kamomille
VIB
Article tiré du Jeudi, hebdomadaire luxembourgeois
Casablanca, envoyé spécial
À 41 ans, Abdrahman El Kafil peut être satisfait du chemin parcouru : cet ingénieur de formation natif de Gosselies, en Belgique, dirige aujourd’hui sa propre entreprise, Nextma, une société spécialisée dans les logiciels libres. Le siège de Nexma ? À Casablanca, la ville symbole du boom économique du Maroc, le pays dont les parents de l’entrepreneur sont originaires. « En quittant la Belgique il y a deux ans, j’ai laissé derrière moi un marché saturé avec peu de croissance, explique M. El Kafil. Au Maroc, au contraire, les potentialités sont très fortes, notamment dans le secteur du multimédia ».
Le cas d’Abdrahman El Kafil, né en Europe de parents marocains, et aujourd’hui installé au Maroc, est loin d’être isolé. Nawal El Kahlaoui, 35 ans, née à Mantes-la-Jolie, dans la banlieue parisienne, dirige une société de marketing à Casablanca. Hassan Bezzazi, jeune ardéchois de 29 ans, organise des randonnées VTT dans les montagnes de l’Atlas. Redouan M’faddel, né à Dreux en 1970, dirige avec son frère le Groupe Yasmine, acteur important de l’immobilier marocain. Brahim C. (il ne veut pas que son nom soit mentionné), fils de chauffeur de bus, a grandi à Schaerbeek, le quartier immigré de Bruxelles. Basé à Agadir depuis trois ans, il compte parmi les réalisateurs de films les plus productifs du Maroc. Mohamed Ezzouak, fils d’ouvrier à Oyannax, dans l’Ain, gère de Casablanca Yabiladi.com, le premier site consacré à la diaspora marocaine du monde entier. Samira Abaragh, née en 1973 à Hardricourt (78), occupe le poste d’assistante de direction à la Cosumar, la grande entreprise sucrière du Maroc. Etc, etc… On pourrait multiplier à l’infini les exemples de ces « retours » des enfants d’immigrés dans le pays de leurs parents.
Pourquoi un tel phénomène ? Parce que le Maroc est en pleine expansion, et que « les sociétés qui s’y installent sont à la recherche de cadres formés en Europe et en même temps capables de comprendre la culture du pays », répond Paul Mercier, responsable de la zone Afrique dans le cabinet de recrutement Michael Page. Avec une croissance économique supérieure à 6%, de réels progrès dans les libertés démocratiques, et certaines villes très occidentalisées comme Casablanca, Rabah ou Marrakech, le Maroc a tout pour attirer une jeunesse européenne désireuse d’entreprendre. L’offshoring, secteur phare de cette croissance, draine une bonne partie de ces enfants de l’immigration. Brahim Belahmr illustre à merveille le phénomène. À 36 ans, ce fils de paysans du sud marocain est en train d’écrire une des plus belle success story de ce nouveau Maroc économique. D’ici la fin de l’année, il va emménager dans 1800 mètres carrés de bureau qu’il a fait construire à Sidi Maarouf, le quartier de Casablanca en passe de devenir la capitale de l’offshoring : Capgemini, Atos, Accenture, BNP Parisbas y ont déjà leurs bureaux réservés, employant des centaines d’ingénieurs et de développeurs. Bram’s Technologie, la société créée par M. Belahmr, emploie « seulement » 80 personnes, dont 70% d’ingénieurs… « Fin 2000, lorsque j’ai commencé, un ingénieur sorti de Mohammadia (la n°1 des Grandes Écoles marocaines, ndlr) se recrutait à 7000 Dirhams (700 euros). Mais aujourd’hui, avec le boom de l’offshoring, ces diplômés savent qu’ils sont recherchés, et leurs salaires a doublé ».
Qu’à cela ne tienne ! Tout en consolidant la croissance de sa société marocaine, Brahim Belahmr est en train de mettre sur pied une filiale à Alger. « Là-bas, explique le jeune entrepreneur, les ingénieurs ne sont pas encore aussi demandé qu’au Maroc. Leurs exigences de salaire restent raisonnables. » Pendant des décennies, le père de M. Belahmr a tenu une épicerie en bas de la rue Lepic, à Paris. « Une vraie épicerie arabe, ouverte de midi à six heures du matin ! », s’amuse le fils. Diplômé de l’école d’ingénieurs des Arts et Métiers, puis de l’ESCP, la prestigieuse École supérieure de commerce de Paris, le jeune Brahim a démarré en 2000 avec 10000 euros prêtés par son père. Il embauche deux personnes, puis dix, puis trente,… Il y a un an, « presque inquiet » de la croissance vertigineuse de son entreprise, il recherche un Directeur général. Et trouve Jamal Benhamou, un franco-marocain né à Neuilly. « On est pareil, on se comprend sur tout, se justifie Brahim Belahmr. Avec les Marocains, ce n’est pas tout à fait la même chose… ».
