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PLD (Peace, Love and Diversity)
source : lesoir.be
L’Amérique n’est pas Charlie?
Publié le 16 janvier 2015 par jean-paulmarthoz
La presse américaine ne serait-elle pas Charlie? En 2006, déjà, lors de l’affaire des caricatures danoises, seuls 3 des 1400 quotidiens américains, selon une étude de Borja Borgareche pour la Columbia University, avaient illustré leurs papiers par l’un des dessins incriminés. En 2009, les presses de l’université de Yale refusèrent elles aussi de publier ces caricatures dans un livre qui, pourtant, leur était dédié. The Cartoons that shook the world, l’essai de la politologue Jytte Klausen, analyse pendant 230 pages un sujet éminemment visuel…qu’elle n’a pas été autorisée à illustrer.
« A quoi sert la Premier amendement de la Constitution américaine, qui interdit la censure, si l’ensemble de la presse s’abstient de publier des caricatures de Charlie Hebdo? » La critique a fusé en marge d’une réunion de l’UNESCO, mercredi, à Paris. Comment expliquer cette retenue dans un pays qui, au nom du Free Speech, permet aux Nazis de marcher en uniforme et autorise la négation de l’Holocauste? Les pires choses circulent dans la médiasphère américaine, en particulier dans les milieux extrémistes du « Counter-Jihad » qui distillent la haine de l’islam et pratiquent les amalgames les plus crus. En toute impunité.
En fait, s’il se réclame des libertés accordées par le Premier Amendement et défend généralement le Free Speech dans ses éditoriaux, le journalisme américain s’est pratiquement toujours démarqué de cette interprétation absolutiste de la liberté d’expression, en se donnant des règles de déontologie qui l’amènent à traiter avec beaucoup de retenue un certain nombre de questions sensibles et, en particulier, de la religion.
Retenue ou censure? Pour ses défenseurs, ce choix exprime la philosophie de l’intérêt public qui, depuis la Commission Hutchins de 1947 sur une « presse libre et responsable », domine la profession. Elle fait du « minimizing harm » (limiter les dommages à autrui) l’un des trois piliers de la déontologie, aux côtés de la recherche de la vérité et de l’indépendance. «Nous trouvons plus important d’utiliser notre liberté pour demander des comptes au pouvoir que pour nous en prendre à des communautés de foi », expliquait un collègue américain. « Il est plus facile d’insulter une communauté que d’enquêter sur elle», ajoutait-il, vexé d’être contesté par des journalistes européens.
Le God Gap
Le choix qui a été celui de la grande majorité des médias américains reflète aussi une réalité sociologique. Les Etats-Unis restent un pays majoritairement croyant et pratiquant, au contraire d’une Europe très déconfessionalisée. C’est ce que les observateurs des relations transatlantiques appellent le God Gap, « le fossé de Dieu », qui sépare le Vieux et le Nouveau continents en matière religieuse. La laïcité à la française, en particulier, interloque les Américains. L’athéisme, l’anticléricalisme et la satire « blasphématoire » à la Charlie Hebdo sont « un-American ».
Toutefois, la brutalité de l’attaque contre Charlie Hebdo a fait bouger les lignes. Ecrivant dans la prestigieuse Columbia Journalism Review, Christopher Massie concluait que « le devoir de réellement informer sur l’attentat et de défendre la liberté d’expression devrait l’emporter sur la peur d’offenser les musulmans ». Le gourou des nouveaux médias Jeff Jarvis a demandé lui aussi aux journalistes américains « de faire preuve de courage ». « Refuser de publier est un acte de déloyauté par rapport à des collègues assassinés, nous confiait un journaliste américain en désaccord avec la ligne adoptée par sa rédaction. Cela revient à dire que ces caricatures étaient effectivement outrancières et que d’une certaine manière Charlie Hebdo l’a cherché. C’est accepter une interprétation de l’islam qui prétend, à tort, qu’il est interdit par le Coran de représenter le Prophète. C’est entrer dans une logique d’autocensure qui risque de sanctuariser une religion particulière, alors que les autres, pour le bienfait de la démocratie, ont dû apprendre à vivre avec la dérision et la satire et en sont sorties grandies et plus humaines».
Mercredi, quelques navires-amiraux de la presse, comme USA Today, le Wall Street Journal, le Los Angeles Times et le Washington Post, ont suivi les corsaires du nouveau journalisme, Buzzfeed ou le Huffington Post, et ont reproduit d’une manière ou d’une autre la « une » du dernier Charlie Hebdo. Cependant, le doyen de la presse, le New York Times, s’en est tenu à sa politique de « ne pas diffuser des images dont le but est, délibérément, d’offenser ». « On peut informer correctement sans publier les caricatures », a précisé un de ses responsables.
Une attaque contre tous
Il y a un « journalism gap » entre la France et l’Amérique. « Les médias américains n’ont rien compris », s’énervait mercredi Laurent Joffrin dans Libération. « Décidément, les sociétés communautaires font mauvais ménage avec la liberté d’expression ». « L’enjeu n’est pas seulement d’informer, mais de défier, en publiant les caricatures de Mahomet, ceux qui veulent nous interdire d’informer », renchérissait un journaliste français. Mais chaque média, comme le rappelait justement le directeur du Guardian, Alan Rusbridger, a l’exclusivité de ses choix. Pour autant que personne n’oublie que l’attaque contre un journal si unique, dans un pays si particulier, était une attaque contre tous.
