Les conventions de Geneve fetent leurs 60ans: «C’est la seule limite à la barbarie»

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Pilier du droit international humanitaire, les Conventions de Genève fêtent leurs 60 ans. Chef de la division juridique du CICR, Knut Dörmann explique leur importance

Le Temps: Les Conventions de Genève ont été formulées au XXe siècle. Avec l’émergence d’acteurs non étatiques prenant part aux conflits, le Droit international humanitaire (DIH) est-il encore adapté à son époque?

Knut Dörmann: Les Conventions de Genève sont la pierre angulaire du DIH et le resteront. Il ne faut pas examiner ces conventions isolément, mais avoir une vue d’ensemble. Ce droit a évolué avec l’addition de trois protocoles. Les Conventions de 1949 couvraient essentiellement les règles qui s’appliquent aux personnes au pouvoir d’une partie adverse, notamment les blessés, les prisonniers de guerre et les civils, notamment les internés. Cet aspect était réglé. Par contre tout ce qui concernait la conduite des hostilités, les méthodes de guerre, n’était pas couvert. Les protocoles additionnels ont codifié le principe de distinction entre combattants et civils. Il y a eu d’autres développements du DIH qui tenaient compte de l’évolution des conflits, notamment des traités pour la protection des biens culturels, sur la répression pénale et sur l’interdiction ou la limitation de l’usage de certaines armes (par exemple les mines antipersonnel ou les armes à sous-munitions). Le droit coutumier a également évolué. Cela dit, il est vrai que l’évolution des conflits rend nécessaires de nouvelles clarifications de ce droit.

Le CICR a récemment tenté de préciser la notion de la participation aux hostilités qui est cruciale car seuls les civils qui participent directement deviennent des cibles légitimes. Cette clarification était nécessaire dans le cadre de conflits où de plus en plus d’acteurs non étatiques sont parties prenantes aux combats. Notre but était clair: assurer au maximum la protection des civils qui ne participent pas directement aux hostilités comme cela est prévu par le DIH. En l’absence d’une définition claire dans les traités, on a constaté une tendance chez certains à vouloir élargir la notion de participants directs aux hostilités pour en faire des cibles légitimes au détriment de ceux qui devraient bénéficier d’une protection contre des attaques directes. Autre exemple: dans le cadre de la lutte contre la «terreur», certains Etats ont perçu la nécessité de définir des régimes de détention pour des raisons de sécurité. Le problème était le suivant: dans le DIH, il y a des indications pour les conflits armés internationaux en matière de garanties procédurales. Mais il y a peu de règles détaillées pour les conflits armés non internationaux. Le CICR a donc utilisé les Conventions de Genève comme base de réflexion et le droit des droits de l’homme en complément pour définir une lecture juridico-politique afin de clarifier la protection de toute personne détenue pour des raisons de sécurité.

– Le régime d’exception mis en place à Guantanamo est l’une des principales remises en question du DIH ces dernières années. Une page se tourne-t-elle avec l’administration Obama?

– Le CICR salue la décision de l’administration Obama de fermer Guantanamo. En plus nous avons constaté une vraie volonté de travailler sur les principes de détention de personnes soupçonnées de terrorisme. La reconnaissance du besoin d’un cadre légal qui s’applique dans une telle situation était cruciale. Nous avons un dialogue productif avec les autorités de Washington.

– Mais, avec le recul, quelles ont été les conséquences de la «guerre contre le terrorisme international» menée par Bush pour le DIH?

– Difficile à dire à ce stade. Il faut distinguer entre les déclarations politiques et les actions des Etats. Si l’on regarde les déclarations politiques de certains Etats, notamment dans l’UE, on a toujours eu l’impression de prises de position très fortes pour rappeler que dans la «lutte contre la terreur» il faut respecter les droits de l’homme et le DIH. Que cela se soit toujours reflété dans la pratique des Etats est une autre question…
 
– Voyez-vous dans l’évolution du droit humanitaire une démonstration d’un progrès de l’humanité?

– Il y aura toujours des guerres et je n’exclus pas un retour à des conflits plus traditionnels entre Etats motivés par des tensions liées à la course aux ressources énergétiques ou à l’eau. Mais le DIH va rester pertinent. C’est la seule limite pour prévenir la barbarie. Il y a bien sûr toujours quantité de violations de ce droit. Mais on s’intéresse peut-être moins aux cas où ce droit a été respecté. C’est logique: On ne s’intéresse pas non plus aux gens qui respectent le code de la route… Il faut un effort constant pour faire respecter le DIH. Qu’est-ce que la souffrance engendrée par les conflits armés: meurtres, tortures, mauvais traitements, viols, disparitions, déplacements forcés. Tout cela est interdit par le DIH. L’important est d’essayer de limiter ces abus, ces violations. Ce ne sont pas de nouvelles règles en soi qui vont changer ce comportement. Il faut créer la volonté politique chez tous les acteurs de respecter le DIH et s’assurer que des sanctions soient prises pour ceux qui ne le font pas. Sans ce contrôle des Etats, la souffrance continuera, peu importe l’évolution des conflits.


– Le DIH est reconnu universellement, mais les Etats en font-ils assez pour la promotion de ce droit?

– Ce n’est jamais assez puisque l’on constate que les violations subsistent. C’est pour cela que le CICR essaie de donner tout le soutien technique dont les Etats ont besoin. C’est aux législateurs d’agir. On constate toutefois qu’avec l’adoption du statut de Rome pour la Cour pénale internationale (CPI) les choses évoluent. La CPI ne devient compétente que si les juridictions nationales ne font pas leur travail. Cette complémentarité de la CPI pousse les Etats à codifier dans leur législation nationale la répression des crimes de guerre pour éviter que leurs ressortissants puissent être poursuivis par la CPI.

– Le CICR est le gardien des Conventions de Genève. Est-ce remis en question sur le terrain?

– La communauté internationale a donné pour mandat au CICR de veiller et de contribuer à l’application fidèle du DIH. Mais on doit négocier nos actions sur le terrain afin d’avoir accès aux gens qui ont besoin de notre aide. Dans les conflits non internationaux, par exemple, on ne peut qu’offrir nos services. Quant aux risques sur le terrain, nous les évaluons en permanence.

– Ce 60e anniversaire est-il l’occasion pour le CICR de faire passer un nouveau message?

– Le message de base est la réaffirmation du DIH qui plus que jamais reste valable. Les Etats et les acteurs non étatiques doivent davantage assumer leurs responsabilités pour faire respecter ce droit. C’est une question de volonté politique. Le CICR va poursuivre ses efforts de clarification voire de développement du DIH si cela s’avère nécessaire pour répondre à des besoins humanitaires insuffisamment réglementés.

source:
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/6c1d8dc0-8522-11de-8474-72afd5a3abad|0
 
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