La Xénophobie Culinaire
01 fév 2009 Par Chloe Morin
Après les protestations et la colère quont soulevées il y a quelques jours les propos de Berlusconi sur linsécurité et les « belles italiennes », voici que le Premier ministre italien a trouvé un nouveau moyen formidable pour détourner lattention de lopinion publique de la situation économique et sociale désastreuse dans laquelle se trouve son pays : la nourriture. La campagne menée par une partie de la coalition au pouvoir contre toute forme de « menace intérieure » sétend à mesure que la gravité de la situation sociale appelle toujours plus de boucs émissaires.
Cest le kebab, symbole de la nourriture « ethnique » et aux connotations moyen-orientales aisément exploitables par le discours politique xénophobe, qui est la cible de toutes les critiques depuis quelques jours. Symptôme de la dégradation du climat social italien, il ne suffit plus au gouvernement de faire la chasse aux immigrés (légaux ou non) en en faisant les responsables tout désignés de la situation économique ou de la moindre agression, il faut trouver toujours plus de boucs émissaires.
Loffensive contre la nourriture dorigine étrangère a été initiée à Lucca cette semaine, avec linterdiction par le conseil municipal douvrir des restaurants ou des magasins vendant exclusivement de la nourriture « ethnique » en ville (et ce sous prétexte de « sauvegarder la spécificité de notre cuisine, qui est menacée par la récente libéralisation subie par le secteur »). Le phénomène sest rapidement propagé en Lombardie, relayé par les xénophobes de la ligue du nord désireux de « protéger la cuisine italienne de la popularité grandissante de la nourriture étrangère », et notamment à Milan.
Cette campagne d« épuration ethnique culinaire » a été dénoncée par les élus de centre-gauche. Suite à une proposition de loi visant à réglementer les horaires douverture dun certain nombre de points de vente de nourriture et boissons dorigines diverses, le vice-président du conseil italien a alerté les parlementaires sur les dérives quentrainerait une réglementation stricte des horaires des magasins vendant des kebab, des restaurants « ethniques » et autre lieux où se réunissent des « groupes pluriethniques » susceptibles de « troubler lordre publique ». Car tout lenjeu est là : derrière le motif de « préservation de la santé publique », il nest pas besoin daller bien loin pour voir se dessiner les contours dune politique sécuritaire malsaine, xénophobe et inefficace dont on connait désormais bien les caractéristiques.
On ne sétonnera donc pas du caractère très aléatoire de ces pratiques discriminatoires : les initiateurs de la campagne eux-mêmes sont bien en peine de dire si la cuisine sicilienne, qui nest pas exempte dinfluences nord-africaines, est à bannir ou non. En revanche, rassurons nous, « la cuisine française ne pose pas de problème »
Lorsque la science vient à la rescousse de la xénophobie : « Le Kebab? Une bombe pour la santé » (Corriere della sera du 27 janvier).
Le kebab serait, les preuves étant fournies par une étude publiée par le très sérieux Corriere della Sera, le « fast-food le plus malsain qui soit ». Le Corriere sappuie sur un argumentaire qui pourrait sappliquer à nimporte quel McDo (ou Quick ou KFC ou autres): une étude de la « Local Authority Coordinators of Regulatory Service » anglaise (si ça vient de Grande Bretagne, ça paraît plus sérieux ?), selon laquelle « en moyenne, un kebab apporte 98% de la quantité journalière de sel et 148% des acides gras saturés recommandés ».
