Le matérialisme et l'athéisme : Epicure

Le matérialisme et l'athéisme

Non, nous ne sommes pas les enfants d'Epicure : la consommation n'est qu'un fétichisme, autrement dit un ersatz de religion. Précisément ce qu'honnissait le père du matérialisme...

Contrairement à ce qui est souvent affirmé péremptoirement, notre société ne ressemble pas du tout à une société matérialiste. Elle cultive une adoration sans bornes pour les biens de consommation. Les logos et les marques comblent le vide laissé par la mort de Dieu. Cela n'a rien à voir avec le matérialisme, qui est une doctrine qui affirme la liberté et nous délivre des attachements douteux. Dans ce geste de détachement gît la grande leçon d'Epicure, le père de tous les matérialismes. Le goût de notre époque pour le clinquant et l'éphémère prouve que le matérialisme n'a pas triomphé. Mais alors qu'est-ce que le matérialisme, si étranger à notre société ? N'offre-t-il pas une issue pour s'extirper des maux dont souffre l'humanité ?

Athéisme et matérialisme sont en fait frères jumeaux, naissant d'un même refus, d'une même insurrection de l'esprit - vivre debout, dans la fierté d'être un homme. L'athéisme n'a rien de spontané. L'être humain est d'abord croyant, ou du moins crédule, l'imagination, faculté qui le détache des autres animaux, lui montrant des forces occultes et des dieux partout Le plus grand des philosophes anglais, le matérialiste Thomas Hobbes (1588-1679), renverse, dans son Léviathan, le caractère inné de la raison : " La raison ne naît pas avec nous... on l'atteint par industrie. " Or, dans l'histoire de l'espèce humaine, l'imagination, fabricatrice de dieux, précède la raison, dont le matérialisme et l'athéisme sont des résultats. A l'image de la liberté, l'athéisme est le fruit d'un travail, il représente un arrachement. Sommes-nous, hommes et femmes de l'Occident prospère, athées ? La désertion relative des cultes et la liberté des moeurs ne prouvent rien. La situation sociologique de notre époque, pointée par Nietzsche comme celle de la " mort de Dieu " , n'est donc pas un athéisme; c'est une indifférence, qui a fait glisser la crédulité vers d'autres objets (ceux de la consommation), et qui n'exclut pas un retour des formes anciennes de la religion. Certains hommes politiques continuent de présenter la religion comme une consolation devant les duretés de l'existence. La croyance en un au-delà ne sert-elle pas, dans ce cas de figure, à plier sans broncher devant les ravages de l'ultracapitalisme ?

Le bonheur est une conquête de la Révolution française. Il n'est pas un acquis social mais un acquis politique que l'on doit à l'athéisme. Le retour du spiritualisme dans la politique risque de mettre en péril cet acquis. L'athéisme vrai ne doit pas être confondu avec l'indifférence à Dieu, si fréquente dans les sociétés développées, qui s'accommodent de la paresse intellectuelle. Ce n'est pas seulement un point de vue philosophique. L'athéisme entraîne une conséquence politique aujourd'hui menacée : le bonheur comme but de la société.

Le matérialisme non plus n'a rien de spontané. Tout commença par l'audace d'un homme : un jour, sous le ciel peuplé de dieux et de temples de la Grèce antique, un mortel se dressa, osant s'opposer à la religion : l'Athénien Epicure, qui vécut entre 341 et 270 av. J.-C. Quelques siècles plus tard à Rome, Lucrèce, autre figure tutélaire du matérialisme, tisse l'éloge de ce moment fondateur : " Alors que, affreusement, sur Terre, l'humaine vie gisait écrasée sous le poids de la religion (...) pour la première fois un Grec, homme, mortel, leva les yeux contre elle. " Lucrèce voit dans Epicure le premier homme libre, le premier qui, ayant triomphé par la raison de la religion, la " religion ayant eu le dessous " doit " être foulée aux pieds " -, montrait à tous les autres le chemin.