Les autres pays du Maghreb ne connaissent pas un tel phénomène de « retour » des élites issues de l’immigration . L’Algérie, pourtant, avec un taux de croissance de 5% prévu en 2008, et de fortes liquidités accumulées grâce aux recettes pétrolières, pourrait représenter une destination très attractive pour de jeunes cadres ambitieux. « Mais contrairement au Maroc, il n’existe en Algérie aucune véritable stratégie pour attirer les enfants d’immigrés dotés d’un parcours d’excellence, regrette Fetah Ouzzani, président de REAGE, le Réseau des Algériens diplômés des Grandes Écoles.
L’Algérie n’a pas encore dépassé l’ère du capitalisme familial, où le recrutement fonctionne par piston. Alors qu’au Maroc, cela fait déjà dix ans que l’économie est passée aux mains des meilleurs diplômés ». Et puis l’environnement n’est pas le même. Avec ses magasins, ses bars et restaurants, et ses mœurs de plus en plus ouverts, la vie dans certaines grandes villes marocaines peut ressembler à celles que l’on mène en Europe.
À côté, l’Algérie n’offre que terrorisme larvé, démocratie confisquée et conservatisme des mœurs difficilement supportables à toute personne qui a grandi en Europe. Même si des cas isolés existent cependant, comme celui, par exemple, de Mohamed Djama. Ce fils de mineur kabyle vient de lancer sa première chaîne de montage pour la fabrication de consommables médicaux à Bejaia (Algérie), la ville d’origine de son père. En s’installant en Algérie, M. Djama a pu bénéficier des quelques avantages accordés aux investisseurs étrangers : réduction de la TVA sur ses machines, allègement des charges sociales, exonération d’impôts pendant trois ans… « Cela est appréciable. Mais par contre, quelle galère pour venir à bout de toutes les formalités administratives ! En tout, cela m’a bien pris quatre ans, contre un an et demi pour un projet équivalent en France.
En Algérie lorsqu'une grosse société étrangère veut s'installer, elle a l'appui du gouvernement qui fait en sorte que toutes les portes s'ouvrent et que les délais administratifs soient raisonnables. Lorsqu’il s’agit d’un petit investisseur comme moi, c’est beaucoup plus difficile… ».
Casablanca, envoyé spécial
À 41 ans, Abdrahman El Kafil peut être satisfait du chemin parcouru : cet ingénieur de formation natif de Gosselies, en Belgique, dirige aujourd’hui sa propre entreprise, Nextma, une société spécialisée dans les logiciels libres. Le siège de Nexma ? À Casablanca, la ville symbole du boom économique du Maroc, le pays dont les parents de l’entrepreneur sont originaires. « En quittant la Belgique il y a deux ans, j’ai laissé derrière moi un marché saturé avec peu de croissance, explique M. El Kafil. Au Maroc, au contraire, les potentialités sont très fortes, notamment dans le secteur du multimédia ».
Le cas d’Abdrahman El Kafil, né en Europe de parents marocains, et aujourd’hui installé au Maroc, est loin d’être isolé. Nawal El Kahlaoui, 35 ans, née à Mantes-la-Jolie, dans la banlieue parisienne, dirige une société de marketing à Casablanca. Hassan Bezzazi, jeune ardéchois de 29 ans, organise des randonnées VTT dans les montagnes de l’Atlas. Redouan M’faddel, né à Dreux en 1970, dirige avec son frère le Groupe Yasmine, acteur important de l’immobilier marocain. Brahim C. (il ne veut pas que son nom soit mentionné), fils de chauffeur de bus, a grandi à Schaerbeek, le quartier immigré de Bruxelles. Basé à Agadir depuis trois ans, il compte parmi les réalisateurs de films les plus productifs du Maroc. Mohamed Ezzouak, fils d’ouvrier à Oyannax, dans l’Ain, gère de Casablanca Yabiladi.com, le premier site consacré à la diaspora marocaine du monde entier. Samira Abaragh, née en 1973 à Hardricourt (78), occupe le poste d’assistante de direction à la Cosumar, la grande entreprise sucrière du Maroc. Etc, etc… On pourrait multiplier à l’infini les exemples de ces « retours » des enfants d’immigrés dans le pays de leurs parents.