Dailleurs, précise le Corriere du 27 janvier, « Mahmut Aygun, lhomme qui (selon la version très contestable du Corriere, dont je doute fort même si je ne suis absolument pas spécialiste de la question) inventa les « doner kebabs » voici presque quarante ans, est mort sereinement à 87 ans, mais on ne peut sempêcher de penser que cette longévité nest pas due à son invention ». Les calories, le sel et les graisses saturées sont donc officiellement déclarés ennemis à abattre, le kebab étant désormais considéré comme une « menace significative pour la santé publique ». A lappui, le Corriere rapporte le témoignage dune spécialiste de la science de la nutrition de lUniversità di Milano Biccoca, selon lequel « étant gérés la plupart du temps par des étrangers, nous pouvons imaginer que les points de vente des kebabs ne délivrent pas une nourriture adaptée à notre type dalimentation habituel ». La scientifique ajoute, très sérieusement, que « le kebab représente une menace car, étant donné quil demande un effort de digestion plus long que la nourriture habituelle, il nuit à la concentration et à la qualité du travail après le repas ». Nous avons donc là larchétype dun procédé très utilisé en Italie : la justification scientifique ou économique (car qui peut ne pas deviner, là encore, la résurgence des tentations protectionnistes et de la préférence nationale si courantes en période de crise économique ?), grâce au recours à des arguments en apparence indubitables, de la xénophobie Berlusconienne.
On peut craindre que ce phénomène de « racisme culinaire » (selon lexpression délus du centre-gauche milanais) ne sétende dans les mois à venir, à la faveur de la crise économique. En effet, la Ligue du nord, influente en Lombardie et auprès de Berlusconi, ne cesse de verser de lhuile sur le feu, et souligne que « les restaurants ethniques, quils servent des Kebab, des sushis ou de la nourriture Chinoise, devraient arrêter dimporter des tonnes de viande et de poisson dont on ne connaît pas la provenance, et utiliser uniquement des ingrédients dorigine italienne ».
Rassurons-nous, il reste heureusement de bonnes âmes pour rappeler que de nombreux plats « typiquement italiens » ne le sont en fait pas tant que ça (les spaghettis auraient été rapportées de Chine par Marco polo, les tomates auraient été offertes par le Pérou au royaume de Naples etc.). Il faut espérer que Berlusconi finira par comprendre que le repli identitaire, la xénophobie et le protectionnisme économique ne sauront produire quune paix sociale de façade, cimentée par des médias à la botte du pouvoir, et ne lui permettront pas de sortir son pays du marasme économique dans lequel il se trouve.
Article du Corriere Della Sera
01 fév 2009 Par Chloe Morin
Après les protestations et la colère quont soulevées il y a quelques jours les propos de Berlusconi sur linsécurité et les « belles italiennes », voici que le Premier ministre italien a trouvé un nouveau moyen formidable pour détourner lattention de lopinion publique de la situation économique et sociale désastreuse dans laquelle se trouve son pays : la nourriture. La campagne menée par une partie de la coalition au pouvoir contre toute forme de « menace intérieure » sétend à mesure que la gravité de la situation sociale appelle toujours plus de boucs émissaires.
Cest le kebab, symbole de la nourriture « ethnique » et aux connotations moyen-orientales aisément exploitables par le discours politique xénophobe, qui est la cible de toutes les critiques depuis quelques jours. Symptôme de la dégradation du climat social italien, il ne suffit plus au gouvernement de faire la chasse aux immigrés (légaux ou non) en en faisant les responsables tout désignés de la situation économique ou de la moindre agression, il faut trouver toujours plus de boucs émissaires.
Loffensive contre la nourriture dorigine étrangère a été initiée à Lucca cette semaine, avec linterdiction par le conseil municipal douvrir des restaurants ou des magasins vendant exclusivement de la nourriture « ethnique » en ville (et ce sous prétexte de « sauvegarder la spécificité de notre cuisine, qui est menacée par la récente libéralisation subie par le secteur »). Le phénomène sest rapidement propagé en Lombardie, relayé par les xénophobes de la ligue du nord désireux de « protéger la cuisine italienne de la popularité grandissante de la nourriture étrangère », et notamment à Milan.
Cette campagne d« épuration ethnique culinaire » a été dénoncée par les élus de centre-gauche. Suite à une proposition de loi visant à réglementer les horaires douverture dun certain nombre de points de vente de nourriture et boissons dorigines diverses, le vice-président du conseil italien a alerté les parlementaires sur les dérives quentrainerait une réglementation stricte des horaires des magasins vendant des kebab, des restaurants « ethniques » et autre lieux où se réunissent des « groupes pluriethniques » susceptibles de « troubler lordre publique ». Car tout lenjeu est là : derrière le motif de « préservation de la santé publique », il nest pas besoin daller bien loin pour voir se dessiner les contours dune politique sécuritaire malsaine, xénophobe et inefficace dont on connait désormais bien les caractéristiques.
