La Belgique exposée aux violences extrémistes ?

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PLD (Peace, Love and Diversity)
La Belgique exposée aux violences extrémistes ?
Jean-Claude Matgen

Mis en ligne le 27/05/2010

Damien Vandermeersch évoque un risque qui n’épargne pas notre pays.

Les professeurs Henri Bosly et Damien Vandermeersch ont cosigné chez Bruylant un ouvrage qui explique comment les juridictions pénales nationales et internationale gèrent la matière complexe des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et du génocide.

La dernière partie de ce brillant exercice montre comment un discours extrémiste et totalitaire peut, singulièrement en période de crise, mobiliser une communauté jusqu’à l’amener à commettre des atrocités que ses membres semblaient, avant d’être happés par ce discours de haine et d’exclusion, parfaitement incapables de perpétrer.

Ce qui rend ce livre d’une brûlante actualité, c’est que les mécanismes qu’il décrit et qui concernent des crimes commis en ex-Yougoslavie, au Rwanda et ailleurs dans le monde pourraient, si l’on n’y prend garde, se reproduire dans des Etats traversés par des querelles communautaires. Et l’on pense immanquablement à la Belgique et à ses déchirements institutionnels.

Damien Vandermeersch, le processus de déclenchement des tragédies internationales que vous décrivez pourrait-il se produire en Belgique ?

Il ne s’agit pas de verser dans le catastrophisme, ni de faire inutilement peur aux gens. Mais en écrivant ce livre avec Henri Bosly, j’ai, en tout état de cause, été frappé par la similitude des scénarios rencontrés, par le caractère quasiment identique des logiques mises en œuvre.

Quelles sont ces logiques ?

Il existe toujours, à l’origine des crimes de droit international humanitaire, un contexte particulier de crise et de tensions, un cadre de référence gravement perturbé. S’installe alors une logique de l’extrémisme qui exclut les modérés, qualifiés de tièdes, de traîtres ou de vendus à l’ennemi, et qui rend particulièrement difficile un comportement qui irait à contre-courant.

Le langage utilisé est simpliste et tranché. Les extrémistes usent de slogans comme "la guerre du bien contre le mal", "celui qui n’est pas pour nous est contre nous", qui font du modéré un ennemi potentiel.

Le pas suivant, c’est la logique du "c’est moi ou c’est lui". Il n’y a plus de place pour l’autre. C’est au nom du principe de légitime défense qu’on en arrive parfois à commettre l’indicible.

Le discours extrémiste surfe sur l’angoisse et la peur qui nous habitent tous face à la différence. L’autre est perçu comme quelqu’un susceptible de mettre en péril nos acquis sociaux, notre santé économique, notre sécurité, nos vies. L’extrémisme se nourrit de sentiments apparemment légitimes, tels que le sentiment d’identité nationale, le besoin d’ordre et de sécurité, la discipline, l’auto-défense économique, la lutte contre des groupements présentés comme constituant une menace pour l’autre groupe.

En découvrant cela, je n’ai pu m’empêcher de penser que ces réflexes, fort répandus dans le monde, on les voit également à l’œuvre chez nous entre les deux communautés. Cela fait réfléchir et un peu froid dans le dos.

Nous n’en sommes quand même pas à nous entre-tuer…

Non bien sûr, et je le répète, mon message n’est pas catastrophiste. Mais il faut prendre garde à ce que la situation ne dégénère pas. Car le discours extrémiste est également dangereux en ce qu’il nourrit l’idéal d’un monde simple, sans différence mais parce que plus aucune différence n’est tolérée; d’un univers enfin en paix mais parce que l’ennemi a été éradiqué, en ce compris ses générations futures; d’une vie paisible mais parce qu’un ordre nouveau a été installé.
 
Ce type de discours, on l’entend parfois et il trouve un certain écho au sein de la population. Au bout d’une telle logique, l’histoire nous apprend que les leaders extrémistes d’une communauté en viennent en tout cas à proposer à leurs membres l’éradication définitive de l’autre communauté, solution "finale" présentée comme la seule voie envisageable pour assurer la survie du groupe. Cette spirale-là peut se déclencher plus vite qu’on le croit.

Existe-t-il des contre-exemples de cette spirale, des situations qui auraient pu dégénérer et qui ne l’ont pas fait ?

Heureusement, oui. Voyez ce qui s’est passé en Afrique du Sud par exemple. Le régime de l’apartheid était un régime extrémiste qui a fait peser une contrainte terrible sur une large partie de la population. Toutes les conditions étaient réunies pour que la marmite explose et que l’on aille au drame. Il ne s’est pas produit, parce que les modérés, les courageux l’ont emporté.

Il n’est pas facile d’être modéré quand monte la tension, pas facile d’être courageux quand s’exacerbent les passions, mais c’est possible.

Ce qu’il faut donc, c’est régler les différends et les différences par le dialogue et par le droit. Il faut se reparler, ne pas s’enfoncer dans une stratégie du pourrissement qui peut déboucher sur de véritables tragédies humaines car sans dialogue, le danger est que la violence devienne le seul mode d’expression des gens.

Il semble qu’en Belgique, les générations nouvelles soient de plus en plus enfermées dans une logique identitaire et peu enclines au dialogue intercommunautaire…

Je ne crois pas. Avec la mondialisation, elles me paraissent aussi sinon davantage ouvertes aux autres que les anciennes et elles n’ont certainement pas moins de courage.

Ce qui est vrai, c’est que francophones et flamands se connaissent moins bien et que cette méconnaissance peut être source de peurs et donc de rejet mutuel. Il faut donc rétablir et multiplier les lieux de dialogue, les passerelles.

Vous dites qu’il faut régler les différends par le droit. Mais en Belgique, il semble faire l’objet d’interprétations différentes, selon que l’on juge d’un côté ou de l’autre de la frontière linguistique…

Quand le droit n’est pas respecté ou qu’il est interprété de façon contraire, il ne peut jouer son rôle et n’est pas un instrument de pacification. Il faut donc qu’un Etat se dote d’instances qui disent le droit au singulier.

C’est pourquoi, à titre personnel, je suis favorable à la création en Belgique, à l’image de ce qui existe dans d’autres Etats fédéraux, d’une Cour suprême qui pourrait intégrer la Cour constitutionnelle, la Cour de cassation et le Conseil d’Etat.
 
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