La famille Kashua
mis en ligne le dimanche 16 novembre 2008
par Sayed Kashua
Ne jamais croire que ce que Sayed Kashua écrit est la réalité, ou ce quil pense, mais ne pas bouder son plaisir
http://www.haaretz.com/hasen/spages...
Haaretz, 15 novembre 2008
Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
Les personnages
Sayed (33 ans), sa femme (33), la fille (8) et le fils (3).
Le lieu
Immeuble de 7 étages, 28 appartements. Il y a un ascenseur, mais ils ne sen servent pas. Sayed : "Parfois, il est bloqué". Sa femme : "En fait, il est claustrophobe". La porte principale est ornée dun dessin floral portant linscription "Maison des Kashtan" [1]. Sayed : "Cest le nom de famille dorigine". Sa femme : "Il vit dans le déni." Sayed : "Le peuple palestinien nexiste pas."
Lhistorique immobilier
La femme vient dun village détruit en 1947. Les habitants ont été expulsés ; les membres de sa famille se sont dispersés, beaucoup sont arrivés à Tira, en tant que réfugiés, dautres ont trouvé refuge en Cisjordanie, en Jordanie et au Danemark. Auparavant, la famille avait des terres fertiles, des orangeraies, des champs de blé et du bétail. Rien ne leur est resté après lexpulsion. La femme : "Nous avons tout perdu à cause du sionisme."
Le sionisme
Sayed : "Je ne crois pas à toutes ces histoires sur son village. Ils nont pas été expulsés, ils se sont enfuis. Et dailleurs, qui na pas accepté le Plan de partition (de lONU, en 1947, ndt), hein ? Ils oublient de demander ça. Et vraiment, je nai pas envie, là tout de suite, dentrer dans 2 000 ans dhistoire. Ce nest pas un sujet dont je veux parler devant les gosses au salon."
Le salon
Deux canapés en skaï. En été, on se brûle les fesses dessus, en hiver on se les gèle ("on regrette de les avoir achetés"). Une table rectangulaire et un buffet assortis, dID Design. Sayed : "Voleurs et fils de voleurs." Sa femme : "La même qualité que chez IKEA en deux fois plus cher, tout ça parce que Sayed est incapable dutiliser un tournevis."
Lutilisation du tournevis
Dans la chambre à coucher. Une fois par mois en moyenne. Sa femme : "Ces derniers temps, pas tant que ça." Sayed : "A cause de la situation financière."
La situation financière
Excellente.
Biographie de Sayed (par lui-même)
Son grand-père est né à Pereyaslav (Ukraine). Son père, socialiste et membre dun mouvement de jeunesse à Odessa, a fait son alya dans les années 20. Il est lun des fondateurs de Kfar Tira. En 1943, sa mère, née à Cracovie, a fait son alya après un bref séjour à Chypre. "Une histoire très dure". Son père, militant comme son grand-père, accueillait les "maapilim" (immigrants juifs illégaux, avant et après la 2e Guerre mondiale) et a emmené sa future femme à Tira.
Tira
Lidéalisme est mort. Ce nest plus comme au temps de son enfance.
Enfance
OK, en gros. Même si ce na pas été toujours facile pour un garçon à moitié polonais de grandir à Tira ("Jai eu du mal à survivre").
Survie
Lalcool.
Biographie de sa femme
Comme tout le monde à lépoque, elle aussi est née à Tira. Ecole élémentaire de Tira, Collège de Tira, Lycée de Tira. Puis trois ans pour une licence, et deux pour une maîtrise. Et puis encore au moins trois ans pour un autre diplôme.
Etudes de Sayed
Comme sa femme sauf quaprès le lycée, il a fait son service au Nahal. Ah oui, il ny a pas eu de diplôme ("à luniversité, jétais très occupé"). Sa femme : "Il a passé son temps à dormir."
La rencontre
Sayed revenait des dortoirs (de lUniversité) du Mt Scopus, ivre. "En fait, je men souviens très bien. Je suis rentré vers 8h, complètement beurré." Sa femme était en route pour son premier cours. Elle avait de longs cheveux qui flottaient au vent, et un sac en simili-cuir enroulé à son épaule. Sayed est immédiatement tombé amoureux. Elle, en revanche, na pas fait particulièrement attention à lui, mais elle la remarqué quand il sest évanoui devant lentrée des dortoirs. Selon sa femme, il avait une réputation de bon à rien tout le temps saoul. Personne ne lui prêtait attention. Elle et ses amis méprisaient les étudiants comme lui. Mais tout a changé quand il a commencé à lui envoyer des lettres.
