La situation est assez inédite dans notre paysage politique… Le chef du gouvernement aime laisser libre cours à sa joie d’être lui ; alors il s’exprime et dit ce qu’il pense, attaque qui il veut et explique les choses comme il les voit, quand il les voit. La chose aurait été normale dans un pays démocratique, ou même dans un pays qui, comme le nôtre, balbutie en démocratie. Seulement voilà, la prolixité d’Abdelilah Benkirane tient lieu de politique, au lieu de présenter la sienne, et sa démarche prend de plus en plus la forme de l’invective et s’éloigne d’autant de la prospective, pensant sans doute qu’avec le trop-plein d’insultes, on peut régler le problème du pas assez de réformes…
Contrairement à ses prédécesseurs, Abdelilah Benkirane n’est donc ni terne ni taiseux. Il tonne, il donne de la voix, ouvre avec aisance sa boîte à gifles et agite le menton. Faisant des émules parmi ses ministres qui acceptent volontiers son bavoir. Le résultat est aussi étonnant que détonnant. Reprendre tous les mots, les bons mots et les noms d’animaux usant à décrire l’animosité du gouvernement contre ses contempteurs serait long et fastidieux. Mais pourquoi bouder ce petit florilège ?
M. Lahbib Choubani, homme austère, au regard difficile, et rigide du dogme, s’est senti offusqué par la robe d’une journaliste qu’il ne saurait voir (robe et femme), et lui a intimé l’ordre de quitter le parlement.
M. Hafid Elalamy, avec son élégance coutumière, qualifie l’étude réalisée par la CGEM sur la compétitivité de l’entreprise de « liste d’épicier ». Une fine analyse qui fera certainement plaisir auxdits épiciers.
M. Mohamed Louafa, virulent comme à son habitude contre toute velléité de grève, s’en prend aux boulangers grévistes en affirmant que les Marocains peuvent fort bien ne manger que du « mlaoui » (sorte de crêpe traditionnelle).
M. Aziz Rabbah, à ses premières heures de ministre, aimait immortaliser son goût pour la bissara dans la mahlaba la plus proche.
M. Abdelilah Benkirane, commentant la hausse des prix des produits laitiers, recommande aux populations venues l’écouter de reprendre la production à domicile du « raïb » (fromage fait à demeure). Et avant, il avait conseillé à Noureddine Ayouch de « monter une boutique », pour y « fourguer » ce qu’il veut.
Bienvenue donc au gouvernement « mahlaba »… il n’y a aucune honte à cela, sauf à en faire du populisme à bon marché et de mauvaise facture.
Mesdames et Messieurs les ministres devraient savoir que parler, c’est bien quand c’est utile, mais qu’il est bien plus utile, souvent, de ne rien dire. Et leur chef devrait en prendre de la graine, quitte à aller en acheter à la mahlaba du coin. Mais il faut dire qu’il a l’insulte chevillée au corps. Elu à la régulière, il ne paraît pas encore s’être fait à l’idée de la libre expression, un concept très certainement venu d’Occident.
Alors quand Ayouch développe une idée sur la darija, on peut être pour ou contre, mais Benkirane l’insulte. Quand Karim Tazi s’énerve contre el Khalfi, on peut le soutenir, l’applaudir ou le contredire, mais Benkirane, plus éruptif que jamais, l’injurie à son tour. Et le même sort est réservé à Samira Sitaïl et à d’autres encore… Le chef du gouvernement s’en prend même aux personnes morales, la dernière en date étant la Centrale laitière, qui a eu préalablement la délicatesse de sortir du giron de la SNI. Sinon, on peut raisonnablement douter de l’audace du chef du gouvernement.
Après deux ans et demi aux affaires, et en dépit de quelques grandes décisions courageuses, il faut le reconnaître (Smig, décompensation, retenues sur journées de grève, recrutement à l’administration), la façade de ce gouvernement suinte d’inutilité, pourrit avec une louable patience et une admirable constance, son étendard aussi dépenaillé que la tenue vestimentaire de ses fonctionnaires.
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