Despotisme éclairé ou démocratie chaotique ?
Laïcité à loccidentale ou conservatisme islamique ?
Modernité précipitée ou tradition archaïque ?
Libertés sans freins ou pensée unique ?
Le Maroc se pose des questions, mais qui pourra y répondre ?
Jean-Paul Sartre définissait les intellectuels comme des gens qui, ayant acquis quelque notoriété par des travaux qui relèvent de l'intelligence
sortent de leur domaine pour se mêler de ce qui ne les regarde pas. Philosophe célèbre, il fit lui même de cette définition la devise de son action : lindépendance de lAlgérie et du Vietnam, les grèves aux usines Renault, la lutte des dissidents dans lancien bloc soviétique, le racisme anti-maghrébin en France, etc. Il estimait que ça le regardait et le faisait savoir publiquement. Malgré leurs désaccords, Albert Camus déclarait, de son côté : Notre seule justification, sil en est une, est de parler, dans la mesure de nos moyens, pour ceux qui ne peuvent le faire. Non pas que les deux intellectuels se soient pris, lun ou lautre, pour des maîtres à penser, des tuteurs en charge denfants mineurs, ou des bergers conduisant un troupeau. Il leur est arrivé de se tromper, mais seuls ceux qui sabstiennent dagir et de parler ne se trompent pas.
Engager sa responsabilité individuelle, refuser de se faire complice (par son silence) des injustices, des dénis de démocratie ou des atrocités, oser prendre la parole sur des questions qui regardent tout citoyen, ne jamais se compromettre avec les pouvoirs institués : telle est la conception de lintellectuel qui a prévalu jusquau début des années 1980. Faut-il y voir une spécialité française, une exception historique comme lavance Abdallah Laroui ? En partie oui, car cest la France, avec le Zola de laffaire Dreyfus et son fameux Jaccuse !, qui en fournit le prototype. Mais dautres écrivains de renom, un peu partout dans le monde, ont suivi son exemple : Vaclav Havel dans lancienne Tchécoslovaquie occupée par les Russes, Breyten Breytenbach en militant contre lapartheid en Afrique du Sud, Soljenitsyne en dévoilant les horreurs du goulag en URSS, ou le Palestinien Edward Saïd en dénonçant les injustices infligées à sa patrie et à son peuple
Force est pourtant de reconnaître que de nos jours, les intellectuels ne jouent plus le rôle qui fut le leur. Au Maroc notamment : depuis plusieurs années, leur voix semble avoir perdu de sa force, au point dêtre devenue quasiment inaudible. Comment expliquer ce silence ? Sils continuent à sexprimer, à qui sadressent-ils ? En quels lieux ? Sous quelles formes ?
http://www.telquel-online.com/393/couverture_393.shtml
Laïcité à loccidentale ou conservatisme islamique ?
Modernité précipitée ou tradition archaïque ?
Libertés sans freins ou pensée unique ?
Le Maroc se pose des questions, mais qui pourra y répondre ?
Jean-Paul Sartre définissait les intellectuels comme des gens qui, ayant acquis quelque notoriété par des travaux qui relèvent de l'intelligence
sortent de leur domaine pour se mêler de ce qui ne les regarde pas. Philosophe célèbre, il fit lui même de cette définition la devise de son action : lindépendance de lAlgérie et du Vietnam, les grèves aux usines Renault, la lutte des dissidents dans lancien bloc soviétique, le racisme anti-maghrébin en France, etc. Il estimait que ça le regardait et le faisait savoir publiquement. Malgré leurs désaccords, Albert Camus déclarait, de son côté : Notre seule justification, sil en est une, est de parler, dans la mesure de nos moyens, pour ceux qui ne peuvent le faire. Non pas que les deux intellectuels se soient pris, lun ou lautre, pour des maîtres à penser, des tuteurs en charge denfants mineurs, ou des bergers conduisant un troupeau. Il leur est arrivé de se tromper, mais seuls ceux qui sabstiennent dagir et de parler ne se trompent pas.
Engager sa responsabilité individuelle, refuser de se faire complice (par son silence) des injustices, des dénis de démocratie ou des atrocités, oser prendre la parole sur des questions qui regardent tout citoyen, ne jamais se compromettre avec les pouvoirs institués : telle est la conception de lintellectuel qui a prévalu jusquau début des années 1980. Faut-il y voir une spécialité française, une exception historique comme lavance Abdallah Laroui ? En partie oui, car cest la France, avec le Zola de laffaire Dreyfus et son fameux Jaccuse !, qui en fournit le prototype. Mais dautres écrivains de renom, un peu partout dans le monde, ont suivi son exemple : Vaclav Havel dans lancienne Tchécoslovaquie occupée par les Russes, Breyten Breytenbach en militant contre lapartheid en Afrique du Sud, Soljenitsyne en dévoilant les horreurs du goulag en URSS, ou le Palestinien Edward Saïd en dénonçant les injustices infligées à sa patrie et à son peuple
Force est pourtant de reconnaître que de nos jours, les intellectuels ne jouent plus le rôle qui fut le leur. Au Maroc notamment : depuis plusieurs années, leur voix semble avoir perdu de sa force, au point dêtre devenue quasiment inaudible. Comment expliquer ce silence ? Sils continuent à sexprimer, à qui sadressent-ils ? En quels lieux ? Sous quelles formes ?
http://www.telquel-online.com/393/couverture_393.shtml
Plus loin
Le sommeil de la raison
Le Maroc peut être fier de ses avancées dans le domaine des droits de lhomme, des libertés publiques et de la pluralité culturelle et linguistique. Pourtant, lactualité révèle une tension très vive entre le Pouvoir et le petit nombre de citoyens qui donnent de la voix pour que leur pays soit davantage une terre de progrès et de démocratie. Pourquoi voir dans cette exigence démocratique, où la liberté de chacun nentrave en rien la liberté de lautre, la volonté de bafouer les valeurs et la culture nationales ? Pourquoi y soupçonner un projet visant à saper les fondements du royaume ? Que peut craindre celui-ci alors quil jouit dune légitimité plusieurs fois séculaire ? La crispation nest pas bonne conseillère. La presse indépendante et le mouvement associatif qui osent manifester à loccasion leurs désaccords, jouent un rôle indispensable et salutaire à toute société aspirant à la démocratie. Partenaires dun pacte social à construire plutôt quennemis à abattre. Promoteurs dun débat didées plutôt que dune partie de bras de fer. Aujourdhui, la puissance publique semble avoir choisi de répondre par la force : les récentes atteintes aux libertés publiques suffiraient à le démontrer. Or, dans un Etat de droit, la loi du plus fort ne peut être le principe directeur. Rousseau ne disait-il pas force ne fait pas droit ?
Il faut donc raison garder : la raison raisonnable, celle de la mesure, et la raison raisonnante, celle qui réfléchit et argumente. Cest ici que les intellectuels marocains ont un rôle à jouer. Peuvent-ils ignorer ce qui se passe en ce moment ? Préfèrent-ils nen rien savoir et dormir tranquilles ? En tout cas, individuellement ou collectivement, ils restent bien discrets. Indifférence, résignation, crainte ?
Au bas dune gravure de Goya représentant un homme assoupi, on peut lire cet avertissement : Le sommeil de la raison engendre des monstres. Ruth Grosrichard