La fin des scrupules

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Par Ahmed R. Benchemsi
La fin des scrupules
Ahmed R. Benchemsi
(ALEX DUPEYRON)


Cela fait 17 mois maintenant que le colonel-major Kaddour Terhzaz, 73 ans, croupit en prison à l’issue d’une parodie de procès. Séances à huis clos, refus par les juges d’auditionner les témoins, à charge comme à décharge… Dans une lettre adressée à Mohammed VI en 2008, Terhzaz défendait les prisonniers marocains libérés par le Polisario, abandonnés à leur triste sort après leur retour au pays. A l’appui de son plaidoyer, l’ancien numéro 2 de l’armée de l’air pointait l’équipement insuffisant des aviateurs qui s’étaient fait abattre par l’ennemi - un secret de polichinelle, maintes fois éventé par de nombreux militaires revenus de Tindouf après 25 ans de détention. Dans ces conditions, l’accusation de
“violation du secret militaire” qui a valu à Kaddour Terhzaz 12 ans de prison (!) est vide de contenu comme de sens, et cache de toute évidence un obscur règlement de comptes interne à l’armée. Cela fait 5 mois que la famille du colonel (dont la chance est de bénéficier aussi de la nationalité française) mène une vaste campagne médiatico-diplomatique en sa faveur, en Europe surtout. Non seulement rien n’a bougé, mais ses conditions de détention ont été durcies.
Autre affaire, autre déni de justice : les 6 hommes politiques présumés complices du présumé terroriste Abdelkader Belliraj. Dans ce dossier, il y a nettement plus de zones d’ombre que de certitudes. En première instance, des peines de 2 à 25 ans de prison avaient été prononcées contre les 6 hommes, sur l’unique base de PV d’interrogatoires accusateurs, manifestement signés sous la torture – une accusation grave, sur laquelle la justice n’a pourtant pas daigné enquêter. Plus tragique encore : la Cour d’appel a accusé les inculpés d’avoir été mêlés, en 1994, au braquage d’une banque… Un dossier déjà jugé de manière définitive, par la Cour suprême, sans qu’aucun des “6” n’y apparaisse. Et quand les avocats ont demandé la jonction des dossiers, le Cour a refusé - tout comme elle a refusé d’auditionner des témoins, et d’examiner les documents saisis aux domiciles des accusés, même s’ils sont présentés comme des preuves à charge. Résultat : les avocats se sont retirés du procès, et les prisonniers sont en grève de la faim depuis le 22 mars.
Autre cas moins dramatique (quoique), celui des supposés prosélytes chrétiens étrangers expulsés du Maroc il y a quelques semaines. Le prosélytisme est illégal ? Soit. Qu’on juge les prévenus, alors ! Là-dessus, le porte-parole du gouvernement, Khalid Naciri, a fait au Monde cette déclaration incroyable : “La procédure juridique a été écartée car nous voulions que cela se fasse de la façon la plus “soft” possible : un procès aurait immanquablement débouché sur des emprisonnements”. Une présomption de culpabilité éhontée (“immanquable emprisonnement”) et un franc aveu de déni de droit (“la procédure juridique a été écartée”)… ça fait beaucoup pour une seule phrase.
Le point commun de ces trois affaires ? Elles sont lourdement médiatisées, au Maroc et surtout à l’étranger (l’affaire Belliraj, pour rappel, a des ramifications en Belgique). Que l’Etat se soucie comme d’une guigne des accusations de déni de justice brandies par la presse nationale… on avait fini par s’y résigner. Mais qu’il reste sourd aux protestations venues de chez nos partenaires et “associés” occidentaux, sur des dossiers qui les concernent... voilà qui est nouveau, et inquiétant. Cela confirme en fait une tendance qui date de 2009 : même la nécessité de préserver “l’image du Maroc à l’étranger”, ultime garde-fou des dérives de l’Etat, ne fonctionne plus. Peu importent les rapports d’ONGs internationales à la probité indiscutable, peu importe l’embarras des chancelleries, peu importe l’inquiétude des investisseurs étrangers face à la quasi-officialisation de l’Etat de non-droit au Maroc… La frange la plus rétrograde de nos décideurs n’a désormais plus aucune contrainte, aucune limite, aucun scrupule. C’est une dérive dangereuse, et il est peut-être déjà trop tard pour s’en inquiéter.

http://www.telquel-online.com/419/edito_419.shtml
 
Lettre des enfants du colonel Terhzaz
“Bon anniversaire, papa !”
Dimanche 11 Avril, Kaddour Terhzaz aura 73 ans. Il “fêtera” son anniversaire tout seul, dans sa cellule d’isolement, dans des conditions excessivement difficiles. Combien de temps devra-t-il payer pour un crime qu’il n’a pas commis ? Pourquoi, de plus, chercher à détruire sa réputation ? Essayer de le priver de sa liberté et de sa famille ne suffisait donc pas ? Nous, ses 4 enfants, ne permettrons jamais que quelqu'un ternisse son image. En effet, son honneur n’a jamais failli. Tous ceux qui le connaissent savent à quel point c’est un homme profondément humain, droit et juste. Son franc-parler, son intégrité et son courage l’ont conduit là où il se trouve.
Aujourd’hui, Kaddour Terhzaz témoigne : “Je me trouve diabolisé par une condamnation qui jette le doute sur mon intégrité. Une descente aux enfers voulue, un acharnement impitoyable. Qu’ai-je fait à mon pays et à mon roi pour mériter un tel châtiment ? Ma carrière a toujours servi ces deux idéaux. Les moments passés ici ne sont guère faciles, mais mon courage est alimenté par mon innocence et l’espoir de voir bientôt finir cette incroyable situation”.
Kaddour Terhzaz est un infatigable coureur de fond. Il a couru dans les traverses de la vie, couru pour accomplir son idéal et nous tous, désormais, courons à ses côtés en brandissant l’étendard de la liberté. Nous, ses 4 enfants qu’il chérit tant, lui disons avec ferveur : “Bon anniversaire, papa ! Nous sommes persuadés que nous vivrons des jours meilleurs ; tu vas sortir au plus vite de cette situation inacceptable. Il te faut rester fort et courageux, comme tu l’as toujours été. Tu nous disais souvent qu’il fallait ‘élever le débat’. C’est ce principe, qui a toujours prévalu chez toi, auquel nous rendons hommage aujourd’hui. Tu aimes tant ton pays ! Regarde tous ces messages de soutien venant de tous horizons. Ils sont la preuve de ton innocence. C’est pour ça qu’il faut tenir, papa. Pour toi, pour nous, ta famille et tes amis qui t’aimons et qui prions pour que ce cauchemar cesse enfin”. Sonia, Selim, Mehdi et Karim Terhzaz.

http://www.telquel-online.com/419/courrier_419.shtml
 
Kelaat Mgouna. L’enfer des roses

Avec les chemins de ronde, inutile
de penser à s'évader du bagne.
(Z.D. / TELQUEL)


La ville des roses a aussi été, pour près de 300 disparus, celle d’une torture qui n’en finit pas. Retour sur un bagne peu connu, aux gardiens impitoyables et aux conditions dignes d’un camp de concentration.


Ce n’est pas la première fois que Mohamed Nadrani revient dans l’enceinte du fortin qui surplombe la ville de Kelaat Mgouna, à 90 km à l’est de Ouarzazate. Déjà en 2002, il a visité cette bâtisse où il a passé ses quatre dernières années de disparition forcée (1980-1984).
http://www.telquel-online.com/419/couverture_419.shtml
 
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