Qui était donc ce héros de la raison qui pense, de la raison qui ose renverser les idoles, le premier philosophe matérialiste, Epicure ? Quelles étaient ses idées ? Le coup de force initial dont découle tout le matérialisme se réduit à une proposition première aux conséquences vertigineuses : il n'existe pas d'autre réalité que la matière. Autrement dit, il n'y a rien d'autre dans l'univers que des atomes et du vide. S'il y a des dieux, ils sont de nature matérielle - énoncé qui ruine définitivement toute croyance en l'existence d'êtres surnaturels. Adieu, anges, démons, esprits, revenants et divinités de toute texture! Le premier matérialisme, celui d'Epicure, ne se déclare pas explicitement athée; mais définir les dieux par leur nature matérielle revient à affirmer que ce que le langage ordinaire appelle dieux n'existe pas. Le matérialisme d'Epicure est un athéisme implicite.

 
Qui était donc ce héros de la raison qui pense, de la raison qui ose renverser les idoles, le premier philosophe matérialiste, Epicure ? Quelles étaient ses idées ? Le coup de force initial dont découle tout le matérialisme se réduit à une proposition première aux conséquences vertigineuses : il n'existe pas d'autre réalité que la matière. Autrement dit, il n'y a rien d'autre dans l'univers que des atomes et du vide. S'il y a des dieux, ils sont de nature matérielle - énoncé qui ruine définitivement toute croyance en l'existence d'êtres surnaturels. Adieu, anges, démons, esprits, revenants et divinités de toute texture! Le premier matérialisme, celui d'Epicure, ne se déclare pas explicitement athée; mais définir les dieux par leur nature matérielle revient à affirmer que ce que le langage ordinaire appelle dieux n'existe pas. Le matérialisme d'Epicure est un athéisme implicite.

On appelle l'épicurisme " l'école du Jardin " , du nom du lieu où Epicure enseignait et vivait au milieu de ses disciples. Loin de se limiter à une théorie, une représentation du monde, le matérialisme s'offre, dès le début, comme une sagesse et un art de vivre. Qui pense en matérialiste vit en matérialiste - autrement dit : le matérialisme implique une morale. Le Jardin se signalait par deux traits pacifiquement subversifs, eu égard aux opinions du monde grec : la reconnaissance des femmes, l'éloignement de la politique. Epicure, premier philosophe non misogyne, accueillait des femmes dans son école. " Pour vivre heureux, vivons cachés " , les Epicuriens furent les premiers philosophes apolitiques, snobant les affaires de la cité pour se consacrer à la recherche du bonheur.

Pourquoi philosopher ? Pourquoi vivre et penser en matérialiste ? Pour être heureux. Pour toucher au bonheur. Non pour sauver son âme dans un au-delà illusoire, ni pour apporter ses lumières à la cité, à la façon d'un philosophe retournant dans la caverne. On n'atteint le bonheur qu'après avoir chassé les illusions : illusions sur les dieux, sur la nature, sur la mort. Contrairement à ce que croient les autruches qui veulent détourner les yeux de la mortelle condition humaine, l'incompatibilité est radicale entre le bonheur et l'illusion. Le bonheur ne s'offre qu'aux yeux ouverts.

Guérir de la peur de la mort est la condition du bonheur. Le matérialisme prétend délivrer l'homme de cette peur aussi ancestrale qu'universelle. Le mot d'Epicure est connu : " La mort n'est rien pour nous. " Se convaincre - effet de la connaissance de la nature, la physique que la mort n'est rien dissipe la peur. Les religions, sous couvert de consolation, transforment cette peur en angoisse dans la mesure où elles accompagnent la promesse de la survie après la mort de la menace de sanctions aussi terribles qu'éternelles. Epicure nous révèle que la nature n'est pas magique, qu'il n'y a en elle ni intention ni finalité.

La nature ne peut pas nous vouloir du mal parce qu'elle ne peut rien vouloir du tout! En dissipant les peurs, la philosophie pacifie le coeur. La philosophie est la vraie doctrine de la paix, à la différence de la religion, qui ne cesse de passer du sel sur nos plaies et de souffler sur les braises dans le monde. La philosophie apporte paix, sérénité, elle est doctrine de la sagesse et non du salut La paix épicurienne est bien différente de la paix religieuse : cette dernière est source d'angoisses, de terreurs. Quel sera mon sort après le jugement, post mortem ? Ai-je bien ou mal agi ? Tout cela n'est-il pas mensonge ? Cette maladie est-elle signe du divin et cette guérison n'est-elle pas miraculeuse ? Foutaises! La paix d'Epicure efface toutes les peurs, assurant le règne de la sérénité sur le coeur.
 
