Le temps : le perdre ou le gagner?

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http://www.lexpress.fr/actualite/societe/prendre-son-temps_886521.html


"Involontairement retenu trois jours de plus que prévu à Washington, (...) j'ai pu mesurer l'importance de ces moments étonnants où le contrôle du temps nous échappe." Lisez la chronique de Jacques Attali.

Pour être encore, à l'heure où j'écris, involontairement retenu trois jours de plus que prévu à Washington, comme des centaines de milliers de Français et des millions d'Européens sont bloqués hors de chez eux, ou coincés en Europe loin de leur domicile par les conséquences, peut-être surestimées, de l'"irruption" d'un volcan islandais, j'ai pu mesurer l'importance de ces moments étonnants où le contrôle du temps nous échappe. Avec, pour chacun de nous, une histoire interrompue: du travail, des affaires, des rencontres amicales ou amoureuses, des vacances, des migrations plus durables...

Parfois, un tel contretemps, qu'il soit lié à un volcan, à une grève des trains ou à un incident bien plus sérieux, qui mobilise inopinément toute notre attention, représente un inconvénient réel et considérable, un réel dommage: l'absence à des événements uniques, qui ne peuvent être décalés, comme la présentation d'un projet devant un client pressé; un exposé manqué de travaux originaux dans un séminaire scientifique majeur; la participation à une foire commerciale ou à un Salon professionnel. Parfois, cela crée des besoins nouveaux, comme trouver d'autres occupations pour les enfants pendant des vacances gâchées. Alors on voit se déployer des trésors d'énergie pour arriver sur les lieux du voyage prévu, par tous les moyens, même les plus rocambolesques.

Très souvent, passé la première déception, le rendez-vous manqué apparaît sans importance: tout, ou presque, peut attendre.

L'"irruption" du volcan éclaire l'importance des moments où le contrôle du temps nous échappe

Plus généralement, pour chacun, c'est l'occasion de se demander si ce qui devait être fait, et ne peut plus l'être, était vraiment important; ou si cela ne pouvait être fait autrement, à distance. La réponse est très souvent cruelle: bien des choses que l'on pensait urgentes se révèlent, quand l'adversité s'en mêle, sans importance. Bien des réunions qu'on croyait nécessaires sont, en fait, du temps perdu. Au-delà, même: combien de gens ont dû être heureux de pouvoir ne pas prendre un train ou un avion, et manquer ainsi une réunion absurde, pour laquelle ils n'avaient pu ou su se dédire?

Il est urgent de se rappeler une évidence, connue de tous les philosophes depuis l'Antiquité, et que nous aimons tant oublier : notre vie ne nous appartient pas, elle est la propriété de tous ceux, innombrables, qui décident de notre emploi du temps, parce qu'ils ont un pouvoir affectif, économique, social ou politique, sur nous. En nous obligeant pour un instant à ne pas leur obéir, le nuage volcanique aura rendu un grand service à beaucoup de ces esclaves du temps que nous sommes devenus. Il leur aura permis de prendre conscience de l'importance de la rébellion contre ces maîtres.

Cela devrait au moins conduire chacun d'entre nous à être beaucoup plus exigeant dans la gestion de son temps ; à se garder, autant qu'il est possible, de vastes plages libres, "rien qu'à soi". Celles qui, justement, se libèrent quand un voyage est annulé. Cela devrait aussi conduire nos nations à comprendre qu'à notre époque, comme à toutes celles qui l'ont précédée, l'homme n'est maître de rien s'il ne l'est d'abord de lui-même.


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