Les médicaments innovants sont-ils trop chers ?
Par Anne Prigent - le 08/04/2014
Les nouvelles molécules qui ciblent les maladies graves sont de plus en plus onéreuses.
Des voix s'élèvent pour mieux prendre en compte leur rapport coût-efficacité.
Lucentis face à Avastin.
Une affaire révélée par Le Figaro, mais aussi un cas d'école:
les deux médicaments sont tous deux efficaces contre la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA). Mais le Lucentis est le seul à pouvoir être prescrit dans la DMLA. Problème: il est 30 fois plus cher qu'Avastin. Coût pour l'Assurance-maladie: 400 millions d'euros par an. Certes, un décret est en préparation et doit autoriser l'Avastin, mais cette bataille pose surtout la question du prix des médicaments innovants.
En France, il existe un consensus pour financer, même à un coût élevé, un réel progrès thérapeutique.
Mais aujourd'hui, dans un contexte de crise économique, de plus en plus de voix s'élèvent pour mettre en garde contre la dérive inflationniste des médicaments innovants.
Une médecine (trop) coûteuse
Derniers pointés du doigt: les traitements contre l'hépatite C.
«Les derniers permettent de guérir 90 % des patients et dans dix ans nous pourrons l'avoir éradiquée», affirme Victor de Ledhinghen, secrétaire de l'association française pour l'étude du foie. Une véritable avancée mais à un coût… faramineux.
En France, selon les calculs de Médecins du monde, traiter la moitié des 230 000 personnes atteintes d'hépatite C, à raison de 55 000 euros par patient, engloutirait l'équivalent du budget de l'ensemble des hôpitaux publics parisiens!
«Il faut utiliser ces médicaments, c'est évident», analyse le Pr Yazdan Yazdanpanah, infectiologue à l'hôpital Bichat-Claude Bernard, «mais vu leur prix, nous avons voulu analyser comment les utiliser pour que leur “coût-efficacité” soit le meilleur».
Est, en général, considéré comme «coût-efficace» un traitement (hospitalisations, médicaments, consultations…) qui coûte moins de trois fois le PIB par personne et par année de vie gagnée, soit en France 90 000 euros.
Or, selon l'équipe du Pr Yazdanpanah, prendre en charge tous les patients atteints d'hépatite C avec les nouvelles molécules ne serait pas coût-efficace. «Aujourd'hui, dans une économie contrainte, nous devons nous poser la question du prix d'un médicament. Même si cet argument ne doit pas être le seul, ni le principal, à entrer dans le choix du prescripteur», précise Yazdan Yazdanpanah.
Evaluer le coût-efficacité
Certains médecins ont déjà choisi de renoncer à certaines molécules, jugées trop chères au regard de leur apport. Notamment en cancérologie.
«À l'hôpital Cochin, nous ne prescrivons pas l'ipilimumab dans le mélanome métastatique, car il est efficace seulement chez 10 % des patients et nous ne pouvons pas savoir à l'avance lesquels.
Surtout, il est très toxique et très cher. C'est un jugement, cela peut se discuter, mais c'est la décision médicale de Cochin», assume le Pr François Goldwasser, chef de service de l'hôpital.
Le problème du coût-efficacité va prendre encore plus d'ampleur avec la diffusion massive des thérapies dites ciblées.
«La cancérologie favorise ces médicaments de niche.
Mais ce n'est pas parce qu'un médicament est efficace chez 1 000 malades plutôt que chez 1 million, qu'il doit être payé 1 000 fois plus cher», s'insurge le Pr Jean-Paul Vernant, hématologue à la Pitié-Salpétrière, à Paris.
La solution, selon certains spécialistes, serait de remettre en cause une stratégie trop centrée sur le médicament pour favoriser la prévention ou d'autres formes de prises en charge.
«Contre le cancer du poumon par exemple, mieux vaut sans doute investir dans la prévention du tabagisme que de développer de nouveaux traitements», estime le Pr Alain Astier, pharmacien hospitalier à l'hôpital Henri-Mondor (Créteil).
À l'heure des restrictions budgétaires, les coûts pour la collectivité de ces médicaments innovants devront de plus en plus être justifiés.
Le problème n'est donc plus seulement strictement médical. Il est politique.
Certains pays, comme l'Angleterre, ont tranché.
Là-bas, les malades n'ont pas accès à tous les nouveaux médicaments.
Ainsi dans la leucémie myéloïde chronique, ils ont accès à deux traitements sur les trois qui existent. Lorsqu'ils veulent, malgré tout, bénéficier du traitement qui n'est pas pris en charge, ils doivent payer de leur poche!
Tous ne le peuvent pas, car il faut alors débourser l'équivalent de 36 000 euros par an.
Le débat est donc posé: est-on prêt, en France, à cette médecine à deux vitesses?
