Nombreux sont ceux qui n’ont jamais entendu parler de "lqaida Tamou", et parmi ceux qui ont déjà eu vent de son existence, un grand nombre pense qu’il s’agit d’une dame en chair et en os qui exerce les fonctions de caïd… Et même si cela avait été le cas, celle que nous avons connue, nous, que nous avons pratiquée, n’est pas tout à fait de la même veine. Celle-ci, la nôtre, arrivait en nos quartiers tous les soirs et distillait la peur et la terreur, comme la fameuse Aïcha Qandisha.
Tout au long de ces longues soirées pluvieuses des hivers de notre enfance, nous entendions venir notre "7aida Tamou"avec son bruit qui en tous lieux d’un quart d’heure la précédait, et nous nous préparions au pire, ou au moins à la recevoir.. Puis, quand elle était là, un seul choix s’imposait alors : Foncer aux abris, comme des héros raisonnables ou, à l’inverse, fanfaronner et aller tenter de guerroyer contre L7aida , sur un terrain qui était le nôtre et que nous connaissions parfaitement.
Ensuite, le temps aidant, nous avions appris à dominer notre peur de L7aida avant de transformer cette peur en moyen de divertissement… jusqu’à ce que, les années passant, cette fameuse <9ayda< ne devenne un morceau de notre passé… sans doute, du moins.
Qui était "l7aida Tamou" ?Elle n’était pas une femme. Elle n’était pas un homme non plus…
"L7aida" était en fait un véhicule collectif, dont les côtés étaient barrés de deux traits, un vert et un rouge, et frappés d’une inscription en deux mots, « sûreté nationale ». Les enfants que nous étions préféraient alors lire « frayeur nationale », car nous ne parvenions pas à comprendre et à admettre que ce véhicule tournait dans les quartiers à la recherche de citoyens parfaitement innocents pour les embarquer dans ces « rafles », puis les jeter dans des culs-de-basse-fosse, sans autre raison que la volonté de les y enfermer.
Notre quartier à nous était juché sur un tertre, qui conférait une hauteur stratégiquement importante car elle permettait un avantage face aux intrusions de le véhicule était une Citroën de type fourgon, dans un sale état et dégageant un bruit évoquant assez nettement celui d’un char de la Grande Guerre avançant avec une sage lenteur sur le terrain. C’est pour cela qu’avec ce véhicule, nous jouions aux petits singes qui se moquaient des crocs d’un lion vieilli. Le plus souvent, le « makhzen » éprouvait de réelles difficultés à nous pourchasser dans nos quartiers généralement plongés dans l’obscurité. Le jeu, notre jeu, nous l’avions appelé «le makhzen traque son peuple », et c’était véritablement un jeu… qui, parfois, se terminait mal pour certains d’entre nous qui se faisaient choper et qui allaient ensuite passer une nuit, ou plus, dans les cachots des commissariats.
En ces temps-là, nous ne comprenions pas grand-chose en politique, mais nos parents et aînés, qui s’y entendaient un peu plus, nous disaient qu’il y avait des agents de police corrompus qui payaient eux-mêmes le fuel dont ils remplissaient les entrailles de" L7aida Tamou" .avant d’y embarquer et d’aller traquer le chaland, les clients… le butin, quoi. Le Maroc connaissait alors sa première expérience de privatisation.
Mais la « rafle » était également une politique de l’Etat, car pour que l’Etat reste serein, il fallait que le peuple ait peur. Il n’y a aucun intérêt à avoir un Etat dont le peuple ne craint pas sa « sûreté nationale », et c’est pour cela que les « rafles » raflaient tout le monde dans tous les coins et recoins du pays, qu’elles allaient jeter dans des cachots dans tous les centres de police et autres commissariats du pays. C’était comme si l’Etat prenait ombrage de son propre peuple… Le plus étrange, ou le plus drôle, ou le plus triste, est qu’à chaque fois que nous échappions aux rafles et que nous écoutions une radio, nous entendions imperturbablement parler de « démocratie hassanienne », une expression qui sonnait plutôt comme « si jamais vous tombez entre nos mains…"… Et quand nous entendions Hassan II commencer traditionnellement ses discours par « cher peuple », nous ne pouvions nous empêcher de penser, en nos fors intérieurs "ah ouais ..,et qui nous envoie donc Lqaida Tamou chaque soir dans nos quartiers "
Les rafles ne s’effectuaient pas toujours dans des gros fourgons Citroën, mais aussi dans des Renault fourgonnettes qui, elles aussi, émettaient un bruit déchirant de froissement de tôles et un cliquetis absolument poignant d’engrenages martyrisés. Et nos oreilles exercées entendaient tout cela à des kilomètres à la ronde, pendant que nos cœurs battaient la chamade de joie et d’effroi, l’effroi de tomber entre les mains de la maréchaussée et la joie d’avoir à déjouer les poursuites de policiers venus nous arrêter pour des raisons qu’eux seuls connaissaient.
Et puis il y a autre chose… Les opérations de rafle étaient effectuées, pour une très grande partie, par des véhicules français, ce qui nous avait permis d’apprendre précocement le sens du mot indépendance : La France, qui avait quitté le Maroc en apparence et qui nous avait rendu notre liberté en façade, avait en réalité envoyé ses voitures à ses serviteurs afin qu’ils achèvent le travail qu’elle n’avait pu, elle, terminer.
