C'était quoi le Maroc de l'époque? Quels territoires?
Le royaume de Fez et de Maroc tel que dénommé par les chancelleries européennes de l'époque (Maroc désignant alors la ville de Marrakech) avait conservé la même organisation administrative et territoriale depuis le règne de Moulay Ismail (1672-1727). L'Empire chérifien était divisé en trois grandes structures que Younès Nekrouf nomme "vice-royautés" (cf son ouvrage sur l'amitié orageuse entre Moulay Ismail et Louis XIV), dirigées chacune par un khalifa du sultan : Fès, Marrakech et Tafilalt.
Concernant Mohammed III (Sidi Mohammed Ben Abdallah), celui-ci avait été d'abord khalifa de son père Abdallah à Marrakech. Particulièrement lié à cette ville, il avait choisi d'y établir sa résidence permanente une fois parvenu au trône. Il était donc tout naturellement sensibilisé aux affaires de cette partie du Maroc, ce qui explique l'attention portée à la frange côtière de cette région. Quand il était encore khalifa, Mohammed III avait en effet favorisé l'installation de commerçants étrangers surtout scandinaves et hollandais à Safi et à Agadir, où ils disposaient de comptoirs et étaient associés à la régie des douanes. Par la suite, l'intérêt du prince devenu sultan ne s'est pas démentie, comme l'illustre la fondation de Mogador (Essaouira).
On peut également mettre à l'actif de Mohammed III la reconquête de Mazagan (El Jadida) sur les Portugais qui y étaient présents jusqu'en 1769, ainsi que la fondation de Dar al Bayda (Casablanca) et de Fédala (Mohammédia).
La reconnaissance précoce des Etats-Unis par le sultan s'inscrit en fait dans la politique diplomatique extrêmement active déployée en ce temps par le Maroc, aussi bien en direction de l'Occident que de l'Empire ottoman. Il s'agissait pour le makhzen de restaurer sa visibilité et sa crédibilité sur la scène internationale après trois décennies (1727-1757) de conflits dynastiques et tribaux qui avaient miné la cohésion de l'Empire chérifien. Par la promotion du littoral atlantique et ses contacts répétés avec les puissances étrangères, on peut dire que Mohammed III fut clairvoyant et conscient des enjeux nouveaux qui se dessinaient au niveau de la géopolitique mondiale. Il chercha à nouer des liens parfois personnels avec différents dirigeants (en témoignent les lettres échangées avec le roi d'Espagne Charles III, avec le sultan ottoman Mustafa, avec le président Georges Washington), mais tout en établissant ainsi une logique de partenariat le souverain chérifien songea aussi à se doter d'une puissante marine de guerre et à protéger les côtes marocaines régulièrement bombardées ou harcelées par des escadres européennes.
Cependant les successeurs de Mohammed III, à partir de 1790, rompirent radicalement avec cette politique d'ouverture et choisirent au contraire une politique isolationniste qui n'est pas sans rappeler les volontés d'isolationnisme de certains autres pays comme le Japon de l'ère Tokugawa.