Le récit terrible d'une famille palestinienne
A Jabaliya, parmi les décombres, le récit terrible d'une famille palestinienne
GAZA ENVOYÉ SPÉCIAL
Parmi les bavures de Tsahal lors de l'opération "Plomb durci", la seule qui ait soulevé une grande émotion en Israël est celle qui concerne un médecin palestinien, Ezzedine Abou Al-Aish. Ce gynécologue obstétricien travaille dans un hôpital israélien près de Tel-Aviv.
Pendant la guerre, se trouvant à Jabaliya, il était interrogé régulièrement par la chaîne de télévision privée 10 sur ce qui se passait dans la bande de Gaza, interdite à la presse. Un soir, le 16 janvier, un jour avant le cessez-le-feu, il a appelé, complètement affolé, le journaliste israélien Shlomi Eldar pour lui faire part en direct du drame qu'il était en train de vivre, et demander de l'aide. Quatre de ses filles, plus deux autres de son frère Chihab venaient d'être touchées dans leur chambre par deux obus de char.
Des ambulances ont été envoyées au point de passage d'Erez pour recueillir les six jeunes filles mais, pour quatre d'entre elles, il était déjà trop tard. Bissan, 21 ans, Mayar, 14 ans, Aya, 13 ans, les trois filles du médecin et sa nièce Nour, 16 ans avaient été déchiquetées par les obus qui avaient sectionné la tête et les pieds de deux d'entre elles.
Ce carnage suscita beaucoup de questions dans l'opinion publique israélienne. Pourquoi l'armée avait-elle tiré sur un immeuble d'habitation ? Selon la première version officielle, des tirs provenaient de ce bâtiment et Tsahal avait répliqué. Lors d'une conférence de presse improvisée dans l'hôpital, le docteur Abou Al-Aish a été littéralement agressé par des femmes qui ont estimé que sa maison n'avait pas été ciblée par hasard, et ceci sans égard pour la détresse de cet homme, militant reconnu pour la paix avec Israël.
En revanche, Ehoud Olmert, le premier ministre, a avoué, dans un entretien au quotidien Maariv, vendredi 23 janvier, qu'il avait "pleuré" en voyant les images de cette tragédie. "Je me suis demandé si l'un de nos soldats avait tiré délibérément. Nous enquêtons pour savoir si les tirs venaient de notre côté, ce qui n'est pas certain", a-t-il ajouté.
De là est née la rumeur selon laquelle les quatre filles auraient pu être touchées par un missile Grad tiré par le Hamas car, comme l'a dit M. Olmert, "ce médecin palestinien travaillant dans un hôpital israélien était suspect de collaboration aux yeux des islamistes".
A Jabaliya, la pièce a été laissée intacte. Comme un témoignage de l'horreur. Le premier obus a arraché la fenêtre et semé la mort en éclatant. Le second, trente secondes plus tard, a constellé les murs et le plafond d'éclats d'acier, de sang et de touffes de cheveux, cisaillant les lits et les meubles.
Chihab, qui se trouvait dans la pièce voisine avec son frère médecin, raconte tout en détail. Il se remémore chaque seconde. "Bissan venait de nous proposer de faire du thé lorsque tout est arrivé. Au début, on a cru que c'était le gaz. Mais on a vite compris lorsqu'il y a eu une deuxième explosion." La suite est une description insoutenable, la quête désespérée vers des secours illusoires, le drapeau blanc au milieu des tirs, l'appel à la chaîne 10. Chayda, 11 ans, la nièce du médecin, est toujours dans le coma, le corps criblé d'éclats. Shada, 17 ans, son autre fille, devrait bientôt quitter l'hôpital.
Dans un panier d'osier, Rizek, le frère du médecin, a recueilli les fragments d'obus tachés de sang noirci. "C'est un crime de guerre. Tout le monde peut venir voir ce qui s'est passé. Nous avons tout gardé en l'état pour témoigner, pour garder les preuves", explique Chihab. "Il n'y avait pas de résistance, pas de coup de feu, pas de roquettes. Les Israéliens sont des menteurs", s'indigne cet homme qui ne comprend pas comment on peut tirer avec des chars sur des zones habitées par des civils. Il montre du doigt les contreforts de la colline Rayes où étaient positionnés les chars Merkava, à environ 1,5 kilomètre. Le secteur a été transformé en un paysage d'après-tsunami.
La terre est à nu. Plus une maison, plus un arbre, plus qu'un terrain lunaire où des familles déambulent à travers les ruines en attendant d'hypothétiques secours. Rizek s'emporte lorsque l'on évoque la possibilité d'un tir de Grad du Hamas émise par les Israéliens. Pourtant les trajectoires des obus dans les murs effondrés font plus penser à des tirs tendus qu'à des tirs plombés. "Nous voulons une enquête, insiste Chihab, et que les criminels que sont (Tzipi) Livni, (Ehoud) Barak et Olmert répondent de ce qu'ils ont fait."
Michel Bôle-Richard
Article paru dans l'édition "Le Monde" du 28.01.09.