Aujourd’hui, il semblerait que les gens aient oublié cette histoire glorieuse des rafles, bien que celles-ci ressemblaient à la tanjia de Marrakech, au tapis de Rabat et au burnous du nord, une véritable production marocaine, un label Maroc 100%. Les jeunes générations qui n’ont jamais entendu parler de la rafle ne doivent pas pousser trop loin leurs pensées ; c’était . Le mot « monte » a cette époque-là ne signifiait rien d‘autre que « monte dans le fourgon »
Al Massae
Tout au long de ces longues soirées pluvieuses des hivers de notre enfance, nous entendions venir notre "7aida Tamou"avec son bruit qui en tous lieux d’un quart d’heure la précédait, et nous nous préparions au pire, ou au moins à la recevoir.. Puis, quand elle était là, un seul choix s’imposait alors : Foncer aux abris, comme des héros raisonnables ou, à l’inverse, fanfaronner et aller tenter de guerroyer contre L7aida , sur un terrain qui était le nôtre et que nous connaissions parfaitement.
Ensuite, le temps aidant, nous avions appris à dominer notre peur de L7aida avant de transformer cette peur en moyen de divertissement… jusqu’à ce que, les années passant, cette fameuse <9ayda< ne devenne un morceau de notre passé… sans doute, du moins.
Qui était "l7aida Tamou" ?Elle n’était pas une femme. Elle n’était pas un homme non plus…
"L7aida" était en fait un véhicule collectif, dont les côtés étaient barrés de deux traits, un vert et un rouge, et frappés d’une inscription en deux mots, « sûreté nationale ». Les enfants que nous étions préféraient alors lire « frayeur nationale », car nous ne parvenions pas à comprendre et à admettre que ce véhicule tournait dans les quartiers à la recherche de citoyens parfaitement innocents pour les embarquer dans ces « rafles », puis les jeter dans des culs-de-basse-fosse, sans autre raison que la volonté de les y enfermer.
Notre quartier à nous était juché sur un tertre, qui conférait une hauteur stratégiquement importante car elle permettait un avantage face aux intrusions de le véhicule était une Citroën de type fourgon, dans un sale état et dégageant un bruit évoquant assez nettement celui d’un char de la Grande Guerre avançant avec une sage lenteur sur le terrain. C’est pour cela qu’avec ce véhicule, nous jouions aux petits singes qui se moquaient des crocs d’un lion vieilli. Le plus souvent, le « makhzen » éprouvait de réelles difficultés à nous pourchasser dans nos quartiers généralement plongés dans l’obscurité. Le jeu, notre jeu, nous l’avions appelé «le makhzen traque son peuple », et c’était véritablement un jeu… qui, parfois, se terminait mal pour certains d’entre nous qui se faisaient choper et qui allaient ensuite passer une nuit, ou plus, dans les cachots des commissariats.
En ces temps-là, nous ne comprenions pas grand-chose en politique, mais nos parents et aînés, qui s’y entendaient un peu plus, nous disaient qu’il y avait des agents de police corrompus qui payaient eux-mêmes le fuel dont ils remplissaient les entrailles de" L7aida Tamou" .avant d’y embarquer et d’aller traquer le chaland, les clients… le butin, quoi. Le Maroc connaissait alors sa première expérience de privatisation.
Mais la « rafle » était également une politique de l’Etat, car pour que l’Etat reste serein, il fallait que le peuple ait peur. Il n’y a aucun intérêt à avoir un Etat dont le peuple ne craint pas sa « sûreté nationale », et c’est pour cela que les « rafles » raflaient tout le monde dans tous les coins et recoins du pays, qu’elles allaient jeter dans des cachots dans tous les centres de police et autres commissariats du pays. C’était comme si l’Etat prenait ombrage de son propre peuple… Le plus étrange, ou le plus drôle, ou le plus triste, est qu’à chaque fois que nous échappions aux rafles et que nous écoutions une radio, nous entendions imperturbablement parler de « démocratie hassanienne », une expression qui sonnait plutôt comme « si jamais vous tombez entre nos mains…"… Et quand nous entendions Hassan II commencer traditionnellement ses discours par « cher peuple », nous ne pouvions nous empêcher de penser, en nos fors intérieurs "ah ouais ..,et qui nous envoie donc Lqaida Tamou chaque soir dans nos quartiers "
Les rafles ne s’effectuaient pas toujours dans des gros fourgons Citroën, mais aussi dans des Renault fourgonnettes qui, elles aussi, émettaient un bruit déchirant de froissement de tôles et un cliquetis absolument poignant d’engrenages martyrisés. Et nos oreilles exercées entendaient tout cela à des kilomètres à la ronde, pendant que nos cœurs battaient la chamade de joie et d’effroi, l’effroi de tomber entre les mains de la maréchaussée et la joie d’avoir à déjouer les poursuites de policiers venus nous arrêter pour des raisons qu’eux seuls connaissaient.
Et puis il y a autre chose… Les opérations de rafle étaient effectuées, pour une très grande partie, par des véhicules français, ce qui nous avait permis d’apprendre précocement le sens du mot indépendance : La France, qui avait quitté le Maroc en apparence et qui nous avait rendu notre liberté en façade, avait en réalité envoyé ses voitures à ses serviteurs afin qu’ils achèvent le travail qu’elle n’avait pu, elle, terminer.
Aujourd’hui, il semblerait que les gens aient oublié cette histoire glorieuse des rafles, bien que celles-ci ressemblaient à la tanjia de Marrakech, au tapis de Rabat et au burnous du nord, une véritable production marocaine, un label Maroc 100%. Les jeunes générations qui n’ont jamais entendu parler de la rafle ne doivent pas pousser trop loin leurs pensées ; c’était . Le mot « monte » a cette époque-là ne signifiait rien d‘autre que « monte dans le fourgon »
Al Massae