L'affaire des moines de Tibéhirine

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L'armée algérienne aurait tué les moines de Tibéhirine, selon un militaire français.

Treize ans après la tragédie de Tibéhirine, en Algérie, lors de laquelle sept religieux français ont été enlevés dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, puis assassinés dans des circonstances jamais élucidées, un nouveau témoignage relance l'enquête judiciaire. Une enquête lancée tardivement par l'Etat français, en 2004, à la demande de la famille de l'un des moines disparus et d'Armand Veilleux, ancien procureur général des cisterciens, assistés par l'avocat Patrick Baudouin.
L'hypothèse, déjà avancée à plusieurs reprises ces dernières années, mais jamais démontrée, selon laquelle les sept moines trappistes auraient été tués par l'armée algérienne au cours d'une "bavure", s'en trouve aujourd'hui singulièrement renforcée. Après des années d'hésitation, un témoin clé de cette affaire a accepté de déposer, le 25 juin à Paris, devant Marc Trévidic, le juge d'instruction chargé de l'enquête depuis deux ans, à la suite du juge Jean-Louis Bruguière.

Il s'agit d'un Français, qui a été attaché militaire à l'ambassade de France à Alger, entre 1995 et 1998, en pleine "décennie de sang", lorsque les groupes islamistes armés et service de sécurité algériens s'affrontaient dans une "sale guerre" qui allait se solder par quelques 100 000 morts.

En mai 1996, lors d'une mission dans l'Atlas blidéen, du côté de Médéa, à une soixantaine de kilomètres d'Alger, deux hélicoptères de l'armée algérienne ont mitraillé un bivouac, croyant qu'il s'agissait d'un groupe armé, car la zone était supposée être vide. "Ils se sont ensuite posés. (…) Ils ont pris des risques. Une fois posés, ils ont découvert qu'ils avaient tiré notamment sur les moines. Les corps des moines étaient criblés de balles. Ils ont appelé par radio le CTRI de Blida", a expliqué le nouveau témoin au juge Trévidic.

AUX COMMANDES DE L'UN DES HÉLICOPTÈRES QUI A TIRÉ

De qui l'attaché de défense français tenait-il cette information ? De l'un de ses bons amis algériens, qui lui avait fait cette confidence, à l'époque des faits, tous deux étant très liés pour être passés ensemble autrefois par l'école de Saint-Cyr. Le frère de cet ami algérien était aux commandes de l'un des hélicoptères qui avait tiré sur le groupe dans lequel se trouvaient les sept moines et leurs ravisseurs.

Le témoin du juge Trébidic pourrait-il être l'informateur d'un journaliste italien, Valerio Pellizzari, qui a fait des révélations en ce sens, il y a tout juste un an ? Assurément. Dans La Stampa du 6 juillet 2008, Pellizzari, enquêteur réputé, expliquait déjà ce dérapage de l'armée algérienne. En revanche, il masquait l'identité et la fonction de son informateur, se contentant d'évoquer "un haut fonctionnaire d'un gouvernement occidental".

Il ne fait plus aucun doute aujourd'hui que sa source était l'ex-attaché militaire français à Alger. Le procès-verbal du 25 juin rejoint en tous points l'article de La Stampa, lequel était encore plus explicite dans les détails fournis. Il y était démontré que l'enlèvement des moines avait été planifié par des militaires algériens "déviés", les islamistes, eux, ne représentant que la "main d'œuvre" de l'opération.

L'opération avait été planifiée pour montrer le danger que représentait la déferlante islamique, de manière à provoquer l'indignation internationale face à la séquestration de sept cibles humaines désarmées. Sans la bavure des hélicoptères, les sept moines auraient sans doute été libérés sans une égratignure.

A la suite de cette méprise, les autorités algériennes firent tout pour maquiller le drame et en faire porter la responsabilité aux islamistes du GIA (Groupes islamiques armés). Mais les corps des sept religieux étant criblés de projectiles "qui ne pouvaient appartenir qu'à un arsenal d'une armée régulière" et non aux GIA, comme le soulignait Valerio Pellizari.

Les moines furent décapités pour qu'on ne voit jamais leurs dépouilles. Seules, leurs têtes furent découvertes, officiellement le 31 mai. Seules, leurs têtes furent inhumées à Tibéhirine. Les corps, eux, n'ont jamais été retrouvés.

Les autorités françaises ont-elles su, au printemps 1996, que la mort des sept moines n'était pas due aux GIA mais à un dramatique dérapage de militaires algériens ? Le témoin du juge Trévidic est formel : "oui". Il avait rendu compte à ses supérieurs des informations qu'il avait recueillies de son ami algérien dans un rapport écrit. "Il n'y a pas eu de suite", répond-il laconiquement.

Florence Beaugé
lemonde.fr

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