Un bon sujet qui permet de se poser des questions quant à une étape essentielle du combat amazigh.
Voici un ancien article qui parle des étapes de cette standardisation.
Avec la création de l’IRCAM dont la mission fondamentale est de « permettre l’introduction de l’amazighe dans le système éducatif et assurer à l’amazighe son rayonnement dans l’espace social, culturel et médiatique, national, régional et local ». (article 2 du Dahir portant création), et avec l’introduction de l’amazighe dans le système éducatif à partir de septembre 2003, la question de la standardisation de la langue amazighe s’impose et acquiert toute sa légitimité.
Enseigner une langue implique nécessairement une graphie codifiée, un lexique et une grammaire standardisés et des outils didactiques, entre autres. Le besoin d’une langue standard ou unifiée est on ne peut plus urgent ; ce qui aura l’avantage de faciliter son acceptabilité sociale et partant son extension.
Toutefois, la question qui mérite d’être posée est comment unifier la langue amazighe qui, dans l’état actuel, est attestée sous forme de trois grandes variétés dialectales au Maroc : tachelhit, tamazight et tarifit ? Faut-il unifier à tout prix et dans l’immédiat, au risque de construire « un monstre linguistique », une langue étrangère aux locuteurs et dont l’acceptabilité sociale n’est aucunement garantie, ou adopter une approche plutôt progressive, plus longue certes, mais dont le résultat est sûr ? 2. Comment unifier ? L’histoire de l’évolution des langues naturelles nous enseigne que des langues appartenant à de mêmes familles linguistiques, qui étaient sous forme de dialectes, avaient été unifiées, puis différenciées, puis réunifiées de nouveau, selon des facteurs favorisant l’une ou l’autre étape, lesquels sont d’ordre politique, religieux, économique, civilisationnel,... L’histoire des langues européennes offre trois cas de figure fort intéressants, représentés par le français, l’anglais et l’allemand, qui correspondent à trois options d’unification : a) le français : le français standard actuel est l’évolution du parler choisi d’une région, en l’occurrence Paris, où siégeaient, au Moyen âge, les notables de la nation et l’élite intellectuelle, et qui était le lieu d’une université puissante qui a eu une grande influence à cette époque.
b) L’anglais : son histoire est sensiblement différente de celle du français dans la mesure où, tout en étant le parler de Londres, il est caractérisé par des traits de plusieurs dialectes, car Londres était au carrefour de différents dialectes, d’où un certain brassage.
c) L’allemand : à l’époque de son unification au Moyen âge, il n’y avait pas de centre comparable à Paris ou à Londres et par conséquent, aucun parler n’était candidat à s’imposer naturellement. C’est donc dans les pays colonisés par l’Allemagne qu’avait pris naissance un allemand littéraire (dans les milieux de la bourgeoisie) proclamé langue littéraire par la Réforme.
Parallèlement à cette langue littéraire se trouvait l’allemand commun, langue écrite, mais auquel correspond une variation de la prononciation selon les régions. Le plus intéressant est que, contrairement au français, les différences de prononciation sont perçues comme naturelles et témoignent de l’appartenance régionale.
Qu’en est-il de la langue amazighe ? Peut-on lui appliquer une des trois options ? La réponse ne peut être que négative car elles correspondent à des réalités géopolitiques et sociales différentes. L’amazighe présente une situation spécifique : il n’a y a pas de dialecte ou de parler qui pourrait être considéré comme celui d’une élite, donc candidat à être choisi comme la base de la langue unifiée. Le cas de l’allemand commun est intéressant car il donne l’exemple d’une langue unifiée au niveau de l’écrit mais avec maintien des spécificités qui relèvent de la prononciation.
Pour ce qui est des choix et de l’approche adoptés par le Centre de l’Aménagement Linguistique relevant de l’IRCAM, ils peuvent être résumés ainsi :
- la standardisation de l’amazighe est parmi ses missions essentielles ; en témoigne l’appellation même du centre ;
- la standardisation de l’amazighe est une opération réalisable ; car l’unité de l’amazighe est une évidence et elle a été soulignée dès les premiers travaux sur l’amazighe (cf. A. Basset, entre autres auteurs). Elle est saisissable à tous les niveaux de la grammaire : la phonologie, la morphologie, la syntaxe, le lexique et la sémantique ;
- la standardisation immédiate et à la hâte de l’amazighe est hasardeuse et peut porter préjudice à la langue elle-même. En effet, étant donné le choix de l’IRCAM, qui s’inscrit dans une perspective démocratique, de standardiser à partir des trois variétés dialectales de l’amazighe en usage au Maroc, l’approche ne peut être que progressive. C’est une approche raisonnable, scientifique et objective qui prend en considération la difficulté que représente la variation à tous les niveaux de la langue. Celle-ci est en effet une réalité, un phénomène naturel qui caractérise toutes les langues, notamment celles qui sont dites à tradition orale, une richesse qui nécessité néanmoins d’être gérée.
- il est prioritaire de standardiser l’écrit et de laisser la liberté de prononciation dans une première étape. D’ailleurs, même les langues qui ont été standardisées depuis des siècles connaissent de grands écarts entre l’écrit et les réalisations phonétiques correspondantes. Le cas du français et de l’arabe standard est édifiant à cet égard. Le même énoncé est réalisé différemment selon que le locuteur est par exemple un marocain, un irakien ou un égyptien.
- la standardisation de l’amazighe est à construite dans le temps avec l’adoption d’une stratégie à court, à moyen et à long terme. Le court terme est déjà réalisé : il s’agit de la codification de la graphie tifinaghe, de la délimitation des phonèmes de l’amazighe standard et de la définition des règles d’orthographe.
Le moyen terme est la réalisation d’un dictionnaire de l’amazighe fondamental et d’une grammaire, actions en cours de réalisation.
A long terme, et c’est l’objectif à atteindre, une langue totalement standardisée avec un dictionnaire de langue en amazighe et une grammaire de référence en amazighe.
C’est donc une standardisation progressive ; car l’aménagement d’une langue se fait sur plusieurs années sinon sur plusieurs décennies. L’aménagement des langues européennes, donné comme exemple ci-dessus, a demandé des siècles, mêmes pour les langues dont l’unification est partie d’un parler, comme c’est le cas du français.
* Centre de l’Aménagement Linguistique. (IRCAM)
Fatima BOUKHRIS*