"La violence urbaine liée à la fracture sociale"

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La violence urbaine liée à la fracture sociale
Jean-Claude Matgen

Mis en ligne le 08/05/2010

Bruxelles n’est pas Chicago-sur-Senne, affirme le sociologue Andrea Rea. Lequel pointe toutefois divers déficits expliquant tensions et violences.
Entretien
Andrea Rea est professeur de sociologie à l’université libre de Bruxelles.

Monsieur Rea, des faits divers graves ont eu Bruxelles pour théâtre ces dernières semaines. Ils ont entraîné de nombreuses réactions et prises de position. Doit-on, comme certains le prétendent, en conclure que Bruxelles serait devenue “Chicago-sur-Senne” ?

De nombreuses données statistiques, émanant notamment de l’Institut belge de criminologie et de criminalistique, donnent plutôt l’impression qu’on assiste ces derniers temps à une stagnation voire même à une baisse de la criminalité enregistrée, s’agissant notamment de la délinquance juvénile.

Les événements de ces derniers mois, qui présentent un caractère grave et même dramatique, il ne faut pas s’en cacher, laissent-ils entrevoir un changement profond de tendance ? Ou constituent-ils une suite de faits successifs et séparés, de nature purement conjoncturelle ?

Je ne suis pas futurologue mais je penche plutôt pour la deuxième hypothèse. En tout était de cause, je ne crierai pas avec les loups car, selon moi, Bruxelles n’est en aucune manière devenue un haut lieu de la criminalité.

Il y a toutefois un élément relativement neuf et inquiétant, c’est la circulation des armes, qui s’opère de plus en plus facilement et massivement à Bruxelles.

Ce marché lié à l’achat et à la vente d’armes parfois lourdes crée assurément des opportunités nouvelles quant à la commission d’actes violents.

Et cela touche notamment des formes anciennes de criminalité, comme les affrontements entre bandes de jeunes cherchant à "marquer" leur territoire.

Ces affrontements, qu’on a vu fleurir dans des communes comme Forest, Saint-Gilles ou Anderlecht, ne sont pas neufs, loin s’en faut, mais la forme qu’ils revêtent désormais l’est, elle. Les fusillades sur les lieux de vente de stupéfiants, par exemple, constituent un phénomène relativement récent et dangereux.

A quoi attribuer cette délinquance urbaine toujours prégnante ?

En dépit de la mise en œuvre de politiques actives de formation, d’insertion et d’intégration, la précarité de certaines catégories de populations n’a cessé de s’aggraver.

Le sentiment grandissant d’être les victimes d’inégalités et de discriminations toujours plus criantes a exacerbé le désespoir et la colère de nombreux habitants des quartiers difficiles de Bruxelles, à commencer par les jeunes.

Cette désespérance sociale est si profonde chez certains qu’ils n’attendent plus rien de l’intégration scolaire et professionnelle classique et cherchent dès lors à s’approprier des biens de façon illicite et parfois violente. Tout cela alimente bien des dérives.

Mais pourquoi Bruxelles serait-elle plus touchée que d’autres villes ?

Parce que c’est la région la plus jeune du royaume, celle où le chômage frappe le plus, celle où la compétition entre les habitants du cru et les travailleurs venus de l’extérieur est la plus forte.

Prenez un jeune homme d’origine marocaine suivant des cours dans l’enseignement technique ou professionnel à Bruxelles. A la sortie, il maîtrisera rarement la langue néerlandaise et il se fera souffler le job qu’il lorgnait à Ikea ou au Brico du coin par un concurrent du même âge, de la même origine mais venant de Flandre et bilingue.

Ou bien encore, il aura pour concurrent direct, dans le secteur du bâtiment par exemple, un sans-papiers brésilien. C’est parfois aussi trivial que cela.

La crise financière etéconomique qui a frappé et frappe encore la Belgique joue-t-elle un rôle ?