L’Amérique n’est pas Charlie?
Publié le 16 janvier 2015 par jean-paulmarthoz
La presse américaine ne serait-elle pas Charlie? En 2006, déjà, lors de l’affaire des caricatures danoises, seuls 3 des 1400 quotidiens américains, selon une étude de Borja Borgareche pour la Columbia University, avaient illustré leurs papiers par l’un des dessins incriminés. En 2009, les presses de l’université de Yale refusèrent elles aussi de publier ces caricatures dans un livre qui, pourtant, leur était dédié. The Cartoons that shook the world, l’essai de la politologue Jytte Klausen, analyse pendant 230 pages un sujet éminemment visuel…qu’elle n’a pas été autorisée à illustrer.
« A quoi sert la Premier amendement de la Constitution américaine, qui interdit la censure, si l’ensemble de la presse s’abstient de publier des caricatures de Charlie Hebdo? » La critique a fusé en marge d’une réunion de l’UNESCO, mercredi, à Paris. Comment expliquer cette retenue dans un pays qui, au nom du Free Speech, permet aux Nazis de marcher en uniforme et autorise la négation de l’Holocauste? Les pires choses circulent dans la médiasphère américaine, en particulier dans les milieux extrémistes du « Counter-Jihad » qui distillent la haine de l’islam et pratiquent les amalgames les plus crus. En toute impunité.
En fait, s’il se réclame des libertés accordées par le Premier Amendement et défend généralement le Free Speech dans ses éditoriaux, le journalisme américain s’est pratiquement toujours démarqué de cette interprétation absolutiste de la liberté d’expression, en se donnant des règles de déontologie qui l’amènent à traiter avec beaucoup de retenue un certain nombre de questions sensibles et, en particulier, de la religion.
Retenue ou censure? Pour ses défenseurs, ce choix exprime la philosophie de l’intérêt public qui, depuis la Commission Hutchins de 1947 sur une « presse libre et responsable », domine la profession. Elle fait du « minimizing harm » (limiter les dommages à autrui) l’un des trois piliers de la déontologie, aux côtés de la recherche de la vérité et de l’indépendance. «Nous trouvons plus important d’utiliser notre liberté pour demander des comptes au pouvoir que pour nous en prendre à des communautés de foi », expliquait un collègue américain. « Il est plus facile d’insulter une communauté que d’enquêter sur elle», ajoutait-il, vexé d’être contesté par des journalistes européens.
Le God Gap
Le choix qui a été celui de la grande majorité des médias américains reflète aussi une réalité sociologique. Les Etats-Unis restent un pays majoritairement croyant et pratiquant, au contraire d’une Europe très déconfessionalisée. C’est ce que les observateurs des relations transatlantiques appellent le God Gap, « le fossé de Dieu », qui sépare le Vieux et le Nouveau continents en matière religieuse. La laïcité à la française, en particulier, interloque les Américains. L’athéisme, l’anticléricalisme et la satire « blasphématoire » à la Charlie Hebdo sont « un-American ».
Toutefois, la brutalité de l’attaque contre Charlie Hebdo a fait bouger les lignes. Ecrivant dans la prestigieuse Columbia Journalism Review, Christopher Massie concluait que « le devoir de réellement informer sur l’attentat et de défendre la liberté d’expression devrait l’emporter sur la peur d’offenser les musulmans ». Le gourou des nouveaux médias Jeff Jarvis a demandé lui aussi aux journalistes américains « de faire preuve de courage ». « Refuser de publier est un acte de déloyauté par rapport à des collègues assassinés, nous confiait un journaliste américain en désaccord avec la ligne adoptée par sa rédaction. Cela revient à dire que ces caricatures étaient effectivement outrancières et que d’une certaine manière Charlie Hebdo l’a cherché. C’est accepter une interprétation de l’islam qui prétend, à tort, qu’il est interdit par le Coran de représenter le Prophète. C’est entrer dans une logique d’autocensure qui risque de sanctuariser une religion particulière, alors que les autres, pour le bienfait de la démocratie, ont dû apprendre à vivre avec la dérision et la satire et en sont sorties grandies et plus humaines».
Mercredi, quelques navires-amiraux de la presse, comme USA Today, le Wall Street Journal, le Los Angeles Times et le Washington Post, ont suivi les corsaires du nouveau journalisme, Buzzfeed ou le Huffington Post, et ont reproduit d’une manière ou d’une autre la « une » du dernier Charlie Hebdo. Cependant, le doyen de la presse, le New York Times, s’en est tenu à sa politique de « ne pas diffuser des images dont le but est, délibérément, d’offenser ». « On peut informer correctement sans publier les caricatures », a précisé un de ses responsables.
Une attaque contre tous
Il y a un « journalism gap » entre la France et l’Amérique. « Les médias américains n’ont rien compris », s’énervait mercredi Laurent Joffrin dans Libération. « Décidément, les sociétés communautaires font mauvais ménage avec la liberté d’expression ». « L’enjeu n’est pas seulement d’informer, mais de défier, en publiant les caricatures de Mahomet, ceux qui veulent nous interdire d’informer », renchérissait un journaliste français. Mais chaque média, comme le rappelait justement le directeur du Guardian, Alan Rusbridger, a l’exclusivité de ses choix. Pour autant que personne n’oublie que l’attaque contre un journal si unique, dans un pays si particulier, était une attaque contre tous.