Vincent Geisser
http://www.protection-palestine.org/spip.php?article7038
publié le jeudi 19 février 2009.
Dans ce texte inédit, le politologue Vincent Geisser essaye danalyser les ressorts de la position pro-Israël défendue par de nombreux responsables politiques, intellectuels et leaders dopinion en France. Adhésion affective ou calcul politique ? Position réfléchie ou simple opportunisme ? Culpabilité ou peur de déplaire ? Parmi les explications avancées, il y voit entre autres lexpression dune forme inversée dantisémitisme qui consiste à ethniciser à outrance lappartenance au judaïsme et à fantasmer lidée dune « puissance juive » dans lHexagone. En somme, judéophobes viscéraux et pro-Israéliens radicaux partagent le même préjugé : les Juifs formeraient une puissance occulte, quil faut combattre pour les uns, soutenir pour les autres. Au risque de surprendre, lantisémitisme goy est sans aucun doute lun des ressorts méconnus de ce soutien très franchouillard à lEtat dIsraël.
Une fascination malsaine pour lEtat dIsraël
Contrairement à une idée reçue, le premier soutien dIsraël en France procède moins de laction dun quelconque « lobby » mais dabord de la lâcheté et de lhypocrisie de nombreux leaders dopinion qui fantasment la puissance de la communauté juive. Leur relation à Israël se greffe moins sur un amour sincère pour lEtat hébreu que sur une représentation ethnicisante de la communauté juive qui flirte parfois avec lantisémitisme et débouche sur une posture politique : « Je suis avec Eux pour ne pas avoir dennuis ». Le problème est que ce « Eux » tend à la fois à essentialiser lappartenance au judaïsme, à particulariser le rapport des Juifs de France à lidentité nationale (ils seraient des Français pas tout à fait comme les autres) et à assimiler, sur un mode simpliste, identité juive/Etat dIsraël.
En somme, cette forme de soutien « très franchouillard » à Israël conduit à faire des Juifs de France une « tribu » au sein de la Nation française, et renoue indirectement avec les vieux thèmes antisémites du siècle dernier. Du coup, loin de normaliser lEtat dIsraël en le considérant comme un « Etat comme les autres » - soumis aux mêmes règles du droit international que les Etats souverains ce type de soutien verse dans une relation malsaine qui consiste à faire de lEtat hébreu une sorte de « monstre géopolitique », que lon sinterdit surtout de critiquer. Pire, elle en vient à assimiler totalement identité juive et nationalité israélienne, en venant à accréditer lidée que les Juifs de France formeraient une sorte de « tribu dIsraël » au sein même de la Nation française.
La principale conséquence dune telle représentation communautarisante à lexcès du judaïsme, cest finalement de dépolitiser toute lecture ou interprétation du conflit, en le réduisant en un affrontement religieux séculaire entre « Juifs » et « Arabo-musulmans ». Loin de faire reculer lantisémitisme franco-français, cette posture communautarisante participe à lentretenir, en confortant lidée que la France serait constituée dune Majorité culturelle (catho-laïque) et de deux minorités, lune juive (minorité majorée), lautre musulmane (minorité minorée), que lon continue à traiter comme des parties exogènes du corps national. On en arrive à cette figure paradoxale dun sentiment pro-Israélien, se greffant sur une attitude globalement antisémite qui, si elle ne se traduit pas dans les actes, est, malgré tout, fortement ancrée dans les esprits franchouillards.
On comprend dès lors le succès, ces dernières années, du thème de « lantisémitisme arabo-musulman » qui fonctionne chez de nombreux Goys comme une entreprise de déculpabilisation collective, sur le registre : « Nous aimons Israël, les Juifs sont nos amis et les vrais antisémites sont les petits Beurs de banlieues qui pour des raisons religieuses sen prennent aux synagogues ».
La boucle est bouclée : la désignation dun ennemi commun (le Beur antisémite, le musulman antisioniste) permet de faire léconomie de toute réflexion critique sur les ressorts de lantisémitisme franco-français (qui sont loin dêtre éteints) et, surtout, de refouler toute lecture raisonnée et raisonnable de la politique de lEtat dIsraël, selon lidée : « Ce nest pas notre affaire, cest laffaire des Juifs et des Arabes ! ».
