L’édition du génome fait le show au festival sxsw

Il fallait faire preuve d’une certaine pugnacité pour assister à la « keynote » (présentation) de la biologiste Jennifer Doudna, à Austin, lors de ce second jour du festival technologique SXSW, samedi 11 mars. En termes d’attente tout d’abord, car rarement une file aura été aussi longue devant la Ballroom D du Convention Center, tellement longue qu’elle courait sur deux étages de l’immense bâtiment. Et deux salles gigantesques complémentaires retransmettant en direct la conférence sur un écran avaient été ouvertes pour accueillir tout le monde.

Une certaine pugnacité aussi pour passer la première étape de la présentation de la chercheuse de l’université de Californie à Berkeley. Après un premier écran un peu réducteur : « Et si on pouvait réécrire le code génétique comme dans un traitement de texte ? », suivent vingt bonnes minutes très techniques, pour tenter d’expliquer les mécanismes à l’œuvre dans le système Crispr-cas9. Le principe de cet outil de modification de l’ADN, tiré d’un système de défense immunitaire des bactéries contre les virus, peut paraître simple, mais, comme souvent en biologie, cette simplicité est trompeuse.

Cochons donneurs d'organes

C’est donc avec un soulagement perceptible que le public accueille la seconde partie de la présentation sur les applications pratiques de ce scalpel moléculaire, aujourd’hui considéré comme une des découvertes les plus révolutionnaires de notre siècle. Nombre de spécialistes sont certains que deux pionnières, Jennifer Doudna et la Française Emmanuelle Charpentier, devraient recevoir le prix Nobel.

Parmi les applications mentionnées, il y a par exemple la modification génétique des cochons qui pourraient devenir donneurs d’organes pour les hôpitaux – un véritable potentiel au vu des années d’attente nécessaires pour bénéficier d’un don d’organe.
 

Pièces jointes

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L’application la plus spectaculaire et polémique est la création de « super bébés », dont on aurait « augmenté » les caractéristiques génétiques. Deux écueils de taille empêchent encore ce projet très discuté. Tout d’abord, on ne connaît pas suffisamment le génome pour savoir précisément ce qu’il faudrait modifier dans l’ADN pour obtenir un effet. Ensuite, ce projet d’enfants génétiquement modifiés pose naturellement des questions éthiques vertigineuses. Des problématiques, nous dit la scientifique, qui vont nous pousser à « nous questionner sur l’humain et sur ce qui fait de nous des humains ».

En l’état, deux scénarios ont déjà été pensés, plus ou moins contrôlés : la thérapie des cellules somatiques qui ne sont pas transférables aux descendants, et la thérapie germinale qui permet une évolution génétique transférable héréditairement, proposition qui engendre un débat très actif.

Une autre application potentielle serait la modification du système immunitaire pour lui donner la possibilité de combattre le cancer. Ou encore modifier les moustiques pour éviter qu’ils ne transmettent des maladies comme le paludisme ou la dengue.

Dernière application qui fait sourire l’audience : une nouvelle race de vaches sans cornes est à l’étude. En effet, leurs cornes sont souvent coupées pour éviter qu’elles ne se blessent dans les étables, une opération douloureuse pour les animaux et contraignante pour les éleveurs.

« C’est juste le début »

Le plus remarquable, c’est que cette technologie, qui vient de fêter son cinquième anniversaire, n’en est qu’au tout début de son histoire, et que tout reste à découvrir. « C’est juste le début », nous dit Jennifer Doudna avec enthousiasme. Et la simplicité d’utilisation de la technique est si grande qu’elle peut être très facilement maîtrisée par les laboratoires de recherche. La chercheuse donne ainsi l’exemple d’un étudiant en biologie de l’université du Texas qui a réussi à modifier le gène déterminant la couleur de peau des tétards, et à créer un batracien vert fluo.
 
En parallèle de ces utilisations dont on peut considérer le bénéfice immédiat, nombre d’usages dangereux se sont aussi fait rapidement jour. Tellement dangereux que le renseignement américain, par la voix de son directeur James Clapper, a récemment ajouté le principe de « gene editing » dont relève le Crispr-cas9 à la liste des armes de destruction massives dans le Rapport annuel des menaces globales. La scientifique balaie cette crainte d’une phrase : « Il y a des technologiesplus dangereuses qui circulent, il ne faut pas plus s’en inquiéter. » Et à la question de savoir ce qui l’effraie le plus, elle définit une crainte plus diffuse : « Le plus effrayant, c’est qu’on fasse quelque chose qui mène le public à ne plus soutenir cette technologie. »

La scientifique ne mentionne qu’à peine les problèmes importants de brevets et droits de propriété qui font rage depuis plusieurs années au sujet du Crispr-cas9. La paternité de la technologie est communément attribuée à Jennifer Doudna et à Emmanuelle Charpentier, mais, en passant par une « file rapide » du dépôt légal, ce sont les scientifiques du Broad Institute de Cambridge (Massachussetts) qui ont réussi à obtenir les premiers brevets. Un jugement tombé en février à la suite d’une procédure intenté par Berkeley a confirmé l’attribution au Broad Institute de cet ensemble de brevets. Mais cela n’a pas l’air d’inquiéter outre mesure la scientifique américaine. Tout d’abord parce que le jugement permet aux perdants de continuer leurs recherches, mais aussi parce que le champ d’étude est si vaste qu’il y a de la place pour tout le monde.

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