Les lettres
Sa femme : "Je me sentais vraiment désolée pour lui. Tous les jours, je recevais trois ou quatre lettres, qui contenaient une seule phrase : Si tu ne sors pas avec moi, je me suicide." Sayed : "Et puis jai commencé à lui envoyer des lettres damour, en fait plutôt des petites nouvelles. A lépoque, je lisais les nouvelles de Bukowski, Keret et Calvino, et elle - comment dire sans passer pour un vantard ? - elle na pas pu résister devant tant de talent. Elle est tombée amoureuse instantanément. Je peux la comprendre."
Les lettres (suite)
Sa femme : "Je ne voulais pas sortir avec lui. Je me disais : quil se suicide, un cas pathologique, cest tout ce dont jai besoin. Alors, il a commencé à répandre des rumeurs sur moi à luniversité. A un moment, il a menacé daller voir mes parents, qui sont très traditionalistes. Javais peur quà cause de ce dingue, ils mempêchent de continuer mes études, et les études, cétait pour moi le plus important. Il est venu voir mes parents avec son père et ses tantes. Il leur a dit quon sortait ensemble, quon saimait, et que lui, en tant que personne religieuse, ne pouvait pas continuer dans la voie du péché et quil devait se marier. Mes parents ont eu peur pour leur réputation et ils mont forcée à lépouser."
Sayed : "Tout ce que je voulais, cétait quelquun qui écoute mes histoires, qui lise ce que jécrivais, et elle, ça lui a tourné la tête. En fait, elle est devenue complètement accro. Pour lui faire la surprise, je suis allé avec mon père et mes tantes voir ses parents pour leur demander sa main. Ils ont tout de suite été daccord. Je leur ai donné à lire une nouvelle, assez osée, où un étudiant en rut profite dune jeune fille. A la fin, sa réputation est sauvée le jour du mariage."
mis en ligne le dimanche 16 novembre 2008
par Sayed Kashua
Ne jamais croire que ce que Sayed Kashua écrit est la réalité, ou ce quil pense, mais ne pas bouder son plaisir
http://www.haaretz.com/hasen/spages...
Haaretz, 15 novembre 2008
Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
Les personnages
Sayed (33 ans), sa femme (33), la fille (8) et le fils (3).
Le lieu
Immeuble de 7 étages, 28 appartements. Il y a un ascenseur, mais ils ne sen servent pas. Sayed : "Parfois, il est bloqué". Sa femme : "En fait, il est claustrophobe". La porte principale est ornée dun dessin floral portant linscription "Maison des Kashtan" [1]. Sayed : "Cest le nom de famille dorigine". Sa femme : "Il vit dans le déni." Sayed : "Le peuple palestinien nexiste pas."
Lhistorique immobilier
La femme vient dun village détruit en 1947. Les habitants ont été expulsés ; les membres de sa famille se sont dispersés, beaucoup sont arrivés à Tira, en tant que réfugiés, dautres ont trouvé refuge en Cisjordanie, en Jordanie et au Danemark. Auparavant, la famille avait des terres fertiles, des orangeraies, des champs de blé et du bétail. Rien ne leur est resté après lexpulsion. La femme : "Nous avons tout perdu à cause du sionisme."
Le sionisme
Sayed : "Je ne crois pas à toutes ces histoires sur son village. Ils nont pas été expulsés, ils se sont enfuis. Et dailleurs, qui na pas accepté le Plan de partition (de lONU, en 1947, ndt), hein ? Ils oublient de demander ça. Et vraiment, je nai pas envie, là tout de suite, dentrer dans 2 000 ans dhistoire. Ce nest pas un sujet dont je veux parler devant les gosses au salon."
Le salon
Deux canapés en skaï. En été, on se brûle les fesses dessus, en hiver on se les gèle ("on regrette de les avoir achetés"). Une table rectangulaire et un buffet assortis, dID Design. Sayed : "Voleurs et fils de voleurs." Sa femme : "La même qualité que chez IKEA en deux fois plus cher, tout ça parce que Sayed est incapable dutiliser un tournevis."