Du notable de province au leader national : le tabou israélien
Tout observateur averti de la vie politique française ne peut quêtre frappé par linconsistance totale du discours de nos responsables politiques sur la question dIsraël. Quand ils nadoptent pas purement et simplement une forme de mutisme (la peur de parler), les leaders politiques se réfugient souvent dans un discours prétendument pacifiste et équilibré sur le couplet désormais classique : « Nous sommes pour la sécurité totale dIsraël et aussi pour la création dun Etat palestinien ».
Là aussi, on pourrait croire que les leaders politiques français adhèrent majoritairement à la vision idyllique d« Israël, seule démocratie dans un océan de dictatures et de tyrannies arabes » ou encore à la représentation mythique d« Israël, incarnation suprême de lOccidentalité menacée par le despotisme arabo-musulman ». Il est vrai, quaux lendemains de la Seconde guerre mondiale et de la découverte des horreurs de la Shoah, le soutien occidental a Israël a pu jouer le rôle de purification démocratique et dexorcisme humaniste pour des Etats européens qui sétaient très largement compromis par leur collaboration active ou passive avec le national-socialisme. Encore aujourdhui, il est incontestable que le soutien à Israël participe de ce même processus de purification symbolique des sociétés européennes, coupables davoir « laisser faire » ou, pire, davoir participer, à lentreprise dextermination de six millions de Juifs.
Cest un sentiment de culpabilité parfaitement légitime et qui doit nous inciter à rester vigilants par rapport aux discours et aux actes antisémites qui refleurissent aujourdhui, notamment dans les nouvelles démocraties dEurope orientale mais aussi dans de nombreux pays arabo-musulmans, dont les régimes en faillite sont tentés dutiliser la haine du Juif à des fins populistes. Toutefois, lhypothèse de purification démocratique et dexpiation humaniste des crimes européens ne saurait expliquer à elle seule le soutien des responsables politiques français à lEtat dIsraël.
Il y aussi des raisons bassement matérielles qui relèvent précisément de ce complexe de lantisémitisme pro-israélien. Celui-ci procède dun rapport profondément ambivalent aux communautés juives locales, comme si celles-ci étaient dotées dun pouvoir magique de punition, de représailles et, encore davantage, de disqualification politique. Lidentification Juifs de France/Etat dIsraël est si fortement ancrée dans lesprit de nos responsables politiques français, quils la vivent comme une sorte dépée de Damoclès placée en permanence sur leur tête.
http://www.protection-palestine.org/spip.php?article7038
publié le jeudi 19 février 2009.
Dans ce texte inédit, le politologue Vincent Geisser essaye danalyser les ressorts de la position pro-Israël défendue par de nombreux responsables politiques, intellectuels et leaders dopinion en France. Adhésion affective ou calcul politique ? Position réfléchie ou simple opportunisme ? Culpabilité ou peur de déplaire ? Parmi les explications avancées, il y voit entre autres lexpression dune forme inversée dantisémitisme qui consiste à ethniciser à outrance lappartenance au judaïsme et à fantasmer lidée dune « puissance juive » dans lHexagone. En somme, judéophobes viscéraux et pro-Israéliens radicaux partagent le même préjugé : les Juifs formeraient une puissance occulte, quil faut combattre pour les uns, soutenir pour les autres. Au risque de surprendre, lantisémitisme goy est sans aucun doute lun des ressorts méconnus de ce soutien très franchouillard à lEtat dIsraël.
Une fascination malsaine pour lEtat dIsraël
Contrairement à une idée reçue, le premier soutien dIsraël en France procède moins de laction dun quelconque « lobby » mais dabord de la lâcheté et de lhypocrisie de nombreux leaders dopinion qui fantasment la puissance de la communauté juive. Leur relation à Israël se greffe moins sur un amour sincère pour lEtat hébreu que sur une représentation ethnicisante de la communauté juive qui flirte parfois avec lantisémitisme et débouche sur une posture politique : « Je suis avec Eux pour ne pas avoir dennuis ». Le problème est que ce « Eux » tend à la fois à essentialiser lappartenance au judaïsme, à particulariser le rapport des Juifs de France à lidentité nationale (ils seraient des Français pas tout à fait comme les autres) et à assimiler, sur un mode simpliste, identité juive/Etat dIsraël.
