Au village de Lhissn, au moment où l’enfant, s’échappant du sein de sa mère, parut en pleine lumière, des myriades d’abeilles, accourant des quatre coins de l’horizon, vinrent s’abattre sur les chairs molles du nouveau-né, l’enveloppant de toutes parts, enterrant le pauvre petit sous la houle inquiétante d’un grouillement de bestioles noires, aux ailes frissonnantes. Très effrayés, s’imaginant que l’enfant allait être dévoré, les parents poussaient des cris, se tenant prudemment à distance, n’osant intervenir, de peur d’irriter les abeilles. Tout à coup, le grand Moulaye Abd-eIK’ader el-Djilani se montra sur le seuil de la porte. Il rassura la mère, écarta doucement le flot noir des insectes, baisa pieusement les yeux, le front, les oreilles et la bouche du baby prédestiné; puis, s’adressant à ceux qui l’entouraient, il prononça à haute voix ces paroles mémorables
— Ma place n’est plus ici. Quelqu’un de plus grand que moi vient de naitre au Maroc. C’est Moulaye Abd-es-Slam, c’est cet enfant. Il sera la gloire de l’Islam et du monde!Il dit, et il partit séance tenante dans la direction de l’Est, abandonnant l’Occident au sceptre de son heureux rival, se réservant pour lui la royauté de l’Orient.
Dés lors, les prodiges se succèdent, miracles insipides, ressassés dans la plupart des hagiographies mahométanes, toujours les mêmes, d’une monotonie endormante. C’est d’abord le Coran, que le futur santon n’a pas besoin d’apprendre; il le sait déjà à la mamelle, et, le jour où il ouvre la bouche pour balbutier ses premières paroles, il le débite d’un trait, sans s’arrêter, sans faire une faute, au grand ébahissement des parents, des amis, des inconnus, qui commencent à lui rendre un culte presque divin.
Il était le dernier né d’une nombreuse famille. A l’âge de 15 ans, le jour même de son mariage, des voisins vinrent demander à son père, le vénérable Sidi-Mchich, un de ses garçons, pleurant, se lamentant, disant à travers leurs larmes:
— Nos fautes, illustre patriarche, ont comblé la mesure. Frappées de stérilité depuis plusieurs années, nos terres ne donnent plus de récoltes. Seul, un rejeton du Prophète peut les rendre fécondes. Laisse donc venir chez nous un de tes fils: Il sera notre chef, notre protecteur, il ramènera sur nos têtes le courant des bénédictions célestes (I).
Le père, profondément ému, appelle sort ainé, l’interroge:
Mon fils, à celui qui te ferait du bien, que lui ferais-tu?
— Du bien, répond le jeune homme.
— Et à celui qui te ferait du mal?
— Je lui rendrai le mai pour le mal.
C’est bien. A un autre! Commande le vieillard.
Les sept ou huit enfants, successivement interrogés, font les mêmes réponses que l’ainé. Arrive le tour du plus jeune:
— Et toi, Abd-es-Slam, à qui te ferait du bien, que lui ferais-tu?
— Du bien.
— Et si quelqu’un te faisait du mal?
— Je lui rendrai le bien pour le mal, déclare résolument l’adolescent. Je prends même Dieu à témoin que, plus on me fera du mal, plus je rendrai le bien pour le mal. De cette façon, dit-il en souriant, tous mes ennemis finiront par m’aimer, par m’obéir.
Paroles profondes, admirables, dans lesquelles le calcul a peut être autant de part que la philanthropie. Abd-es-Slam, traçant à l’aube de la vie la ligne de conduite dont il ne devait pas se départir dans la suite, laissait déjà percer sous le santon l’habile politique, l’homme aux vastes pensées.
Alors le patriarche dit à ses hôtes:
— Ma place n’est plus ici. Quelqu’un de plus grand que moi vient de naitre au Maroc. C’est Moulaye Abd-es-Slam, c’est cet enfant. Il sera la gloire de l’Islam et du monde!Il dit, et il partit séance tenante dans la direction de l’Est, abandonnant l’Occident au sceptre de son heureux rival, se réservant pour lui la royauté de l’Orient.
Dés lors, les prodiges se succèdent, miracles insipides, ressassés dans la plupart des hagiographies mahométanes, toujours les mêmes, d’une monotonie endormante. C’est d’abord le Coran, que le futur santon n’a pas besoin d’apprendre; il le sait déjà à la mamelle, et, le jour où il ouvre la bouche pour balbutier ses premières paroles, il le débite d’un trait, sans s’arrêter, sans faire une faute, au grand ébahissement des parents, des amis, des inconnus, qui commencent à lui rendre un culte presque divin.
Il était le dernier né d’une nombreuse famille. A l’âge de 15 ans, le jour même de son mariage, des voisins vinrent demander à son père, le vénérable Sidi-Mchich, un de ses garçons, pleurant, se lamentant, disant à travers leurs larmes:
— Nos fautes, illustre patriarche, ont comblé la mesure. Frappées de stérilité depuis plusieurs années, nos terres ne donnent plus de récoltes. Seul, un rejeton du Prophète peut les rendre fécondes. Laisse donc venir chez nous un de tes fils: Il sera notre chef, notre protecteur, il ramènera sur nos têtes le courant des bénédictions célestes (I).
Le père, profondément ému, appelle sort ainé, l’interroge:
Mon fils, à celui qui te ferait du bien, que lui ferais-tu?
— Du bien, répond le jeune homme.
— Et à celui qui te ferait du mal?
— Je lui rendrai le mai pour le mal.
C’est bien. A un autre! Commande le vieillard.
Les sept ou huit enfants, successivement interrogés, font les mêmes réponses que l’ainé. Arrive le tour du plus jeune:
— Et toi, Abd-es-Slam, à qui te ferait du bien, que lui ferais-tu?
— Du bien.
— Et si quelqu’un te faisait du mal?
— Je lui rendrai le bien pour le mal, déclare résolument l’adolescent. Je prends même Dieu à témoin que, plus on me fera du mal, plus je rendrai le bien pour le mal. De cette façon, dit-il en souriant, tous mes ennemis finiront par m’aimer, par m’obéir.
Paroles profondes, admirables, dans lesquelles le calcul a peut être autant de part que la philanthropie. Abd-es-Slam, traçant à l’aube de la vie la ligne de conduite dont il ne devait pas se départir dans la suite, laissait déjà percer sous le santon l’habile politique, l’homme aux vastes pensées.
Alors le patriarche dit à ses hôtes: