Les musulmans sur le divan ou Psychanalyse et Islam.

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Soyons sérieux .
par Fethi Benslama, professeur de psychopatologie (université Paris-VII)

Introduction : Pourquoi la psychanalyse n’a-t-elle jamais vraiment réussi à s’implanter en terre d’islam ? Pourquoi, en retour, Freud et Lacan ne se sont-ils jamais intéressés au monothéisme musulman ? À ces questions - qui ne sont pas seulement théoriques -, le psychanalyste tunisien Fethi Benslama s’efforce d’apporter des réponses dans un passionnant entretien.

J.A.I. : Le titre de votre dernier livre (La Psychanalyse à l'épreuve de l'islam) semble indiquer que vous-même hésitez à mettre l'islam à l'épreuve de la psychanalyse, préférant la démarche inverse…

F.B. : J'ai choisi ce titre surtout pour indiquer ce que je n'ai pas voulu faire. J'examine un problème qui concerne la psychanalyse, et pas seulement les musulmans. Je ne voulais pas que ce livre s'inscrive dans une démarche orientaliste, mais qu'il s'adresse d'abord aux psychanalystes et à ceux qui s'intéressent à cette discipline, pour les amener à se dire : l'islam est une question qui nous concerne. Ma priorité, c'était d'apporter à la psychanalyse un savoir dont elle ne disposait pas, même si, bien sûr, j'ai aussi traité les autres aspects du rapport islam-psychanalyse, mettant souvent l'islam à l'épreuve de la psychanalyse.

J.A.I. : Quel est donc ce savoir que vous souhaitez apporter ?
F.B. : Il concerne deux domaines. D'abord, je voulais, et c'est l'objet de la première partie du livre, examiner la manière dont émergent sous nos yeux, comme dans un laboratoire, un sujet et des sociétés modernes dans le fracas et la violence dont le monde musulman est le théâtre. Un fracas, une violence, des affrontements, parfois une psychose de masse, que l'Europe a d'ailleurs connus quand elle était confrontée au même problème et qu'elle a oubliés depuis. Aujourd'hui, ce n'est pas l'islam, comme on le croit trop souvent, qui pose problème, c'est sa rencontre avec le monde de la science. L'islamisme, à cet égard, apparaît comme un symptôme : celui de l'éclatement du monde de la tradition.

L'integralité de l'entretien à la lire IcI

Article paru le 14 août 2005 dans Jeune Afrique l’Intelligent .
 
Extrait:

J.A.I. : Justement, comment un patient très croyant peut-il admettre le surgissement de phénomènes inconscients, quand tout, à commencer par ses propres symptômes, se ramène pour lui à la volonté divine, au « Inch'Allah » ?

F.B. : Par expérience, je peux vous dire que lorsque des gens viennent vous voir avec une demande sincère, avec une vraie souffrance psychique, il y a souvent au début, notamment avec les jeunes, des interrogations sur la question religieuse. Mais, en général, celle-ci est très vite laissée de côté. C'est le travail de l'analyste, d'ailleurs, de tout faire pour éviter qu'on aborde frontalement ce qui risque de créer de la résistance à l'analyse, d'enfermer le patient dans une voie sans issue. Quand celui-ci a pu faire un pas de côté, il
se préoccupe vite d'autre chose. Ce n'est qu'ensuite que la question reviendra, mais sous une autre forme : ayant acquis une certaine liberté ou une certaine mobilité psychique, le sujet pourra l'aborder avec un sens critique. Il s'apercevra, par exemple, que le fondement de la religion, et ce n'est pas seulement vrai pour l'islam, c'est la culpabilité. Et que cette culpabilité est, dans sa vie, une entrave considérable. Quand on l'amène à réexaminer la situation au niveau de sa propre histoire, de ses symptômes, les choses se déplacent et on arrive à travailler sans blocage.

J.A.I. : On dit parfois que les chrétiens et les juifs ont beaucoup plus tendance à culpabiliser que les musulmans, lesquels préféreraient plutôt culpabiliser… leur prochain. Et les islamistes plus encore que les autres !

F.B. : Je ne suis pas d'accord du tout. Si l'on s'intéresse aux islamistes, on voit bien à quel point ils sont concernés par la culpabilité. Afin d'attirer des jeunes, ils jouent de ce ressort. Sous toutes ses formes. Car la culpabilité, ce n'est pas seulement ce sentiment que l'on peut ressentir quand on a fait quelque chose. Comme la psychanalyse l'a montré, on peut n'être coupable de rien et éprouver un sentiment de culpabilité. La culpabilité peut même précéder l'acte qui sera supposé la justifier. C'est souvent très clair chez les délinquants : le sujet exerce une violence pour tenter de trouver une cause à cette culpabilité qui le mine ! La pire des culpabilités, en effet, est celle qui est inconsciente, on ne peut pas immédiatement y associer une raison évidente.

J.A.I. : Face à la psychanalyse, il n'y a donc aucune spécificité des musulmans ?

F.B. : Il faudrait d'abord s'entendre sur le terme. De quels musulmans parle-t-on ? Je prétends que le musulman en général n'existe pas. Il y a des musulmans, très différents les uns des autres. Ne serait-ce que parce qu'ils appartiennent à des temps historiques différents. Il y a le musulman qui appartient au monde traditionnel, qui n'a pas perdu ses repères et entend les conserver. Il y a le musulman pour lequel la tradition ne suffit pas et qui veut en revenir à quelque chose de plus fondamental, selon la voie des salafistes. Il y a le musulman qui accepte la modernité sans rejeter la tradition et adopte une position de compromis. Et il y a ceux, enfin, qui continuent à se dire musulmans mais n'ont plus que des traces de foi…
 
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