Vous vous posez cette question ?
oui car la réponse de Robert Redeker n'est pas celle à laquelle on s'attendrait

Contrairement à ce qui est souvent affirmé péremptoirement, notre société ne ressemble pas du tout à une société matérialiste. Elle cultive une adoration sans bornes pour les biens de consommation. Les logos et les marques comblent le vide laissé par la mort de Dieu. Cela n'a rien à voir avec le matérialisme, qui est une doctrine qui affirme la liberté et nous délivre des attachements douteux. Dans ce geste de détachement gît la grande leçon d'Epicure, le père de tous les matérialismes. Le goût de notre époque pour le clinquant et l'éphémère prouve que le matérialisme n'a pas triomphé. Mais alors qu'est-ce que le matérialisme, si étranger à notre société ? N'offre-t-il pas une issue pour s'extirper des maux dont souffre l'humanité ?
 

ELMORITANI

Aka tonystark
VIB
oui car la réponse de Robert Redeker n'est pas celle à laquelle on s'attendrait

Contrairement à ce qui est souvent affirmé péremptoirement, notre société ne ressemble pas du tout à une société matérialiste. Elle cultive une adoration sans bornes pour les biens de consommation. Les logos et les marques comblent le vide laissé par la mort de Dieu. Cela n'a rien à voir avec le matérialisme, qui est une doctrine qui affirme la liberté et nous délivre des attachements douteux. Dans ce geste de détachement gît la grande leçon d'Epicure, le père de tous les matérialismes. Le goût de notre époque pour le clinquant et l'éphémère prouve que le matérialisme n'a pas triomphé. Mais alors qu'est-ce que le matérialisme, si étranger à notre société ? N'offre-t-il pas une issue pour s'extirper des maux dont souffre l'humanité ?

Notre société influencée par le capitalisme accordent à la consommation de biens un indicateur de succès et de bonheur, souvent la valeur d'un individu ( son statut social) est jugée selon les biens qu'il détient, on juge leur style de vie plutôt que leurs qualités humaines, on el voit avec les réseaux sociaux ou beaucoup s'affichent avec des images de voyages, de richesses, de luxe, certains vont jusque s'endetter ou acheter des faux pour se montrer...

Quand à "robert redecker" son terme "péremptoirement" je pense qu'il le concerne plutôt lui...
 
Les logos et les marques comblent le vide laissé par la mort de Dieu. Cela n'a rien à voir avec le matérialisme, qui est une doctrine qui affirme la liberté et nous délivre des attachements douteux.
le matérialisme est comme la science , il a besoin de faire des test et des expériences .
je vois la liberté dans l'imagination , c'est plus proche des maths , philosophie et la théorie .
 
le matérialisme est comme la science , il a besoin de faire des test et des expériences .
je vois la liberté dans l'imagination , c'est plus proche des maths , philosophie et la théorie .
Comment expliquer la persistance du rejet de l'athéisme et du matérialisme véritables ?

Pourquoi cette malédiction pesant sur la sagesse d'Epicure, l'hybris de La Mettrie, la lucidité de Marx ? Parce que le matérialisme est toujours libérateur. Il l'est dans l'élément de la critique sociale, en ce qu'il met en déroute certains pouvoirs assis sur les fictions théologiques (ainsi le matérialisme radical au siècle des Lumières, celui de La Mettrie), ou en ce qu'il révèle la réalité des rapports sociaux (Marx). Les impératifs économiques ne sont-ils pas les fictions théologiques d'aujourd'hui ? Parce qu'il est dangereux pour les puissances, en incitant les hommes à déserter les illusions qui assurent leur malheur, sur lesquelles pourtant reposent la richesse et le pouvoir.

Bref, le secret de la malédiction frappant cette philosophie, qui la rend aussi insupportable à la métaphysique grecque qu'à l'idéalisme économique et consumériste contemporain, tient à son essence : le matérialisme (qui admet l'athéisme comme une suite inévitable) est une pe
nsée incurablement réfractaire. Pourquoi l'athéisme est-il maudit ? Parce qu'il empêche de solder le bonheur tenu comme un acquis politique.
 
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