Le dossier est sur le bureau du prochain secrétaire d'État à la Santé, qui doit être nommé mercredi.
mam
Par Anne Prigent - le 08/04/2014
Les nouvelles molécules qui ciblent les maladies graves sont de plus en plus onéreuses.
Des voix s'élèvent pour mieux prendre en compte leur rapport coût-efficacité.
Lucentis face à Avastin.
Une affaire révélée par Le Figaro, mais aussi un cas d'école:
les deux médicaments sont tous deux efficaces contre la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA). Mais le Lucentis est le seul à pouvoir être prescrit dans la DMLA. Problème: il est 30 fois plus cher qu'Avastin. Coût pour l'Assurance-maladie: 400 millions d'euros par an. Certes, un décret est en préparation et doit autoriser l'Avastin, mais cette bataille pose surtout la question du prix des médicaments innovants.
En France, il existe un consensus pour financer, même à un coût élevé, un réel progrès thérapeutique.
Mais aujourd'hui, dans un contexte de crise économique, de plus en plus de voix s'élèvent pour mettre en garde contre la dérive inflationniste des médicaments innovants.
Une médecine (trop) coûteuse
Derniers pointés du doigt: les traitements contre l'hépatite C.
«Les derniers permettent de guérir 90 % des patients et dans dix ans nous pourrons l'avoir éradiquée», affirme Victor de Ledhinghen, secrétaire de l'association française pour l'étude du foie. Une véritable avancée mais à un coût… faramineux.
En France, selon les calculs de Médecins du monde, traiter la moitié des 230 000 personnes atteintes d'hépatite C, à raison de 55 000 euros par patient, engloutirait l'équivalent du budget de l'ensemble des hôpitaux publics parisiens!
«Il faut utiliser ces médicaments, c'est évident», analyse le Pr Yazdan Yazdanpanah, infectiologue à l'hôpital Bichat-Claude Bernard, «mais vu leur prix, nous avons voulu analyser comment les utiliser pour que leur “coût-efficacité” soit le meilleur».
Est, en général, considéré comme «coût-efficace» un traitement (hospitalisations, médicaments, consultations…) qui coûte moins de trois fois le PIB par personne et par année de vie gagnée, soit en France 90 000 euros.
Or, selon l'équipe du Pr Yazdanpanah, prendre en charge tous les patients atteints d'hépatite C avec les nouvelles molécules ne serait pas coût-efficace. «Aujourd'hui, dans une économie contrainte, nous devons nous poser la question du prix d'un médicament. Même si cet argument ne doit pas être le seul, ni le principal, à entrer dans le choix du prescripteur», précise Yazdan Yazdanpanah.
Evaluer le coût-efficacité
Certains médecins ont déjà choisi de renoncer à certaines molécules, jugées trop chères au regard de leur apport. Notamment en cancérologie.
«À l'hôpital Cochin, nous ne prescrivons pas l'ipilimumab dans le mélanome métastatique, car il est efficace seulement chez 10 % des patients et nous ne pouvons pas savoir à l'avance lesquels.
Surtout, il est très toxique et très cher. C'est un jugement, cela peut se discuter, mais c'est la décision médicale de Cochin», assume le Pr François Goldwasser, chef de service de l'hôpital.
Le problème du coût-efficacité va prendre encore plus d'ampleur avec la diffusion massive des thérapies dites ciblées.
«La cancérologie favorise ces médicaments de niche.
Mais ce n'est pas parce qu'un médicament est efficace chez 1 000 malades plutôt que chez 1 million, qu'il doit être payé 1 000 fois plus cher», s'insurge le Pr Jean-Paul Vernant, hématologue à la Pitié-Salpétrière, à Paris.
La solution, selon certains spécialistes, serait de remettre en cause une stratégie trop centrée sur le médicament pour favoriser la prévention ou d'autres formes de prises en charge.
«Contre le cancer du poumon par exemple, mieux vaut sans doute investir dans la prévention du tabagisme que de développer de nouveaux traitements», estime le Pr Alain Astier, pharmacien hospitalier à l'hôpital Henri-Mondor (Créteil).
À l'heure des restrictions budgétaires, les coûts pour la collectivité de ces médicaments innovants devront de plus en plus être justifiés.
Le problème n'est donc plus seulement strictement médical. Il est politique.
Certains pays, comme l'Angleterre, ont tranché.
Là-bas, les malades n'ont pas accès à tous les nouveaux médicaments.
Ainsi dans la leucémie myéloïde chronique, ils ont accès à deux traitements sur les trois qui existent. Lorsqu'ils veulent, malgré tout, bénéficier du traitement qui n'est pas pris en charge, ils doivent payer de leur poche!
Tous ne le peuvent pas, car il faut alors débourser l'équivalent de 36 000 euros par an.
Le débat est donc posé: est-on prêt, en France, à cette médecine à deux vitesses?
Le dossier est sur le bureau du prochain secrétaire d'État à la Santé, qui doit être nommé mercredi.
mam