La profession organisait mardi un "jour noir", pour interpeller le grand public sur le surmenage dont sont victimes certains médecins. Témoignages.
Des médecins ont organisé, mardi 18 février, un happening devant le ministère de la Santé pour sensibiliser le grand public aux risques élevés de burn-out et de suicides chez les médecins. (KENZO TRIBOUILLARD / AFP)
Par Tatiana Lissitzky
Mis à jour le 18/02/2014 | 19:51 , publié le 18/02/2014 | 18:31
Surcharge de travail, relations tendues avec les patients, contraintes administratives, vie privée sacrifiée, stress permanent... Les médecins sont touchés de plein fouet par le syndrome d'épuisement professionnel, mais le burn-out et le suicide restent tabous chez ceux qui passent leur journée à soigner les autres.
L'Union française pour une médecine libre (UFML) a appelé mardi 18 février, les médecins à placer un voile noir sur leur plaque professionnelle pour alerter sur leurs conditions de travail. Selon l'organisation, un praticien sur deux est concerné et le taux de suicide chez les médecins est trois fois plus élevé que dans les autres professions. Francetv info a recueilli le témoignage des premiers concernés.
Les internes sont confrontés en première ligne aux difficultés de la profession. "On a parfois l'impression d'effectuer un travail à la chaîne, de ne pas avoir le temps de se former. On se retrouve à appliquer des consignes sans les comprendre. On est obligé de bâcler en sachant que c'est dangereux et c'est ça qui est fatiguant", poursuit Antoine
Paul*, 31 ans, interne en médecine générale à Paris, a fait un burn-out en juin dernier. Pour lui, l'internat s'est transformé en calvaire : huit jours de vacances en six mois, une garde tous les deux jours, des semaines de plus de soixante heures... Il a dû s'arrêter un mois. C'est son chef de service qui l'a forcé à se mettre en arrêt-maladie "J'essayais de tenir à tout prix, je ne pouvais pas m'arrêter et donner à mes confrères une surcharge de travail."
Des médecins en sous-effectif
Le fond du problème est connu : la population augmente alors que le nombre de médecins diminue. "Le nombre de médecins qui partent à la retraite est plus important que le nombre de médecins qui arrivent sur le marché" explique Isabelle*, 46 ans, médecin généraliste dans les Yvellines. "Dans les prochaines années la France va perdre 20% de médecins. L'année dernière, un seul généraliste s'est installé à Paris ! On nous embête avec les déserts médicaux dans la Creuse, mais Paris est aussi un désert médical. Il est temps que les autorités se saisissent du problème."
Dans la promotion de Paul, certains ont pensé tout abandonner. Et s'installer comme généraliste ne fait plus réver. Le jeune interne en médecine générale a, lui, fait un trait sur son rêve d'ouvrir un cabinet à la fin de ses études. "Seuls 9% des étudiants en médecine générale s'installent désormais en cabinet. Il y a trop de frais de fonctionnement. Pour que le cabinet soit rentable, il faut enchaîner les patients toutes les 15 minutes. Je ne veux pas de ça, je veux instaurer une relation avec eux."
"Du harcèlement administratif"
Contrairement aux idées reçues, la pression que subissent les médecins ne vient pas forcément de leurs responsabilités mais aussi de la charge administrative croissante à laquelle ils sont confrontés. Antoine s'insurge : "On savait qu'il y aurait du stress, on l'a choisi mais on ne nous donne pas les moyens de nos responsabilités. Un chirurgien m'a confié qu'il était bien moins stressé au bloc qu'avec l'administratif. La moindre décision nécessite 50 couches administratives, on n'a pas besoin de ce stress en plus."
"J'ai deux consoeurs qui se sont données la mort dans les Yvelines", raconte Isabelle. Pour elle, si les médecins sont à bout c'est aussi à cause "du harcèlement administratif". "A coté de mes vingts patients par jour, je fais gracieusement une heure de paperasserie pour l'administratif", et notamment les déclarations auprès des différents organismes de santé.
Rodolphe Scavernec, 43 ans, rhumatologue, est lui aussi venu soutenir l'initiative et "défendre les praticiens dans toutes leurs contraintes". "J'ai un confrère dans le 11ème arrondissement de Paris qui a mis fin à ses jours en se jetant du toit du dispensaire où il travaillait." Le médecin libéral dénonce les pressions constantes dont les médecins sont les cibles, liés notamment aux "temps de non-soin et les injonctions administratives, qui s'ajoutent au surmenage".
