la retraite, continue à en superviser la gestion. Le marketing, la distribution et la communication se font à travers son entreprise Stagma, fondée au début des années 1970.

Au début des années 1980, Kenta gagne du terrain et s’adjuge les deux tiers de son marché. Elle était portée par l’enthousiasme des pharmaciens qui la recommandaient systématiquement, le bouche-à-oreille faisant le reste. L’anecdote suivante est révélatrice de la notoriété de la pommade : un professeur de médecine qui s’enquiert auprès de son aide ménagère de la pommade appliquée sur les fesses de son enfant se voit répondre avec aplomb : «C’est Kenta a sidi».

Cet engouement poussera Stagma à investir dans la communication, qui fonctionnait essentiellement par le bouche-à-oreille et les re commandations. C’est alors que sont lancées des campagnes de communication à la télévision et la radio. Le sponsoring et le financement d’œuvres caritatives sont aussi inclus dans le planning. Des aides sont consenties à des fondations, notamment celles vouées aux enfants. Une façon de remercier les mamans marocaines.

Jusqu’à la fin des années 1990, Kenta continue à être distribuée presque exclusivement dans les officines, qui sont aujourd’hui au nombre de 8 000.
Le problème est que ce réseau est quasiment limité aux zones urbaines, et le fait d’être vendu en pharmacie n’en fait pas un médicament, tout comme les crèmes hypoallergéniques. Pour élargir son champ d’action jusque dans le rural, Stagma s’ouvre donc aux grossistes en produits cosmétiques, ceux du Derb Omar en particulier, et autres grands et petits distributeurs. La diffusion du produit emprunte alors le réseau des produits de grande consommation. Kenta accède ainsi à la fois aux enseignes modernes et au gigantesque réseau des épiceries. On peut s’en procurer dans 30 000 points de vente à travers tout le pays. Ses ventes annuelles atteignent désormais les 2 millions de tubes de 30, 60 et 90 grammes.

Le consommateur lui a trouvé d’autres usages
Il est vrai que le produit a montré son efficacité quand il s’agit de soulager bébés et nourrissons incommodés par les irritations et les rougeurs. Il est clair que le propriétaire de la marque et le fabricant n’ont pas ménagé leurs efforts pour la mettre en avant. Mais le succès de la pommade tient aussi au fait que les consommateurs lui ont trouvé des utilisations que ne pouvait soupçonner sa créatrice. Aujourd’hui, elle est utilisée comme déodorant, les sportifs s’en servent pour le massage et certains pour masquer un petit bouton sur le visage, quand elle ne fait pas office de filtre solaire ou d’antiseptique pour les brûlures.

Pourtant, la marque n’a jamais été déclinée sous d’autres formes, étant entendu que, selon M. Teunteun, «être la meilleure contre les rougeurs ne signifie pas nécessairement l’être pour d’autres applications». Mais quand le consommateur y trouve son compte, rien ne l’arrête.

La rançon de la gloire est que Kenta a suscité les appétits de contrefacteurs en tout genre. Ainsi, en 2002, un «pirate» espagnol a été débouté par la justice. Cela n’a pas empêché un autre imitateur asiatique d’investir le marché, mais il subira très probablement le même sort, à cause de la forte notoriété de Kenta qui, bien qu’étant un produit d’abord artisanal et d’origine française, a gagné ses lettres de noblesse au Maroc, son seul marché à l’heure actuelle.

Source : La vie éco - Kenta, histoire d'une pommade bretonne marocanisée
 
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