Le sans-faute libéral de najat vallaud-belkacem

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2016 aura été une année riche en « réformes ». Bien-sûr la réforme du collège qui a diminué les heures d’enseignement fondamentaux dispensés par des professeurs experts de leur discipline au profit d’un saupoudrage transdisciplinaire en forme d’animation. Mais aussi la sape des enseignements sélectifs au nom de l’égalité républicaine: latin, allemand, pourtant justement plébiscités comme des havres de paix éducative et culturelle au sein des quartiers populaires survoltés. Et puis, les EPI montrent combien le contenu importe peu: le littéral, l’évident, l’immédiat au détriment de l’analyse et du cumul d’opérations complexes, trop discriminant, a été préféré dans les exemples récents publiés par les manuels scolaires. La fabrique du crétin prophétisée par Brighelli est donc bien en marche dans nos collèges: on apprend moins, puisqu’on fournit une matière moins ambitieuse, moins abstraite, moins complexe et moins exigeante à nos élèves, en prenant désormais comme référence ceux qui n’y arrivent pas. C’est bien la baisse des niveaux.

Un signe qui ne trompe d’ailleurs pas: depuis deux ans, le privé recrute comme jamais, attirant de plus en plus de classes moyennes et supérieures qui veulent préserver pour leur enfant un enseignement exigeant, et une sélection des élèves qui garantit souvent un niveau homogène et pour les enseignants, un programme plus aisé à faire passer.

2016 aura vu aussi l’annonce du bac en 5 ans : en gros, un lycéen médiocre et laborieux se verra quand même attribuer un baccalauréat au terme d’un chemin de croix long de cinq années et dont on peut se demander quelle réelle crédibilité et même quelle valeur il aura aux yeux du recruteur lorsque ce dernier verra qu’il aura fallu une demi-décennie à son postulant pour obtenir ce que tout lycéen lambda obtient sans difficulté en un an chrono. Le détail drôle sera qu’on pourra quand même conférer la mention Très Bien à un candidat qui aura peiné pour obtenir son bac en cinq ans, ne travaillant s’il le souhaite que deux matières par an. Le paresseux qui saura doser son effort sera quand même récompensé, c’est désormais la loi. Najat Vallaud-Belkacem a donc déconnecté le travail et l’effort du mérite et de la récompense, c’est désormais acté.
 
On avait en outre déjà pris en pleine figure la baisse des exigences du bac: les barèmes de langues vivantes (faisant passer de 12 à 16 , le 14 ayant été supprimé et conduisant mécaniquement nombre de correcteurs à mettre 16 plutôt qu’un petit 12), les consignes de correction de plus en plus « bienveillantes » (comprendre: complaisantes). Ainsi pour le bac de français dans l’épreuve anticipée de français (sanctionnant 11 ans d’études en français) les correcteurs étaient l’an dernier invités à accepter les devoirs sans structure et sans rapport avec la question posée, autrement dit, hors-sujet. Cela parait fou mais cela était écrit noir sur blanc dans les consignes de correction de mon académie (Aix-Marseille) et m’obligeaient donc à valider des fautes ne correspondant jamais qu’à l’inverse de la rigueur à laquelle je m’emploie toute l’année à former mes élèves. On marchait donc déjà sur la tête.

La dernière trouvaille en date, en forme d’apothéose, pour ce mois de mai 2016 est l’annonce de l’application d’un décret datant de 2014 sur les redoublements rebaptisés maintiens, et désormais « exceptionnels », autrement dit, raréfiés, indépendamment de l’expertise raisonnée des conseils de classe ou des commissions éducatives. Le principe est le « passage automatique ». Ainsi, tout élève qui entre en seconde générale, est assuré d’aller sans embûche jusqu’en terminale. Cela nous est présenté évidemment comme un progrès et un gain d’humanité. En vérité, les effets pervers sont comme des coups de massue sur le nez de l’élève, grand cocu de l’histoire, car très loin d’imaginer qu’on ne veut pas son bien, mais alors pas du tout, du tout. La rue de Grenelle pour s’assurer que plus aucun redoublement ne sera possible, a ni plus ni moins supprimé la case « redoublement » dans les formulaires entérinant les orientations de fin de seconde validées en conseil de classe de fin de seconde. Le conseil de classe censément expert et souverain (en vérité consultatif et contraint) n’a plus que le choix d’envoyer l’enfant, même en échec avéré, au casse-pipe dans la classe supérieure, où il ne manquera pas de confirmer ses lacunes. Derrière ce laissez-passer il y a bien-sûr des économies considérables. Time is money, et à l’Education Nationale mieux qu’ailleurs on l’a compris. Faire passer l’élève d’une classe à l’autre diminue le nombre de lycéens et réduit le nombre d’enseignants à payer.
 