* Les prénoms ont été changés.
Des médecins ont organisé, mardi 18 février, un happening devant le ministère de la Santé pour sensibiliser le grand public aux risques élevés de burn-out et de suicides chez les médecins. (KENZO TRIBOUILLARD / AFP)
Par Tatiana Lissitzky
Mis à jour le 18/02/2014 | 19:51 , publié le 18/02/2014 | 18:31
Surcharge de travail, relations tendues avec les patients, contraintes administratives, vie privée sacrifiée, stress permanent... Les médecins sont touchés de plein fouet par le syndrome d'épuisement professionnel, mais le burn-out et le suicide restent tabous chez ceux qui passent leur journée à soigner les autres.
L'Union française pour une médecine libre (UFML) a appelé mardi 18 février, les médecins à placer un voile noir sur leur plaque professionnelle pour alerter sur leurs conditions de travail. Selon l'organisation, un praticien sur deux est concerné et le taux de suicide chez les médecins est trois fois plus élevé que dans les autres professions. Francetv info a recueilli le témoignage des premiers concernés.
Les internes sont confrontés en première ligne aux difficultés de la profession. "On a parfois l'impression d'effectuer un travail à la chaîne, de ne pas avoir le temps de se former. On se retrouve à appliquer des consignes sans les comprendre. On est obligé de bâcler en sachant que c'est dangereux et c'est ça qui est fatiguant", poursuit Antoine
Paul*, 31 ans, interne en médecine générale à Paris, a fait un burn-out en juin dernier. Pour lui, l'internat s'est transformé en calvaire : huit jours de vacances en six mois, une garde tous les deux jours, des semaines de plus de soixante heures... Il a dû s'arrêter un mois. C'est son chef de service qui l'a forcé à se mettre en arrêt-maladie "J'essayais de tenir à tout prix, je ne pouvais pas m'arrêter et donner à mes confrères une surcharge de travail."
Des médecins en sous-effectif
Le fond du problème est connu : la population augmente alors que le nombre de médecins diminue. "Le nombre de médecins qui partent à la retraite est plus important que le nombre de médecins qui arrivent sur le marché" explique Isabelle*, 46 ans, médecin généraliste dans les Yvellines. "Dans les prochaines années la France va perdre 20% de médecins. L'année dernière, un seul généraliste s'est installé à Paris ! On nous embête avec les déserts médicaux dans la Creuse, mais Paris est aussi un désert médical. Il est temps que les autorités se saisissent du problème."
Dans la promotion de Paul, certains ont pensé tout abandonner. Et s'installer comme généraliste ne fait plus réver. Le jeune interne en médecine générale a, lui, fait un trait sur son rêve d'ouvrir un cabinet à la fin de ses études. "Seuls 9% des étudiants en médecine générale s'installent désormais en cabinet. Il y a trop de frais de fonctionnement. Pour que le cabinet soit rentable, il faut enchaîner les patients toutes les 15 minutes. Je ne veux pas de ça, je veux instaurer une relation avec eux."
"Du harcèlement administratif"
Contrairement aux idées reçues, la pression que subissent les médecins ne vient pas forcément de leurs responsabilités mais aussi de la charge administrative croissante à laquelle ils sont confrontés. Antoine s'insurge : "On savait qu'il y aurait du stress, on l'a choisi mais on ne nous donne pas les moyens de nos responsabilités. Un chirurgien m'a confié qu'il était bien moins stressé au bloc qu'avec l'administratif. La moindre décision nécessite 50 couches administratives, on n'a pas besoin de ce stress en plus."
"J'ai deux consoeurs qui se sont données la mort dans les Yvelines", raconte Isabelle. Pour elle, si les médecins sont à bout c'est aussi à cause "du harcèlement administratif". "A coté de mes vingts patients par jour, je fais gracieusement une heure de paperasserie pour l'administratif", et notamment les déclarations auprès des différents organismes de santé.
Rodolphe Scavernec, 43 ans, rhumatologue, est lui aussi venu soutenir l'initiative et "défendre les praticiens dans toutes leurs contraintes". "J'ai un confrère dans le 11ème arrondissement de Paris qui a mis fin à ses jours en se jetant du toit du dispensaire où il travaillait." Le médecin libéral dénonce les pressions constantes dont les médecins sont les cibles, liés notamment aux "temps de non-soin et les injonctions administratives, qui s'ajoutent au surmenage".
* Les prénoms ont été changés.