Pourquoi un tel phénomène ? Parce que le Maroc est en pleine expansion, et que « les sociétés qui s’y installent sont à la recherche de cadres formés en Europe et en même temps capables de comprendre la culture du pays », répond Paul Mercier, responsable de la zone Afrique dans le cabinet de recrutement Michael Page. Avec une croissance économique supérieure à 6%, de réels progrès dans les libertés démocratiques, et certaines villes très occidentalisées comme Casablanca, Rabah ou Marrakech, le Maroc a tout pour attirer une jeunesse européenne désireuse d’entreprendre. L’offshoring, secteur phare de cette croissance, draine une bonne partie de ces enfants de l’immigration. Brahim Belahmr illustre à merveille le phénomène. À 36 ans, ce fils de paysans du sud marocain est en train d’écrire une des plus belle success story de ce nouveau Maroc économique. D’ici la fin de l’année, il va emménager dans 1800 mètres carrés de bureau qu’il a fait construire à Sidi Maarouf, le quartier de Casablanca en passe de devenir la capitale de l’offshoring : Capgemini, Atos, Accenture, BNP Parisbas y ont déjà leurs bureaux réservés, employant des centaines d’ingénieurs et de développeurs. Bram’s Technologie, la société créée par M. Belahmr, emploie « seulement » 80 personnes, dont 70% d’ingénieurs… « Fin 2000, lorsque j’ai commencé, un ingénieur sorti de Mohammadia (la n°1 des Grandes Écoles marocaines, ndlr) se recrutait à 7000 Dirhams (700 euros). Mais aujourd’hui, avec le boom de l’offshoring, ces diplômés savent qu’ils sont recherchés, et leurs salaires a doublé ».
Qu’à cela ne tienne ! Tout en consolidant la croissance de sa société marocaine, Brahim Belahmr est en train de mettre sur pied une filiale à Alger. « Là-bas, explique le jeune entrepreneur, les ingénieurs ne sont pas encore aussi demandé qu’au Maroc. Leurs exigences de salaire restent raisonnables. » Pendant des décennies, le père de M. Belahmr a tenu une épicerie en bas de la rue Lepic, à Paris. « Une vraie épicerie arabe, ouverte de midi à six heures du matin ! », s’amuse le fils. Diplômé de l’école d’ingénieurs des Arts et Métiers, puis de l’ESCP, la prestigieuse École supérieure de commerce de Paris, le jeune Brahim a démarré en 2000 avec 10000 euros prêtés par son père. Il embauche deux personnes, puis dix, puis trente,… Il y a un an, « presque inquiet » de la croissance vertigineuse de son entreprise, il recherche un Directeur général. Et trouve Jamal Benhamou, un franco-marocain né à Neuilly. « On est pareil, on se comprend sur tout, se justifie Brahim Belahmr. Avec les Marocains, ce n’est pas tout à fait la même chose… ».
Les autres pays du Maghreb ne connaissent pas un tel phénomène de « retour » des élites issues de l’immigration . L’Algérie, pourtant, avec un taux de croissance de 5% prévu en 2008, et de fortes liquidités accumulées grâce aux recettes pétrolières, pourrait représenter une destination très attractive pour de jeunes cadres ambitieux. « Mais contrairement au Maroc, il n’existe en Algérie aucune véritable stratégie pour attirer les enfants d’immigrés dotés d’un parcours d’excellence, regrette Fetah Ouzzani, président de REAGE, le Réseau des Algériens diplômés des Grandes Écoles.
L’Algérie n’a pas encore dépassé l’ère du capitalisme familial, où le recrutement fonctionne par piston. Alors qu’au Maroc, cela fait déjà dix ans que l’économie est passée aux mains des meilleurs diplômés ». Et puis l’environnement n’est pas le même. Avec ses magasins, ses bars et restaurants, et ses mœurs de plus en plus ouverts, la vie dans certaines grandes villes marocaines peut ressembler à celles que l’on mène en Europe.
À côté, l’Algérie n’offre que terrorisme larvé, démocratie confisquée et conservatisme des mœurs difficilement supportables à toute personne qui a grandi en Europe. Même si des cas isolés existent cependant, comme celui, par exemple, de Mohamed Djama. Ce fils de mineur kabyle vient de lancer sa première chaîne de montage pour la fabrication de consommables médicaux à Bejaia (Algérie), la ville d’origine de son père. En s’installant en Algérie, M. Djama a pu bénéficier des quelques avantages accordés aux investisseurs étrangers : réduction de la TVA sur ses machines, allègement des charges sociales, exonération d’impôts pendant trois ans… « Cela est appréciable. Mais par contre, quelle galère pour venir à bout de toutes les formalités administratives ! En tout, cela m’a bien pris quatre ans, contre un an et demi pour un projet équivalent en France.
En Algérie lorsqu'une grosse société étrangère veut s'installer, elle a l'appui du gouvernement qui fait en sorte que toutes les portes s'ouvrent et que les délais administratifs soient raisonnables. Lorsqu’il s’agit d’un petit investisseur comme moi, c’est beaucoup plus difficile… ».