L’armée israélienne est-elle devenue une « usine d’assassinats de masse » ?


Les images en provenance de la bande de Gaza depuis qu’a commencé la réponse militaire d’Israël à l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre dernier font frémir. Dans le Nord et donc à Gaza-ville, la moitié au moins des bâtiments ont été détruits totalement ou partiellement. Les morts s’accumulent, les blessés ne se comptent plus.

L’armée israélienne n’agit pourtant pas de manière indiscriminée. Les frappes, par avion, drone ou artillerie, sont calculées, avec l’aide de l’intelligence artificielle. Et les pertes civiles occasionnées – énormes depuis deux mois – ne procèdent pas du hasard. Elles sont même évaluées en amont. Ces constats figurent parmi les éléments principaux mis au jour par un journaliste israélien, Yuval Abraham, après une longue enquête qui a été publiée le 30 octobre par le site en ligne +972mag.com. Ses sources ? Des membres actuels ou anciens des services de renseignement militaires israéliens, surtout.

Autant le dire d’emblée, les constats qu’il établit dans cette enquête titrée « Une usine d’assassinats de masse : les bombardements calculés d’Israël sur Gaza » sont inouïs.

« Rien n’arrive par hasard »

Un exemple. « Rien n’arrive par hasard », lui déclare une source. « Lorsqu’une fillette de trois ans est tuée dans une maison à Gaza, c’est parce que quelqu’un dans l’armée a décidé qu’il n’était pas grave qu’elle soit tuée – que c’était un prix à payer pour atteindre [une autre] cible. Nous ne sommes pas le Hamas. Il ne s’agit pas de roquettes tirées au hasard. Tout est intentionnel. Nous savons exactement combien de dommages collatéraux il y a dans chaque maison ».

L’offensive israélienne à Gaza, dite « Opération épée de fer » a donc conduit l’armée à « étendre de manière significative ses bombardements sur des cibles qui ne sont pas clairement de nature militaire. Il s’agit notamment de résidences privées, de bâtiments publics, d’infrastructures et d’immeubles de grande hauteur » (…)

Pourquoi ce choix ? Principalement, répond l’article, il vise à « nuire à la société civile palestinienne, pour créer un choc qui, entre autres choses, se répercutera puissamment et conduira les civils à faire pression sur le Hamas ». Mais il y a plus. « On a l’impression », dit une source à Yuval Abraham, « que les hauts responsables de l’armée sont conscients de leur échec le 7 octobre, et qu’ils sont occupés par la question de savoir comment fournir au public israélien une image [de victoire] qui sauvera leur réputation. »

« L’Evangile » produit les cibles

D’un point de vue technique, l’armée israélienne se base donc désormais, depuis 2021 en fait, sur l’intelligence artificielle (IA). Elle ne s’en cache pas du tout. Elle admet recourir à un système d’IA appelé « Habsora » (« L’Evangile »), qui « permet l’utilisation d’outils automatiques pour produire des cibles à un rythme rapide, et fonctionne en améliorant le matériel de renseignement précis et de haute qualité en fonction des besoins ».

Le journal britannique The Guardian a aussi enquêté sur ce point et conclut : « Cette plate-forme de création d’objectifs d’IA a considérablement accéléré une chaîne de production létale de cibles que les fonctionnaires ont comparées à une “usine”». Ce qui a permis un nombre hallucinant de frappes puisque l’armée israélienne assure avoir attaqué 15. 000 cibles rien que durant les 35 premiers jours du conflit.

En outre, Israël a également décidé de détruire des bâtiments sans valeur stratégique mais à teneur symbolique. Comme « l’université islamique de Gaza, l’association du barreau palestinien (…), le ministère de l’Economie nationale, le ministère de la Culture, des routes et des dizaines de gratte-ciel et de maisons ». Et, tout récemment, l’immense Cour de justice.

 

« Une guerre contre les Palestiniens »

Pourtant, l’armée israélienne se drape dans son bon droit et répète à qui veut l’entendre qu’elle « s’efforce en général de réduire autant que possible les dommages causés aux civils dans le cadre des attaques, malgré le défi de combattre une organisation terroriste qui utilise les citoyens de Gaza comme boucliers humains ». Il semble néanmoins clair que, malgré ses démentis, l’armée n’a plus recouru de façon systématique à des avertissements avant les frappes sur les immeubles habités.

Au demeurant, des responsables militaires l’admettent de manière voilée. Dès le 9 octobre, le porte-parole Daniel Hagari déclarait ainsi : « L’accent est mis sur les dégâts et non sur la précision ». Puis le chef d’Etat-major de l’armée de l’air, Omer Tishler, admettait que des quartiers entiers avaient été attaqués « à grande échelle et non de manière chirurgicale ». Les images de Gaza corroborent bien ces assertions.

Sur le plateau de l’émission C ce soir (France 5), le 5 décembre, l’ancien officier français et essayiste Guillaume Ancel donnait son verdict : « C’est bien un choix qui a été fait par Israël d’une réponse disproportionnée. Mais à partir du moment où l’on tue volontairement dix fois plus que sa cible, on n’est pas dans une action de destruction du Hamas, on est dans une guerre, pardon, mais contre les Palestiniens ».
 
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