Interview de Tom SEGEV Nouvel Historien israélien. Vincent Hugeux, publié le 01/11/2001 - mis à jour le 06/11/2008 L'Express.
En quoi la légende trahit-elle la vérité?
On ne peut plus soutenir qu'Israël a acquiescé à tous les appels au dialogue. Un exemple: dans les années 50, le fils du président syrien d'alors, Zaïm, vient quémander l'ouverture d'un dialogue avec Ben Gourion. L'offre prévoit notamment l'accueil en Syrie de 300 000 Palestiniens. Réponse: nous avons tout notre temps, la question des réfugiés se résoudra d'elle-même. Autre épisode, puisé dans les archives de l'Agence juive, dont les chefs traitent un jour d'un afflux attendu d'immigrants de Pologne. Qu'en faire? Tout le monde s'accorde pour épargner à ces Européens le sort de 100 000 juifs venus des pays arabes. «Pas question de les parquer sous la tente, soutient un participant. Eux et nous appartenons tous à la même tribu.» On louera donc des hôtels. Nous voilà bien loin du mythe de l'Etat équitable et socialiste, accueillant tous les siens à bras ouverts.
Que nous apprennent ces documents sur la face cachée de l'indépendance?
Ils fournissent des informations sur les crimes perpétrés en 1948 et prouvent que l'armée israélienne a expulsé par la force une partie des Palestiniens - la moitié environ des exilés - établis sur place. (...).
Voilà ce qu'il advient quand on ouvre les dossiers. Prenons le cas de Wingate, cet officier britannique qui combattit pour l'indépendance aux côtés de nos pères. Une icône. Le héros. Celui que l'on appelle «l'Ami». Or des documents irréfutables prouvent qu'il a commis des crimes de guerre.
Les archives israéliennes recèlent-elles encore des trésors?
Elles ne sont que partiellement dévoilées, même s'il reste, à mon sens, bien peu de grands secrets. S'agissant du Journal de Ben Gourion, les passages consacrés aux recherches nucléaires restent inaccessibles. Dans la liste, établie de sa main, des minerais que l'on espère alors trouver dans le désert du Néguev, une mention est occultée. Elle a la taille du mot «uranium»... Or le projet atomique s'avère essentiel à la compréhension de l'histoire politique, économique et diplomatique d'Israël. La commission compétente rechigne aussi à déclassifier ce qui éclaire notre histoire d'une lumière peu flatteuse. J'ai ainsi découvert qu'en 1948 une unité spéciale recrutée au sein de l'Université hébraïque dérobait les ouvrages dénichés dans les maisons conquises à Jérusalem. Deux institutions demeurent hors d'atteinte: le Mossad (espionnage) et le Shabak (sécurité intérieure). Il peut être légitime de maintenir le secret. Publier les noms des collaborateurs arabes pendant la guerre d'indépendance, c'est mettre leur famille en péril.
Interview de Tom SEGEV Nouvel Historien israélien. Vincent Hugeux, publié le 01/11/2001 00:00 - mis à jour le 06/11/2008 L'Express.
Tom SEGEV. Ses parents ont fui l'Allemagne nazie en 1935. Tom Segev verra le jour dix ans plus tard à Jérusalem. Il avait 3 ans lorsque son père fut abattu par un tireur isolé, durant la guerre d'indépendance. Enfant, il collectionnait les lettres d'hommages que tout ministre de la Défense envoie aux familles des héros. Le goût des documents et d'un passé brûlant, déjà. Diplômé de l'Université hébraïque et de celle de Boston, il est celui dont les ouvrages (Les Premiers Israéliens, Calmann-Lévy; Les Nouveaux Sionistes, non encore traduit) attirent des bordées d'anathèmes. Tom Segev n'en a cure: il trace son sillon, placide et inébranlable.
En quoi la légende trahit-elle la vérité?
On ne peut plus soutenir qu'Israël a acquiescé à tous les appels au dialogue. Un exemple: dans les années 50, le fils du président syrien d'alors, Zaïm, vient quémander l'ouverture d'un dialogue avec Ben Gourion. L'offre prévoit notamment l'accueil en Syrie de 300 000 Palestiniens. Réponse: nous avons tout notre temps, la question des réfugiés se résoudra d'elle-même. Autre épisode, puisé dans les archives de l'Agence juive, dont les chefs traitent un jour d'un afflux attendu d'immigrants de Pologne. Qu'en faire? Tout le monde s'accorde pour épargner à ces Européens le sort de 100 000 juifs venus des pays arabes. «Pas question de les parquer sous la tente, soutient un participant. Eux et nous appartenons tous à la même tribu.» On louera donc des hôtels. Nous voilà bien loin du mythe de l'Etat équitable et socialiste, accueillant tous les siens à bras ouverts.
Que nous apprennent ces documents sur la face cachée de l'indépendance?
Ils fournissent des informations sur les crimes perpétrés en 1948 et prouvent que l'armée israélienne a expulsé par la force une partie des Palestiniens - la moitié environ des exilés - établis sur place. (...).
Voilà ce qu'il advient quand on ouvre les dossiers. Prenons le cas de Wingate, cet officier britannique qui combattit pour l'indépendance aux côtés de nos pères. Une icône. Le héros. Celui que l'on appelle «l'Ami». Or des documents irréfutables prouvent qu'il a commis des crimes de guerre.
Les archives israéliennes recèlent-elles encore des trésors?
Elles ne sont que partiellement dévoilées, même s'il reste, à mon sens, bien peu de grands secrets. S'agissant du Journal de Ben Gourion, les passages consacrés aux recherches nucléaires restent inaccessibles. Dans la liste, établie de sa main, des minerais que l'on espère alors trouver dans le désert du Néguev, une mention est occultée. Elle a la taille du mot «uranium»... Or le projet atomique s'avère essentiel à la compréhension de l'histoire politique, économique et diplomatique d'Israël. La commission compétente rechigne aussi à déclassifier ce qui éclaire notre histoire d'une lumière peu flatteuse. J'ai ainsi découvert qu'en 1948 une unité spéciale recrutée au sein de l'Université hébraïque dérobait les ouvrages dénichés dans les maisons conquises à Jérusalem. Deux institutions demeurent hors d'atteinte: le Mossad (espionnage) et le Shabak (sécurité intérieure). Il peut être légitime de maintenir le secret. Publier les noms des collaborateurs arabes pendant la guerre d'indépendance, c'est mettre leur famille en péril.
Interview de Tom SEGEV Nouvel Historien israélien. Vincent Hugeux, publié le 01/11/2001 00:00 - mis à jour le 06/11/2008 L'Express.
Tom SEGEV. Ses parents ont fui l'Allemagne nazie en 1935. Tom Segev verra le jour dix ans plus tard à Jérusalem. Il avait 3 ans lorsque son père fut abattu par un tireur isolé, durant la guerre d'indépendance. Enfant, il collectionnait les lettres d'hommages que tout ministre de la Défense envoie aux familles des héros. Le goût des documents et d'un passé brûlant, déjà. Diplômé de l'Université hébraïque et de celle de Boston, il est celui dont les ouvrages (Les Premiers Israéliens, Calmann-Lévy; Les Nouveaux Sionistes, non encore traduit) attirent des bordées d'anathèmes. Tom Segev n'en a cure: il trace son sillon, placide et inébranlable.