Lutilisation du tournevis
Dans la chambre à coucher. Une fois par mois en moyenne. Sa femme : "Ces derniers temps, pas tant que ça." Sayed : "A cause de la situation financière."
La situation financière
Excellente.
Biographie de Sayed (par lui-même)
Son grand-père est né à Pereyaslav (Ukraine). Son père, socialiste et membre dun mouvement de jeunesse à Odessa, a fait son alya dans les années 20. Il est lun des fondateurs de Kfar Tira. En 1943, sa mère, née à Cracovie, a fait son alya après un bref séjour à Chypre. "Une histoire très dure". Son père, militant comme son grand-père, accueillait les "maapilim" (immigrants juifs illégaux, avant et après la 2e Guerre mondiale) et a emmené sa future femme à Tira.
Tira
Lidéalisme est mort. Ce nest plus comme au temps de son enfance.
Enfance
OK, en gros. Même si ce na pas été toujours facile pour un garçon à moitié polonais de grandir à Tira ("Jai eu du mal à survivre").
Survie
Lalcool.
Biographie de sa femme
Comme tout le monde à lépoque, elle aussi est née à Tira. Ecole élémentaire de Tira, Collège de Tira, Lycée de Tira. Puis trois ans pour une licence, et deux pour une maîtrise. Et puis encore au moins trois ans pour un autre diplôme.
Etudes de Sayed
Comme sa femme sauf quaprès le lycée, il a fait son service au Nahal. Ah oui, il ny a pas eu de diplôme ("à luniversité, jétais très occupé"). Sa femme : "Il a passé son temps à dormir."
La rencontre
Sayed revenait des dortoirs (de lUniversité) du Mt Scopus, ivre. "En fait, je men souviens très bien. Je suis rentré vers 8h, complètement beurré." Sa femme était en route pour son premier cours. Elle avait de longs cheveux qui flottaient au vent, et un sac en simili-cuir enroulé à son épaule. Sayed est immédiatement tombé amoureux. Elle, en revanche, na pas fait particulièrement attention à lui, mais elle la remarqué quand il sest évanoui devant lentrée des dortoirs. Selon sa femme, il avait une réputation de bon à rien tout le temps saoul. Personne ne lui prêtait attention. Elle et ses amis méprisaient les étudiants comme lui. Mais tout a changé quand il a commencé à lui envoyer des lettres.
Les lettres
Sa femme : "Je me sentais vraiment désolée pour lui. Tous les jours, je recevais trois ou quatre lettres, qui contenaient une seule phrase : Si tu ne sors pas avec moi, je me suicide." Sayed : "Et puis jai commencé à lui envoyer des lettres damour, en fait plutôt des petites nouvelles. A lépoque, je lisais les nouvelles de Bukowski, Keret et Calvino, et elle - comment dire sans passer pour un vantard ? - elle na pas pu résister devant tant de talent. Elle est tombée amoureuse instantanément. Je peux la comprendre."
Les lettres (suite)
Sa femme : "Je ne voulais pas sortir avec lui. Je me disais : quil se suicide, un cas pathologique, cest tout ce dont jai besoin. Alors, il a commencé à répandre des rumeurs sur moi à luniversité. A un moment, il a menacé daller voir mes parents, qui sont très traditionalistes. Javais peur quà cause de ce dingue, ils mempêchent de continuer mes études, et les études, cétait pour moi le plus important. Il est venu voir mes parents avec son père et ses tantes. Il leur a dit quon sortait ensemble, quon saimait, et que lui, en tant que personne religieuse, ne pouvait pas continuer dans la voie du péché et quil devait se marier. Mes parents ont eu peur pour leur réputation et ils mont forcée à lépouser."
Sayed : "Tout ce que je voulais, cétait quelquun qui écoute mes histoires, qui lise ce que jécrivais, et elle, ça lui a tourné la tête. En fait, elle est devenue complètement accro. Pour lui faire la surprise, je suis allé avec mon père et mes tantes voir ses parents pour leur demander sa main. Ils ont tout de suite été daccord. Je leur ai donné à lire une nouvelle, assez osée, où un étudiant en rut profite dune jeune fille. A la fin, sa réputation est sauvée le jour du mariage."