Oui. On retrouve beaucoup de (jeunes) Bruxellois dans le travail intérimaire, lequel a perdu de nombreux postes et a réagi de la façon la plus rapide et la plus sensible à la crise. Mais il y a d’autres facteurs, démographiques notamment. De plus, Bruxelles est une ville vouée au secteur tertiaire alors que beaucoup de ses jeunes sont formés pour le secteur secondaire, qui offre peu d’emplois régionaux.

Enfin, il ne faut pas le nier, la discrimination à l’embauche existe et peu de choses ont été entreprises pour la combattre.

Tout cela fait courir le risque que certains quittent la légalité et se transforment en voyous violents.

Que faudrait-il faire à ce niveau ?

Il ne faut pas jeter la pierre aux responsables. Ils ont tenté de mener des politiques sociales intéressantes, mais les mesures prises ont été insuffisantes ou insuffisamment suivies.

Je crois qu’il est désormais urgent d’appliquer sur le terrain et non plus seulement au niveau de discours le principe de la "discrimination positive".
 
D’aucuns ont également avancé que les forces de police étaient insuffisantes à Bruxelles…

Depuis les émeutes de 1991, nous constatons que les cadres des zones de police ne sont pas remplis. Il faudrait commencer par là.

Pour y parvenir, il s’agirait déjà d’assouplir les lois linguistiques, qui constituent un frein à l’embauche. Les propositions de réforme de Bruxelles-Hal-Vilvorde allaient en ce sens. On sait ce qu’il est advenu du dossier.

Mais il n’y a pas que cela. La police en général, celle des zones de Bruxelles en particulier, est très "belgo-belge". Les groupes minoritaires y sont sous-représentés. C’est dommage.

Comme il est dommage que les policiers bruxellois connaissent pour la plupart très mal le terrain où ils travaillent. Si davantage de policiers étaient nés dans les quartiers où ils sont en poste, appréhendaient la réalité sociale de ces quartiers, connaissaient mieux leurs habitants, la délinquance reculerait.

On évoque aussi régulièrement le laxisme de la justice…

C’est un mauvais procès. La vérité est qu’il faudrait donner à la justice les moyens de mieux fonctionner. Les mesures alternatives ont connu un démarrage timide. Les financer, les encadrer exige des moyens importants et ces moyens ne suivent pas, hélas.

Or ce n’est pas en remplissant des centres fermés comme Everberg ou en aggravant encore un peu plus le problème de la surpopulation des prisons en y envoyant massivement les délinquants qu’on règlera la question de la criminalité urbaine.

Vous êtes de ceux qui ont toujours observé que le canal constituait une sorte de frontière sociale entre le Bruxelles des nantis et le Bruxelles des mal lotis et des violents en puissance. Est-ce toujours le cas ?

Oui. C’est une réalité historique, vieille de plus de cent ans. Au nord-ouest de la capitale, les ouvriers flamands pauvres ont laissé la place aux populations d’origine maghrébine que certains qualifient de "musulmans".

Cette ghettoïsation, cette dualisation de la ville sont dangereuses. Il faut retisser le lien social, remailler la ville, fédérer ses populations, connaître et comprendre les codes des uns et des autres. Et cela ne s’apprend pas nécessairement sur les bancs de l’école.

Une conclusion d’ordre général ?

Pour faire de nos villes des lieux plus sûrs et moins violents, il faut d’abord et avant tout mener une politique sociale ambitieuse, lutter contre toutes les formes de précarisation, réduire la fracture sociale.

A Bruxelles, des efforts ont été menés en ce sens mais ils n’étaient pas à la hauteur des enjeux. Notamment et surtout parce que la Région dépend beaucoup trop d’instances extérieures à elle pour vivre et agir. C’est tout le problème de la Belgique institutionnelle, toute la question du sous-financement de Bruxelles. Et de ce point de vue, le moins que l’on puisse dire est que l’avenir est incertain
 
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