A Jabaliya, parmi les décombres, le récit terrible d'une famille palestinienne
GAZA ENVOYÉ SPÉCIAL
Parmi les bavures de Tsahal lors de l'opération "Plomb durci", la seule qui ait soulevé une grande émotion en Israël est celle qui concerne un médecin palestinien, Ezzedine Abou Al-Aish. Ce gynécologue obstétricien travaille dans un hôpital israélien près de Tel-Aviv.
Pendant la guerre, se trouvant à Jabaliya, il était interrogé régulièrement par la chaîne de télévision privée 10 sur ce qui se passait dans la bande de Gaza, interdite à la presse. Un soir, le 16 janvier, un jour avant le cessez-le-feu, il a appelé, complètement affolé, le journaliste israélien Shlomi Eldar pour lui faire part en direct du drame qu'il était en train de vivre, et demander de l'aide. Quatre de ses filles, plus deux autres de son frère Chihab venaient d'être touchées dans leur chambre par deux obus de char.
Des ambulances ont été envoyées au point de passage d'Erez pour recueillir les six jeunes filles mais, pour quatre d'entre elles, il était déjà trop tard. Bissan, 21 ans, Mayar, 14 ans, Aya, 13 ans, les trois filles du médecin et sa nièce Nour, 16 ans avaient été déchiquetées par les obus qui avaient sectionné la tête et les pieds de deux d'entre elles.
Ce carnage suscita beaucoup de questions dans l'opinion publique israélienne. Pourquoi l'armée avait-elle tiré sur un immeuble d'habitation ? Selon la première version officielle, des tirs provenaient de ce bâtiment et Tsahal avait répliqué. Lors d'une conférence de presse improvisée dans l'hôpital, le docteur Abou Al-Aish a été littéralement agressé par des femmes qui ont estimé que sa maison n'avait pas été ciblée par hasard, et ceci sans égard pour la détresse de cet homme, militant reconnu pour la paix avec Israël.
En revanche, Ehoud Olmert, le premier ministre, a avoué, dans un entretien au quotidien Maariv, vendredi 23 janvier, qu'il avait "pleuré" en voyant les images de cette tragédie. "Je me suis demandé si l'un de nos soldats avait tiré délibérément. Nous enquêtons pour savoir si les tirs venaient de notre côté, ce qui n'est pas certain", a-t-il ajouté.
De là est née la rumeur selon laquelle les quatre filles auraient pu être touchées par un missile Grad tiré par le Hamas car, comme l'a dit M. Olmert, "ce médecin palestinien travaillant dans un hôpital israélien était suspect de collaboration aux yeux des islamistes".
A Jabaliya, la pièce a été laissée intacte. Comme un témoignage de l'horreur. Le premier obus a arraché la fenêtre et semé la mort en éclatant. Le second, trente secondes plus tard, a constellé les murs et le plafond d'éclats d'acier, de sang et de touffes de cheveux, cisaillant les lits et les meubles.
Chihab, qui se trouvait dans la pièce voisine avec son frère médecin, raconte tout en détail. Il se remémore chaque seconde. "Bissan venait de nous proposer de faire du thé lorsque tout est arrivé. Au début, on a cru que c'était le gaz. Mais on a vite compris lorsqu'il y a eu une deuxième explosion." La suite est une description insoutenable, la quête désespérée vers des secours illusoires, le drapeau blanc au milieu des tirs, l'appel à la chaîne 10. Chayda, 11 ans, la nièce du médecin, est toujours dans le coma, le corps criblé d'éclats. Shada, 17 ans, son autre fille, devrait bientôt quitter l'hôpital.
Dans un panier d'osier, Rizek, le frère du médecin, a recueilli les fragments d'obus tachés de sang noirci. "C'est un crime de guerre. Tout le monde peut venir voir ce qui s'est passé. Nous avons tout gardé en l'état pour témoigner, pour garder les preuves", explique Chihab. "Il n'y avait pas de résistance, pas de coup de feu, pas de roquettes. Les Israéliens sont des menteurs", s'indigne cet homme qui ne comprend pas comment on peut tirer avec des chars sur des zones habitées par des civils. Il montre du doigt les contreforts de la colline Rayes où étaient positionnés les chars Merkava, à environ 1,5 kilomètre. Le secteur a été transformé en un paysage d'après-tsunami.
La terre est à nu. Plus une maison, plus un arbre, plus qu'un terrain lunaire où des familles déambulent à travers les ruines en attendant d'hypothétiques secours. Rizek s'emporte lorsque l'on évoque la possibilité d'un tir de Grad du Hamas émise par les Israéliens. Pourtant les trajectoires des obus dans les murs effondrés font plus penser à des tirs tendus qu'à des tirs plombés. "Nous voulons une enquête, insiste Chihab, et que les criminels que sont (Tzipi) Livni, (Ehoud) Barak et Olmert répondent de ce qu'ils ont fait."
Michel Bôle-Richard
Article paru dans l'édition "Le Monde" du 28.01.09.