En somme, cette forme de soutien « très franchouillard » à Israël conduit à faire des Juifs de France une « tribu » au sein de la Nation française, et renoue indirectement avec les vieux thèmes antisémites du siècle dernier. Du coup, loin de normaliser lEtat dIsraël en le considérant comme un « Etat comme les autres » - soumis aux mêmes règles du droit international que les Etats souverains ce type de soutien verse dans une relation malsaine qui consiste à faire de lEtat hébreu une sorte de « monstre géopolitique », que lon sinterdit surtout de critiquer. Pire, elle en vient à assimiler totalement identité juive et nationalité israélienne, en venant à accréditer lidée que les Juifs de France formeraient une sorte de « tribu dIsraël » au sein même de la Nation française.
La principale conséquence dune telle représentation communautarisante à lexcès du judaïsme, cest finalement de dépolitiser toute lecture ou interprétation du conflit, en le réduisant en un affrontement religieux séculaire entre « Juifs » et « Arabo-musulmans ». Loin de faire reculer lantisémitisme franco-français, cette posture communautarisante participe à lentretenir, en confortant lidée que la France serait constituée dune Majorité culturelle (catho-laïque) et de deux minorités, lune juive (minorité majorée), lautre musulmane (minorité minorée), que lon continue à traiter comme des parties exogènes du corps national. On en arrive à cette figure paradoxale dun sentiment pro-Israélien, se greffant sur une attitude globalement antisémite qui, si elle ne se traduit pas dans les actes, est, malgré tout, fortement ancrée dans les esprits franchouillards.
On comprend dès lors le succès, ces dernières années, du thème de « lantisémitisme arabo-musulman » qui fonctionne chez de nombreux Goys comme une entreprise de déculpabilisation collective, sur le registre : « Nous aimons Israël, les Juifs sont nos amis et les vrais antisémites sont les petits Beurs de banlieues qui pour des raisons religieuses sen prennent aux synagogues ».
La boucle est bouclée : la désignation dun ennemi commun (le Beur antisémite, le musulman antisioniste) permet de faire léconomie de toute réflexion critique sur les ressorts de lantisémitisme franco-français (qui sont loin dêtre éteints) et, surtout, de refouler toute lecture raisonnée et raisonnable de la politique de lEtat dIsraël, selon lidée : « Ce nest pas notre affaire, cest laffaire des Juifs et des Arabes ! ».
Du notable de province au leader national : le tabou israélien
Tout observateur averti de la vie politique française ne peut quêtre frappé par linconsistance totale du discours de nos responsables politiques sur la question dIsraël. Quand ils nadoptent pas purement et simplement une forme de mutisme (la peur de parler), les leaders politiques se réfugient souvent dans un discours prétendument pacifiste et équilibré sur le couplet désormais classique : « Nous sommes pour la sécurité totale dIsraël et aussi pour la création dun Etat palestinien ».
Là aussi, on pourrait croire que les leaders politiques français adhèrent majoritairement à la vision idyllique d« Israël, seule démocratie dans un océan de dictatures et de tyrannies arabes » ou encore à la représentation mythique d« Israël, incarnation suprême de lOccidentalité menacée par le despotisme arabo-musulman ». Il est vrai, quaux lendemains de la Seconde guerre mondiale et de la découverte des horreurs de la Shoah, le soutien occidental a Israël a pu jouer le rôle de purification démocratique et dexorcisme humaniste pour des Etats européens qui sétaient très largement compromis par leur collaboration active ou passive avec le national-socialisme. Encore aujourdhui, il est incontestable que le soutien à Israël participe de ce même processus de purification symbolique des sociétés européennes, coupables davoir « laisser faire » ou, pire, davoir participer, à lentreprise dextermination de six millions de Juifs.
Cest un sentiment de culpabilité parfaitement légitime et qui doit nous inciter à rester vigilants par rapport aux discours et aux actes antisémites qui refleurissent aujourdhui, notamment dans les nouvelles démocraties dEurope orientale mais aussi dans de nombreux pays arabo-musulmans, dont les régimes en faillite sont tentés dutiliser la haine du Juif à des fins populistes. Toutefois, lhypothèse de purification démocratique et dexpiation humaniste des crimes européens ne saurait expliquer à elle seule le soutien des responsables politiques français à lEtat dIsraël.
Il y aussi des raisons bassement matérielles qui relèvent précisément de ce complexe de lantisémitisme pro-israélien. Celui-ci procède dun rapport profondément ambivalent aux communautés juives locales, comme si celles-ci étaient dotées dun pouvoir magique de punition, de représailles et, encore davantage, de disqualification politique. Lidentification Juifs de France/Etat dIsraël est si fortement ancrée dans lesprit de nos responsables politiques français, quils la vivent comme une sorte dépée de Damoclès placée en permanence sur leur tête.