Mais plus largement, derrière ce mensonge éhonté (tel qu’on laisse croire à l’élève qu’il sera forcément apte et validé, sans l’obliger à un réel travail ni un réel examen de son potentiel) c’est faire croire à l’élève (et sa famille trop heureuse de le croire) qu’il a le niveau requis. Au même moment, les échecs en licence en fac explosent et les profs du supérieur ne cessent de nous reprocher de ne pas écluser les lycéens. Sauf qu’on n’en a plus le pouvoir, la loi nous imposant désormais de jouer les plantes vertes aux conseils de classe, pour nous faire endosser le rôle de simples chambres d’enregistrement, qui ne font qu’applaudir sans broncher des taux de passage mirobolants en classe supérieure, sans plus considérer les aptitudes de l’élève. En nous mettant le stylo sur la tempe (vous cochez « passage en première » à la fin de la seconde, même si l’élève a 5 de moyenne générale), le professeur est mis en position de devoir confondre l’élève méritant et l’élève inapte, le travailleur et le réfractaire qui seront en fin de compte tous également adoubés. Plus contraire à la notion de « méritocratie », tu meurs.


Dommage collatéral: les lycéens les moins aptes (à suivre une première générale) et qu’il faudra quand même diriger en classe de première et sachant – et le détail est d’importance- que la case « réorientation conseillée en lycée professionnel » a elle-aussi été supprimée des formulaires de fin de seconde, étant réservée désormais aux orientations précoces et souvent subies de fin de troisième) , seront forcément orientés vers les premières technologiques de type « STMG » (le fameux bac G, une fois rebaptisé) : dans ces classes sont déjà concentrés, au grand désespoir des collègues, les élèves les moins scolaires et les moins motivés. Désormais la voie technologique est renforcée en tant que voie de garage ou filière-poubelle, et c’est le résultat direct de la politique ministérielle. L’écart entre les filières dites d’excellence (S, internationales …) et les filières-déchets (technologiques) déjà considérable ne manquera pas d’être désormais béant, les bons élèves ou les mieux informés, iront sans doute il faut le prévoir, toujours plus s’engouffrer dans les filières ou les lycées sélectifs (privés notamment) pour échapper à des classes de première et de terminale encombrées et de plus en plus invivables, car ne nous y trompons pas, accepter massivement et sans barrage ni surplus de formation, des élèves en échec va augmenter la crispation et les phénomènes de turbulence car un adolescent en échec c’est potentiellement un adolescent qui exprime sa souffrance par de la déconcentration, de l’agressivité ou de la rébellion. Cela nous promet un lycée ingérable, et des classes-ghettos comme aucun gouvernement de droite n’en a même sans doute jamais rêvées.
 
Bien-sûr, on se fiche que l’élève dont la scolarité au lycée aura été un long martyre (car passer sans avoir le niveau de classe en classe c’est creuser et confirmer toujours plus ses lacunes) obtienne au bout du compte un tout petit bac, souvent obtenu au rattrapage ou en plusieurs années, sans mention donc sans gloire ni réelle valeur sur le marché du post-bac. Avec son mini-bac ric-rac, l’élève fera un candidat idéal aux formations courtes (BTS, DUT, IUT, licences pro) qui pour nos statistiques nationales seront intéressantes; très vite, en études courtes, le lycéen devenu étudiant sera comptabilisé comme en formation voire salarié, donc sortira de nos taux de chômeurs.

On pourra même le remercier de repiquer une, deux années de licence, de se réorienter de licence à BTS etc. Tous ces échecs et ces stagnations (car dans le supérieur, là oui, on redouble !) feront rentrer de l’argent dans les caisses vides des universités et des structures académiques post-bac.

Le lycéen aisément validé devenu un étudiant souffreteux est une manne à fric. On a besoin que tant qu’il est au lycée et nous coûte de l’argent (engageant les dépenses publiques de l’Etat) il réussisse et sorte vite du système; on a besoin qu’au début du post-bac il échoue un peu (en tout cas, on fermera les yeux) car là, il sera source de revenus pour l’Etat en payant des droits d’inscription à répétition. Tout l’équilibre budgétaire est là: jusqu’à un certain point, il ne faut surtout pas que le lycéen en échec nous coûte, tandis que jusqu’à un certain point, il est intéressant que l’étudiant en échec nous rapporte.
 
Reste au bout de la chaîne, de façon ultime, à lui faire adopter la formation idéale (la formation courte), et à le faire vite entrer sur le marché du travail comme précaire, cet employé rêvé qui n’est pas chômeur dans nos statistiques mais demeure trop pauvre pour demander son reste (et réclamer par exemple une augmentation, une reconnaissance ou un vrai code du travail). Le lycéen laborieux devenu bachelier ric-rac devenu étudiant hasardeux devenu petit salarié précaire (intérimaire, stagiaire rémunéré au lance-pierre), qu’osera-t-il revendiquer? Trop heureux d’avoir fini par obtenir quelque chose au bout de cette pénible scolarité, il sera ravi d’enchaîner les CDD sous-payés et finira par s’habituer sans trop rechigner à sa condition. Pour faire passer en douceur la pilule libérale, le tour est joué.

