Géant et leader naturel de l'Amérique du Sud, le Brésil ne possède pas encore une armée moderne à la hauteur de ses ambitions régionales. Résolu à rattraper rapidement son retard dans ce domaine, il a choisi de nouer, à cet effet, un partenariat privilégié avec la France qui répond aux intérêts commerciaux et géopolitiques de celle-ci.
Telle est la toile de fond de la coopération stratégique franco-brésilienne, qui sera consacrée par la visite officielle du président Nicolas Sarkozy, lundi 22 et mardi 23 décembre, à Rio de Janeiro.
En retrouvant la démocratie après plus de vingt ans de dictature militaire (1964-1985), le Brésil n'eut guère envie de choyer son armée. Il s'ensuivit une longue période de relatif désintérêt envers la défense nationale, dont le budget n'était pas prioritaire. Depuis quelques années, l'émergence économique et politique du Brésil l'oblige à se doter des outils militaires adéquats.
Il lui faut à la fois défendre son immense territoire - seize fois la France - contre les menaces terroristes et les trafics en tout genre, surveiller 8 500 km de côtes et 4,5 millions de km2 d'eaux territoriales, protéger ses richesses naturelles, notamment les gisements en eaux profondes - 22 000 personnes travaillent en permanence sur 109 plates-formes pétrolières, parfois très loin en haute mer -, et plus généralement se doter d'un instrument de dissuasion digne d'un grand acteur mondial.
La France dit vouloir aider le Brésil dans cette quête des moyens de la puissance. Elle a tout à y gagner : des contrats d'armements juteux, un accès consolidé au premier marché de la région, une terre amie où développer ses investissements, la satisfaction de contribuer à renforcer un pays démocratique avec lequel elle partage, en Guyane, sa plus longue frontière terrestre, Hexagone compris. Comme le souligne un diplomate, "c'est du gagnant-gagnant".
En septembre, Brasilia a publié un plan de modernisation de la défense, où la France jouera un rôle crucial en permettant à la marine brésilienne de se doter d'ici à 2020 d'un sous-marin d'attaque à propulsion nucléaire. Ce sera le premier du genre en Amérique latine.
L'accord pour la construction de ce submersible et de quatre autres sous-marins de nouvelle génération à propulsion classique (diesel) de type Scorpène - qui remplaceront les cinq existants de fabrication allemande - sera conclu pendant la visite de M. Sarkozy à Rio de Janeiro.
La France a remporté ce marché pour une raison majeure : elle a accepté de transférer à la marine brésilienne la technologie indispensable au projet. A long terme, le Brésil veut avoir la maîtrise de son industrie de défense, en construisant lui-même ses matériels les plus sophistiqués et en réduisant au maximum sa dépendance envers des fournisseurs étrangers. La volonté politique française d'accéder aux exigences brésiliennes, "sans tabous", pour reprendre la formule de M. Sarkozy, a convaincu les Brésiliens que la France, forte de son expérience nucléaire, était le bon partenaire.
La France fournira la coque et l'informatique d'un Scorpène à propulsion conventionnelle fabriqué par le groupe DCNS-Thales. A partir de cette technologie, le Brésil construira le prototype d'un sous-marin nucléaire.
Brasilia détient la technologie nucléaire, mais pas à une échelle industrielle. Le programme nucléaire de la marine, lancé en 1979 et longtemps mis en sommeil pour des raisons budgétaires, se concrétisera enfin, à la satisfaction des militaires.
L'autre domaine de coopération militaire concerne les hélicoptères lourds. La France aidera le Brésil à fabriquer 51 Super Cougar à Itajuba, dans l'Etat de Minas Gerais, où le constructeur brésilien Helibras est installé depuis trente ans. Helibras est détenu à hauteur de 45 % par Eurocopter, filiale du géant européen EADS. Le montant total du marché dépasserait le milliard de dollars. Les appareils équiperont les armées de terre, de l'air et la marine.
Le Brésil veut, là aussi, prendre en main son destin. D'abord en acquérant au fil des ans un maximum de technologie française. Ensuite, en devenant un exportateur. Helibras est le seul constructeur d'hélicoptères dans le sous-continent. Comme le soulignait le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, en juin, l'association avec Eurocopter permet à son pays de viser "le marché extraordinaire" de l'Amérique latine. La Colombie et le Pérou ont déjà manifesté leur intérêt pour ce matériel.
Un troisième marché, encore plus alléchant, intéresse la France. Le Brésil doit renouveler d'ici à 2023 sa flotte aérienne militaire (entre 120 et 150 avions). Un premier appel d'offres porte sur 36 appareils de combat polyvalents. Le 1er octobre, l'armée de l'air a annoncé le trio des "finalistes", sur les six constructeurs initialement en lice : le F-18 Super Hornet de Boeing, le Gripen de Saab et le Rafale de Dassault.
Le contrat avoisinerait les 2,5 milliards de dollars. Le Brésil annoncera son choix dans le courant de 2009. Au-delà de la qualité commerciale de l'offre, le gagnant sera celui qui aura consenti à partager avec l'acheteur le maximum de connaissances techniques. L'éventuelle victoire du Rafale au Brésil aurait une grande portée symbolique pour les deux pays, puisque Dassault n'a pour l'instant jamais réussi à vendre un seul de ces appareils à l'étranger.
http://www.lemonde.fr/ameriques/art...issance-militaire-regionale_1133103_3222.html
Jean-Pierre Langellier
Telle est la toile de fond de la coopération stratégique franco-brésilienne, qui sera consacrée par la visite officielle du président Nicolas Sarkozy, lundi 22 et mardi 23 décembre, à Rio de Janeiro.
