Deux journalistes français sous le feu de l’artillerie ukrainienne pendant 5 heures
Nous ne pouvions alors imaginer que nous allions restés ici pendant 5 heures, dont 4 d’un bombardement nourri de l’artillerie ukrainienne complètement déchaînée. Obus de 122 mm, tirs de lanceurs multiples de roquettes Grad, tirs de missiles Ouragan chargé de sous-munitions et même obus de 152 mm, l’infernale danse des obus ukrainiens ne faisait que commencer. La nervosité était palpable chez deux hommes, qui distillaient presque à notre entourage la panique, sans cesse nous demandant de ne pas les filmer, se levant, arpentant le magasin, sortant dehors pour ramasser des débris des précédents obus, la situation était critique. À l’exemple de Christelle et Kostia, ainsi que de moi-même, le groupe semblait s’être calmé, je me trouvais assis à côté d’un jeune soldat de 21 ans, en permission, simplement vêtu d’une casquette militaire et d’un débardeur. Régulièrement, il indiquait les départs de tirs, qui nous arrivaient ensuite dessus quelques courtes secondes plus tard. À droite, à gauche, beaucoup plus loin, ou très proche, les obus et roquettes ne cessaient de tomber partout. Après quelques longues dizaines de minutes de ce traitement, un homme âgé perdit patience et d’autorité sorti dehors sous le feu, pour rentrer chez lui, aussitôt maîtrisé par les autres hommes. Il était temps, car les obus ne cessaient d’arriver. Notre retraite paraissait de plus en plus précaire, les gravats nous tombant du plafond sur la tête. Nous avions clairement l’impression que nous étions pris pour cibles, et nous savions déjà que la voiture que nous avions laissé dehors serait en miettes à notre sortie de cet enfer. Un moindre mal, d’autant que jusque là nous n’avions subi aucune perte humaine. C’est alors qu’un obus de 122 s’abattît à cinq mètres de l’endroit où je me trouvais assis, faisant voler en éclat, non seulement la porte en fer forgé, de l’entrée principale, mais aussi la seconde porte en bois du sas d’entrée. Recouverts de gravats, un homme âgé touché aux yeux par les jets de morceaux de pierres et de plâtres criant au milieu des éclats de voix, c’est alors qu’une voix féminine autoritaire se fit entendre : « Descendez à la cave ! À gauche, à gauche ! ». Nous venions de faire connaissance avec la courageuse et admirable propriétaire des lieux, Raïssa.Un grand-père meurt dans nos bras
En file indienne, alors que nos oreilles sifflaient après l’impact, nous nous dirigions vers la voix amie. Sous nos pas crissaient de nombreux débris de vitres, de vitrines et de gravats, alors que nous réussissions tous à descendre dans les entrailles du bâtiment. C’était une cave très solide et grande, courant sous tout l’immeuble, qui d’ailleurs comportait aussi un étage. À tâtons, les uns avec la lumière de leurs téléphones, les autres avec des lampes de poche, nous découvrîmes plusieurs femmes et un enfant. Il s’appelait Roman, tandis qu’une femme commençait à pleurer. Christelle immédiatement s’occupa d’elle, c’était une vendeuse du magasin, dont les deux enfants étaient non loin de là chez leurs grands-parents. Eux aussi, subissaient forcément le bombardement. Elle indiqua ne pas avoir peur pour elle, mais pour eux, il s’agissait de deux filles de 14 et 8 ans. D’autres civils étaient ici, un couple la soixantaine largement passée, d’autres vendeuses et plusieurs grands-pères âgés. Malgré notre calme, et notamment la présence très rassurante de Kostia, la fébrilité et un petit vent de panique étaient palpables chez ces gens. Tout sembla finalement se stabiliser, notamment grâce à Raïssa, maîtresse femme, qui d’une voie forte encourageait ces gens. Elle s’activait avec une grosse lampe torche multiple, apportant de l’eau et des gobelets, proposant à manger. Nous nous aperçumes qu’un des grands-pères avait été touché à la main et au front, par des éclats de pierre, il saignait.