On ne sétonnera donc pas du caractère très aléatoire de ces pratiques discriminatoires : les initiateurs de la campagne eux-mêmes sont bien en peine de dire si la cuisine sicilienne, qui nest pas exempte dinfluences nord-africaines, est à bannir ou non. En revanche, rassurons nous, « la cuisine française ne pose pas de problème »
Lorsque la science vient à la rescousse de la xénophobie : « Le Kebab? Une bombe pour la santé » (Corriere della sera du 27 janvier).
Le kebab serait, les preuves étant fournies par une étude publiée par le très sérieux Corriere della Sera, le « fast-food le plus malsain qui soit ». Le Corriere sappuie sur un argumentaire qui pourrait sappliquer à nimporte quel McDo (ou Quick ou KFC ou autres): une étude de la « Local Authority Coordinators of Regulatory Service » anglaise (si ça vient de Grande Bretagne, ça paraît plus sérieux ?), selon laquelle « en moyenne, un kebab apporte 98% de la quantité journalière de sel et 148% des acides gras saturés recommandés ».
Dailleurs, précise le Corriere du 27 janvier, « Mahmut Aygun, lhomme qui (selon la version très contestable du Corriere, dont je doute fort même si je ne suis absolument pas spécialiste de la question) inventa les « doner kebabs » voici presque quarante ans, est mort sereinement à 87 ans, mais on ne peut sempêcher de penser que cette longévité nest pas due à son invention ». Les calories, le sel et les graisses saturées sont donc officiellement déclarés ennemis à abattre, le kebab étant désormais considéré comme une « menace significative pour la santé publique ». A lappui, le Corriere rapporte le témoignage dune spécialiste de la science de la nutrition de lUniversità di Milano Biccoca, selon lequel « étant gérés la plupart du temps par des étrangers, nous pouvons imaginer que les points de vente des kebabs ne délivrent pas une nourriture adaptée à notre type dalimentation habituel ». La scientifique ajoute, très sérieusement, que « le kebab représente une menace car, étant donné quil demande un effort de digestion plus long que la nourriture habituelle, il nuit à la concentration et à la qualité du travail après le repas ». Nous avons donc là larchétype dun procédé très utilisé en Italie : la justification scientifique ou économique (car qui peut ne pas deviner, là encore, la résurgence des tentations protectionnistes et de la préférence nationale si courantes en période de crise économique ?), grâce au recours à des arguments en apparence indubitables, de la xénophobie Berlusconienne.
On peut craindre que ce phénomène de « racisme culinaire » (selon lexpression délus du centre-gauche milanais) ne sétende dans les mois à venir, à la faveur de la crise économique. En effet, la Ligue du nord, influente en Lombardie et auprès de Berlusconi, ne cesse de verser de lhuile sur le feu, et souligne que « les restaurants ethniques, quils servent des Kebab, des sushis ou de la nourriture Chinoise, devraient arrêter dimporter des tonnes de viande et de poisson dont on ne connaît pas la provenance, et utiliser uniquement des ingrédients dorigine italienne ».
Rassurons-nous, il reste heureusement de bonnes âmes pour rappeler que de nombreux plats « typiquement italiens » ne le sont en fait pas tant que ça (les spaghettis auraient été rapportées de Chine par Marco polo, les tomates auraient été offertes par le Pérou au royaume de Naples etc.). Il faut espérer que Berlusconi finira par comprendre que le repli identitaire, la xénophobie et le protectionnisme économique ne sauront produire quune paix sociale de façade, cimentée par des médias à la botte du pouvoir, et ne lui permettront pas de sortir son pays du marasme économique dans lequel il se trouve.
Article du Corriere Della Sera