En retrouvant la démocratie après plus de vingt ans de dictature militaire (1964-1985), le Brésil n'eut guère envie de choyer son armée. Il s'ensuivit une longue période de relatif désintérêt envers la défense nationale, dont le budget n'était pas prioritaire. Depuis quelques années, l'émergence économique et politique du Brésil l'oblige à se doter des outils militaires adéquats.
Il lui faut à la fois défendre son immense territoire - seize fois la France - contre les menaces terroristes et les trafics en tout genre, surveiller 8 500 km de côtes et 4,5 millions de km2 d'eaux territoriales, protéger ses richesses naturelles, notamment les gisements en eaux profondes - 22 000 personnes travaillent en permanence sur 109 plates-formes pétrolières, parfois très loin en haute mer -, et plus généralement se doter d'un instrument de dissuasion digne d'un grand acteur mondial.
La France dit vouloir aider le Brésil dans cette quête des moyens de la puissance. Elle a tout à y gagner : des contrats d'armements juteux, un accès consolidé au premier marché de la région, une terre amie où développer ses investissements, la satisfaction de contribuer à renforcer un pays démocratique avec lequel elle partage, en Guyane, sa plus longue frontière terrestre, Hexagone compris. Comme le souligne un diplomate, "c'est du gagnant-gagnant".
En septembre, Brasilia a publié un plan de modernisation de la défense, où la France jouera un rôle crucial en permettant à la marine brésilienne de se doter d'ici à 2020 d'un sous-marin d'attaque à propulsion nucléaire. Ce sera le premier du genre en Amérique latine.
L'accord pour la construction de ce submersible et de quatre autres sous-marins de nouvelle génération à propulsion classique (diesel) de type Scorpène - qui remplaceront les cinq existants de fabrication allemande - sera conclu pendant la visite de M. Sarkozy à Rio de Janeiro.
La France a remporté ce marché pour une raison majeure : elle a accepté de transférer à la marine brésilienne la technologie indispensable au projet. A long terme, le Brésil veut avoir la maîtrise de son industrie de défense, en construisant lui-même ses matériels les plus sophistiqués et en réduisant au maximum sa dépendance envers des fournisseurs étrangers. La volonté politique française d'accéder aux exigences brésiliennes, "sans tabous", pour reprendre la formule de M. Sarkozy, a convaincu les Brésiliens que la France, forte de son expérience nucléaire, était le bon partenaire.
La France fournira la coque et l'informatique d'un Scorpène à propulsion conventionnelle fabriqué par le groupe DCNS-Thales. A partir de cette technologie, le Brésil construira le prototype d'un sous-marin nucléaire.
Brasilia détient la technologie nucléaire, mais pas à une échelle industrielle. Le programme nucléaire de la marine, lancé en 1979 et longtemps mis en sommeil pour des raisons budgétaires, se concrétisera enfin, à la satisfaction des militaires.
L'autre domaine de coopération militaire concerne les hélicoptères lourds. La France aidera le Brésil à fabriquer 51 Super Cougar à Itajuba, dans l'Etat de Minas Gerais, où le constructeur brésilien Helibras est installé depuis trente ans. Helibras est détenu à hauteur de 45 % par Eurocopter, filiale du géant européen EADS. Le montant total du marché dépasserait le milliard de dollars. Les appareils équiperont les armées de terre, de l'air et la marine.
Le Brésil veut, là aussi, prendre en main son destin. D'abord en acquérant au fil des ans un maximum de technologie française. Ensuite, en devenant un exportateur. Helibras est le seul constructeur d'hélicoptères dans le sous-continent. Comme le soulignait le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, en juin, l'association avec Eurocopter permet à son pays de viser "le marché extraordinaire" de l'Amérique latine. La Colombie et le Pérou ont déjà manifesté leur intérêt pour ce matériel.
Un troisième marché, encore plus alléchant, intéresse la France. Le Brésil doit renouveler d'ici à 2023 sa flotte aérienne militaire (entre 120 et 150 avions). Un premier appel d'offres porte sur 36 appareils de combat polyvalents. Le 1er octobre, l'armée de l'air a annoncé le trio des "finalistes", sur les six constructeurs initialement en lice : le F-18 Super Hornet de Boeing, le Gripen de Saab et le Rafale de Dassault.
Le contrat avoisinerait les 2,5 milliards de dollars. Le Brésil annoncera son choix dans le courant de 2009. Au-delà de la qualité commerciale de l'offre, le gagnant sera celui qui aura consenti à partager avec l'acheteur le maximum de connaissances techniques. L'éventuelle victoire du Rafale au Brésil aurait une grande portée symbolique pour les deux pays, puisque Dassault n'a pour l'instant jamais réussi à vendre un seul de ces appareils à l'étranger.
http://www.lemonde.fr/ameriques/art...issance-militaire-regionale_1133103_3222.html
Jean-Pierre Langellier