Ce sont les sentinelles du Web. Les petites mains anonymes qui, jour et nuit, scrutent les commentaires déposés par les internautes en dessous des articles publiés sur les sites d'information.
Le métier a fait son apparition il y a quelques années avec la montée en puissance du Web participatif. Deux entreprises dominent le marché français : Concileo et Netino, respectivement créées en 2000 et 2002.
Face au volume considérable de commentaires qu'ils reçoivent, plusieurs grands sites d'information ont fait le choix de sous-traiter la modération. C'est le cas du Figaro.fr, du Post et du Monde.fr pour les commentaires de sa plate-forme de blogs.
Sur ce dernier site, les commentaires des articles, eux, sont modérés en interne. La modération revêt une grande importance pour les entreprises de presse. "Nous y sommes obligés d'abord pour des raisons légales, explique Luc de Barochez, directeur de la rédaction du Figaro.fr. Mais aussi pour défendre notre image de marque.
L'essentiel est de pouvoir maintenir une conversation autour de l'information." Le site Internet du Monde s'efforce lui aussi de respecter un équilibre entre liberté d'expression et répression des abus. "Les commentaires ont une fonction de débat qu'il faut préserver, insiste Alexis Delcambre, rédacteur en chef. Autrefois, ce genre de discussions se tenait dans les salons ou les cafés ; aujourd'hui, ils ont lieu sur le Net."
"10 EUROS DE L'HEURE"
La modération coûte cher, de 600 euros jusqu'à 7 000 euros par mois pour des sites qui ont une forte audience. La raison en est simple : la gestion des commentaires ne peut être confiée à une machine. L'important, explique Jean-Marc Royer, président de Netino, c'est le contexte : "Ce n'est pas le mot qui compte, c'est ce que la personne veut dire. Par exemple, "*****" ou "******" peuvent être des interjections ou des insultes, selon le contexte. De même, on peut tenir des propos extrêmement racistes ou insultants en utilisant des mots ordinaires." Exemple : "Je ne doute pas que votre génitrice entretenait des relations intimes rémunérées avec une foule d'individus."
Les robots sont utilisés uniquement pour faciliter le travail des opérateurs, en faisant remonter en priorité certains commentaires en raison de la présence de tel ou tel thème ou mot sensible.
La majorité des modérateurs travaillent chez eux. Des équipes se relaient jour et nuit. "C'est un travail mal payé, un peu plus de 10 euros de l'heure, reconnaît David Corchia, PDG de Concileo. Pourtant, cela requiert une bonne formation et les modérateurs sont souvent très diplômés."
Le pourcentage de messages supprimés varie de 2 % à 12 % chez Netino. Mais il peut grimper jusqu'à 90 % pour certains sujets délicats : faits divers en banlieue, conflit israélo-palestinien, burqa...
A Netino, il a fallu sept ans pour constituer la charte de modération proposée aux clients, qui constitue la bible de l'entreprise. Tous les cas de figure y sont envisagés. Y compris les différents types de nudité admissibles sur un site. A partir de cette base, les entreprises de modération s'adaptent à la demande. "Notre métier n'est pas de prendre une décision éditoriale, mais d'appliquer les consignes de notre client", dit M. Royer.
EN PLEIN ESSOR
Les entreprises de modération ont développé un savoir-faire pointu en matière de sémantique. Un texte anodin en apparence peut dissimuler une intention raciste. Les groupuscules extrémistes sont devenus experts dans l'art du sous-entendu et de l'antiphrase. "Ils utilisent un langage codé pour contourner la modération, explique-t-on chez Netino. Par exemple, au lieu de dire un immigré, on dira "une chance pour la France" ou "une pépite de la nation". Ou encore, les "Subsahariens", les "mélanodermes"."
Les modérateurs traquent aussi la diffamation. "Le dénigrement est une notion très difficile à appréhender, note M. Corchia. On peut critiquer une personne dans l'exercice de ses fonctions. Dire par exemple qu'un politicien est incompétent. Mais on n'a pas le droit de l'attaquer pour ses traits physiques." Dans quelques rares cas, les entreprises de modération peuvent être amenées à saisir la police. Par exemple, lorsqu'un internaute menace de commettre un attentat contre Nicolas Sarkozy. Ou lorsqu'un autre parle de mettre fin à ses jours.
Le marché de la modération est en tout cas en plein essor. "Nous doublons notre chiffre d'affaires chaque année", se félicite le patron de Netino. L'entreprise s'est développée à l'étranger et fait de la modération en japonais, en chinois, en arabe... Mais de nouveaux opérateurs comme les centres d'appels commencent à arriver sur ce marché et tirent les prix vers le bas.
