@Cammix
Bonjour
Tu as raison, l'idéalisme est pas très à la mode aujourd'hui, encore moins chez les scientifiques. Les scientifiques croient en la réalité objective, qu'ils essaient de décrire à force d'observations et de raisonnements. Ils sont pas dans le délire que la matière face à eux serait une création mentale...
Par contre, dans les traditions philosophiques occidentale et bouddhiste, l'idéalisme a été défendu par quelques grands noms, qui sont encore lus aujourd'hui. Pourtant... on les lit, on les respecte, mais on ne les prend pas au sérieux. C'est trop en décalage avec notre vision actuelle du monde. Certains auteurs de piètre qualité ont cherché des arguments pour l'idéalisme dans de mauvaises vulgarisations de la physique quantique.
Si toutefois on daigne refaire la critique de l'idéalisme, voici deux objections qui me paraissent fortes :
- Dans la perspective idéaliste, à quoi servent les neurosciences? Pourquoi, si la réalité est une représentation mentale, existe-t-il une représentation appelée cerveau, et qui paraît paradoxalement être indispensable pour créer les autres représentations? Et pourquoi une perturbation de la représentation de ce cerveau entraîne-t-elle une perturbation du reste des représentations à leur source même?
Si la réalité est une représentation mentale, notre esprit ne devrait-il pas être davantage « désincarné »? Quel est donc ce corps qui colle de façon si tenace à mon esprit, et qui paraît lui imposer sa loi bien souvent?
- Deuxième objection : la passivité de nos sens. Si l'idéalisme est vrai, et que tout est représentation mentale, pourquoi la plupart des images, sons, perceptions, etc. s'imposent-elles indépendamment de mes attentes, de ma volonté, et parfois contre elle (par exemple les voisins qui font du bruit)?
Bien sûr les idéalistes y ont pensé, et ils ont proposé des réponses. Par exemple pour Berkeley, les représentations ont une certaine autonomie (par rapport à nous) du fait qu'elles sont constamment pensées par Dieu, qui est éternel et omniprésent. Donc même si aucun humain ne pensait aux dinosaures, ils existaient quand même.
D'autres idéalistes concèdent que notre « moi » superficiel est effectivement passif, mais ils prétendent qu'il y a en nous un « moi » plus fondamental, dont on ne serait pas très bien conscients, et qui est à l'origine de la production de ces représentations. Entre le moi de la superficie, qui est ce dont on est conscient spontanément, et le moi fondamental ou profond, il y a toutefois identité de nature : c'est le même moi. Simplement, on est aveuglé ou trompé par les apparences.
Bon mon objection est que si les idéalistes utilisent ce genre de raisonnement, il y a plus trop de différence entre leur position, et celle de leurs adversaires, les « réalistes ». Certes, jamais un matéraliste ne s'y reconnaîtrait. Mais un réaliste qui admet la souveraineté de Dieu et l'existence de l'âme, il y a pas vraiment de différence avec l'idéalisme nuancé par des précisions.
Berkeley disait que les représentations des choses peuvent exister sans nous, car Dieu y pense. Mais qu'est-ce que ça apporte de plus que la position traditionnelle, selon laquelle la matière existe sans nous, mais a besoin d'être soutenue par Dieu? Les idéalistes comme Berkeley ne croient pas en la « matière », mais pour répondre aux objections, ils sont obligés de poser quelque chose qui, en pratique, lui équivaut.
Les idéalistes athées parlent d'un moi fondamental qui échapperait à la conscience du moi de la superficie. Cela est une hypothèse gratuite, à moins qu'il y ait une technique infaillible pour en prendre conscience (ce qui est la prétention de certains bouddhistes).
Mais ce moi fondamental, en pratique, est une réalité distincte de notre moi de la vie de tous les jours. En pratique, on peut les considérer comme deux êtres séparés. Et donc, ce moi fondamental ou profond, si on peut encore l'appeler ainsi, qui produirait les représentations du moi de la vie tous les jours, en réalité il se retrouve à jouer le même rôle que la matière. La matière qui, pour les réalistes, exerce une influence sur les sens et produit ainsi des représentations dans notre tête.
La seule chose qui peut-être resterait discutable, c'est si la réalité à la source de nos représentations « ressemble » à ce que nous en percevons (de façon consciente, dans la vie ordinaire). Ce qui revient à dire : ce qui nous apparaît est-il semblable à la réalité en soi? Ou encore : notre expérience est-elle fidèle à la réalité?
Mais poser la question ainsi, c'est déjà être sorti de la perspective idéaliste, et se situer dans un cadre réaliste normal (qu'on partage avec les scientifiques et les philosophes des sciences). On peut bien soutenir que la réalité en soi est différente de notre perception, mais cela n'est pas de l'idéalisme.