Alors je comprends en cette année 2016 que tout se tient, dans cette réforme éducative couplée à la réforme du code du travail, la même année, eh oui.

Bien-sûr, comme souvent, je m’étonne que les fédérations de parents d’élèves si promptes à s’insurger ne trouvent là pas matière à se soulever et demander des comptes au ministère censé former leur enfant et leur fournir un avenir digne de ce nom.
Nous enseignants cela va nous faire jouer les Néron, chaque jour à contempler des désastres, des échecs patents sous nos yeux conscients, et en toute impuissance. Nous n’avions pas signé pour cela, quand nous avons embrassé la carrière. Je ne suis pas devenue prof pour regarder mes élèves se faire broyer ou duper.

De la formation à l’insertion professionnelle, en passant par la validation au diplôme, tout est abaissé, raboté, minoré. De petits lycéens feront de faibles diplômés qui feront de dociles employés. Macron, Vallaud-Belkacem, même combat, ou les deux faces d’une même pièce, où la jeunesse est la grande perdante, au sein d’un système drôlement bien ficelé, avec un machiavélisme inédit.


Source: http://prof.blog.lemonde.fr/2016/06/08/le-sans-faute-liberal-de-najat-vallaud-belkacem/
 
Bien-sûr, comme souvent, je m’étonne que les fédérations de parents d’élèves si promptes à s’insurger ne trouvent là pas matière à se soulever et demander des comptes au ministère censé former leur enfant et leur fournir un avenir digne de ce nom.
Nous enseignants cela va nous faire jouer les Néron, chaque jour à contempler des désastres, des échecs patents sous nos yeux conscients, et en toute impuissance. Nous n’avions pas signé pour cela, quand nous avons embrassé la carrière. Je ne suis pas devenue prof pour regarder mes élèves se faire broyer ou duper.

De la formation à l’insertion professionnelle, en passant par la validation au diplôme, tout est abaissé, raboté, minoré. De petits lycéens feront de faibles diplômés qui feront de dociles employés. Macron, Vallaud-Belkacem, même combat, ou les deux faces d’une même pièce, où la jeunesse est la grande perdante, au sein d’un système drôlement bien ficelé, avec un machiavélisme inédit.


Source: http://prof.blog.lemonde.fr/2016/06/08/le-sans-faute-liberal-de-najat-vallaud-belkacem/

Tous les français veulent que leurs enfants aient le bac, même ceux qui ont 500 mots de vocabulaire. Il veulent aussi pouvoir entrer sans sélection à l'université : le gouvernement applique donc la démocratie, même si c'est pour faire des trucs nuls qui se retournent finalement contre les prolos qui ont voté pour lui. Les bourgeois, eux, savent comment contourner le système, et donc s'en moquent.
 
Tous les français veulent que leurs enfants aient le bac, même ceux qui ont 500 mots de vocabulaire. Il veulent aussi pouvoir entrer sans sélection à l'université : le gouvernement applique donc la démocratie, même si c'est pour faire des trucs nuls qui se retournent finalement contre les prolos qui ont voté pour lui. Les bourgeois, eux, savent comment contourner le système, et donc s'en moquent.
C'est tout à fait cela. des mesures populistes pour éteindre la moindre envie de révolte ou le moindre sentiment d'insatisfaction.

J'ajouterais aussi que cela arrange bien les gouvernements divers d'avoir une bonne partie de la population incapable de former le moindre raisonnement ou pire de s'exprimer correctement dans la langue du pays. Comment alors formaliser clairement une pensée intelligible?
 
« La dictature parfaite serait une dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s'évader. Un système d'esclavage où, grâce la consommation et au divertissement, les esclaves auraient l'amour de leur servitude ... »
Aldous Huxley, Le Meilleur Des Mondes
 
C'est tout à fait cela. des mesures populistes pour éteindre la moindre envie de révolte ou le moindre sentiment d'insatisfaction.

J'ajouterais aussi que cela arrange bien les gouvernements divers d'avoir une bonne partie de la population incapable de former le moindre raisonnement ou pire de s'exprimer correctement dans la langue du pays. Comment alors formaliser clairement une pensée intelligible?

Ce qui est valable pour la majorité des "sans dents" reste dramatique pour les enfants issus des ex colonies.
 
Ce qui est valable pour la majorité des "sans dents" reste dramatique pour les enfants issus des ex colonies.
Oui, notamment quand les parents ne savent peu ou pas lire, ou ne connaissent que très peu le système d'orientation qui est un chaos sans nom...
Le système est assez discriminatoire, à n'en pas douter.
Plus le système de carte scolaire, les lycées/collèges de ZEP où le niveau est encore plus bas, avec nivellement par le bas...
 
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