Xavier Ternisien
http://www.lemonde.fr/technologies/...-les-derapages-sur-le-web_1392582_651865.html
Le métier a fait son apparition il y a quelques années avec la montée en puissance du Web participatif. Deux entreprises dominent le marché français : Concileo et Netino, respectivement créées en 2000 et 2002.
Face au volume considérable de commentaires qu'ils reçoivent, plusieurs grands sites d'information ont fait le choix de sous-traiter la modération. C'est le cas du Figaro.fr, du Post et du Monde.fr pour les commentaires de sa plate-forme de blogs.
Sur ce dernier site, les commentaires des articles, eux, sont modérés en interne. La modération revêt une grande importance pour les entreprises de presse. "Nous y sommes obligés d'abord pour des raisons légales, explique Luc de Barochez, directeur de la rédaction du Figaro.fr. Mais aussi pour défendre notre image de marque.
L'essentiel est de pouvoir maintenir une conversation autour de l'information." Le site Internet du Monde s'efforce lui aussi de respecter un équilibre entre liberté d'expression et répression des abus. "Les commentaires ont une fonction de débat qu'il faut préserver, insiste Alexis Delcambre, rédacteur en chef. Autrefois, ce genre de discussions se tenait dans les salons ou les cafés ; aujourd'hui, ils ont lieu sur le Net."
"10 EUROS DE L'HEURE"
La modération coûte cher, de 600 euros jusqu'à 7 000 euros par mois pour des sites qui ont une forte audience. La raison en est simple : la gestion des commentaires ne peut être confiée à une machine. L'important, explique Jean-Marc Royer, président de Netino, c'est le contexte : "Ce n'est pas le mot qui compte, c'est ce que la personne veut dire. Par exemple, "*****" ou "******" peuvent être des interjections ou des insultes, selon le contexte. De même, on peut tenir des propos extrêmement racistes ou insultants en utilisant des mots ordinaires." Exemple : "Je ne doute pas que votre génitrice entretenait des relations intimes rémunérées avec une foule d'individus."
Les robots sont utilisés uniquement pour faciliter le travail des opérateurs, en faisant remonter en priorité certains commentaires en raison de la présence de tel ou tel thème ou mot sensible.
La majorité des modérateurs travaillent chez eux. Des équipes se relaient jour et nuit. "C'est un travail mal payé, un peu plus de 10 euros de l'heure, reconnaît David Corchia, PDG de Concileo. Pourtant, cela requiert une bonne formation et les modérateurs sont souvent très diplômés."
Le pourcentage de messages supprimés varie de 2 % à 12 % chez Netino. Mais il peut grimper jusqu'à 90 % pour certains sujets délicats : faits divers en banlieue, conflit israélo-palestinien, burqa...
A Netino, il a fallu sept ans pour constituer la charte de modération proposée aux clients, qui constitue la bible de l'entreprise. Tous les cas de figure y sont envisagés. Y compris les différents types de nudité admissibles sur un site. A partir de cette base, les entreprises de modération s'adaptent à la demande. "Notre métier n'est pas de prendre une décision éditoriale, mais d'appliquer les consignes de notre client", dit M. Royer.
EN PLEIN ESSOR
Les entreprises de modération ont développé un savoir-faire pointu en matière de sémantique. Un texte anodin en apparence peut dissimuler une intention raciste. Les groupuscules extrémistes sont devenus experts dans l'art du sous-entendu et de l'antiphrase. "Ils utilisent un langage codé pour contourner la modération, explique-t-on chez Netino. Par exemple, au lieu de dire un immigré, on dira "une chance pour la France" ou "une pépite de la nation". Ou encore, les "Subsahariens", les "mélanodermes"."
Les modérateurs traquent aussi la diffamation. "Le dénigrement est une notion très difficile à appréhender, note M. Corchia. On peut critiquer une personne dans l'exercice de ses fonctions. Dire par exemple qu'un politicien est incompétent. Mais on n'a pas le droit de l'attaquer pour ses traits physiques." Dans quelques rares cas, les entreprises de modération peuvent être amenées à saisir la police. Par exemple, lorsqu'un internaute menace de commettre un attentat contre Nicolas Sarkozy. Ou lorsqu'un autre parle de mettre fin à ses jours.
Le marché de la modération est en tout cas en plein essor. "Nous doublons notre chiffre d'affaires chaque année", se félicite le patron de Netino. L'entreprise s'est développée à l'étranger et fait de la modération en japonais, en chinois, en arabe... Mais de nouveaux opérateurs comme les centres d'appels commencent à arriver sur ce marché et tirent les prix vers le bas.
Xavier Ternisien
http://www.lemonde.fr/technologies/...-les-derapages-sur-le-web_1392582_651865.html