Jamila est une éleveuse de limousine comme les autres. Sauf qu'elle est née au Maroc. De là-bas à ici, sa différence, elle ne la vue que dans le regard des autres.
«Être française, je sais ce que ça veut dire. C'est la différence dans le regard quand tu montres une carte d'identité ou une carte de séjour ».
Jamila Elyagoubi, de Saint-Sulpice-le-Guérétois, a connu les deux. La carte de séjour, c'était avant qu'elle ne veuille entrer dans l'armée française pour s'y faire un métier. Elle décida alors de se faire naturaliser, mais ne porta jamais l'uniforme.
La vie en décida autrement et c'est à la tête d'une exploitation de 60 vaches, limousines avant tout, qu'on la trouve.
Drôle de destin pour la petite fille marocaine née à Taza, il y a 42 ans. Jamila est en bas âge quand sa mère meurt laissant 9 enfants à son mari. Ce dernier la confie alors, à sa belle-soeur et à son mari qui n'ont pas d'enfant et qui sont au service d'un diplomate français. Une tante et un oncle qui deviendront les parents adoptifs de Jamila. Le diplomate décide de prendre sa retraite dans sa Creuse natale et propose à sa femme de ménage de le suivre. Et voilà Jamila à Châtelus-Malvaleix. Dans le pays, elle est la seule à avoir cette peau mate? pourtant personne ne le lui reprocha. « J'ai été adoptée comme l'enfant du pays. Je me souviens de l'épicier itinérant qui laissait toujours, pour rien, une banane ou du chocolat pour "la petite" ». À l'école, elle dépareille? et pourtant si différence il y a, Jamila ne l'a jamais ressentie. « Juste une fois, au collège à Bénévent, une fille m'a traitée de négrillonne. Je n'ai pas compris ».
Sa différence, c'est l'âge de femme venue qu'elle la mesura. « J'étais montée à Paris, mais là-bas on s'ignore. Je suis revenue m'installer à Limoges. C'était les années 1980, touche pas à mon pote et tout le reste? Là, ma différence, on me l'a opposée, imposée. Parfois avec les meilleures intentions du monde. Souvent, sans. Mais on me voulait à part alors que je me sentais dedans, intégrée ».
Sentiment qui s'aiguisa quand elle revint dans sa famille, en Creuse, avec ses deux enfants après son divorce. « À Châtelus, j'étais toujours la fille d'ici. Mais à Guéret, encore ce regard. Encore ces remarques ». Guéret où elle rencontre Yves Couty. Une nouvelle histoire, un nouveau départ. Ils auront une fille, Laura. Il va l'embarquer dans son aventure à lui : s'installer en agriculture, dans les pas de son père. Ensemble, ils passent leur brevet professionnel agricole. Ensemble, ils font les démarches. « Souvent, il y avait des grands yeux surpris quand je débarquais avec notre projet », sourit-elle.
Ils finissent par y arriver. Yves élève alors des veaux de boucherie. Ça marche. Jusqu'au coup du sort. La maladie, l'hospitalisation qui le prive de sa ferme. L'impossibilité de porter « cette tonne d'aliment chaque jour » pour nourrir les bêtes. Il finit par liquider son exploitation. C'est Jamila qui prend alors le relais, devenant chef d'exploitation et lui conjoint. Retour au classique : l'allaitant, avec des limousines et des vêlages.
Et l'aventure peut continuer. Certes, ce n'est pas à eux qu'on donne le plus facilement un coup de main. On les oublie aussi quand des terres se répartissent dans le pays. Certes, aussi, Yves a entendu, à la chasse, un compère connaissant sa femme lui dire : « Moi, les gris, j'te les alignes et j'en fais un ball-trap ».
- « Moi, c'est un voisin qui m'a dit : "j'aime pas les Arabes!"
- Et moi, alors.
- Toi, c'est différent !»
Et Jamila de rassurer : « Ceux qui pensent ce qu'ils pensent ne sont pas nombreux à le penser et moins encore à le dire ». Est-ce ça, la différence ? « Vous savez, le racisme n'a pas besoin de couleur », confie Jamila. « Moi, je suis d'Azat-Châtenet, illustre Yves. Et je suis déjà un étranger pour certains ».
C'est la maman qui conclura : « Ce qui me gène, c'est les propos que peut entendre Laura à l'école. Il y en a de plus durs que quand, moi, j'étais enfant. Je pense que c'est dû à l'époque. Elle se tend ».
La Montagne - Éric Donzé
«Être française, je sais ce que ça veut dire. C'est la différence dans le regard quand tu montres une carte d'identité ou une carte de séjour ».
Jamila Elyagoubi, de Saint-Sulpice-le-Guérétois, a connu les deux. La carte de séjour, c'était avant qu'elle ne veuille entrer dans l'armée française pour s'y faire un métier. Elle décida alors de se faire naturaliser, mais ne porta jamais l'uniforme.
La vie en décida autrement et c'est à la tête d'une exploitation de 60 vaches, limousines avant tout, qu'on la trouve.
Drôle de destin pour la petite fille marocaine née à Taza, il y a 42 ans. Jamila est en bas âge quand sa mère meurt laissant 9 enfants à son mari. Ce dernier la confie alors, à sa belle-soeur et à son mari qui n'ont pas d'enfant et qui sont au service d'un diplomate français. Une tante et un oncle qui deviendront les parents adoptifs de Jamila. Le diplomate décide de prendre sa retraite dans sa Creuse natale et propose à sa femme de ménage de le suivre. Et voilà Jamila à Châtelus-Malvaleix. Dans le pays, elle est la seule à avoir cette peau mate? pourtant personne ne le lui reprocha. « J'ai été adoptée comme l'enfant du pays. Je me souviens de l'épicier itinérant qui laissait toujours, pour rien, une banane ou du chocolat pour "la petite" ». À l'école, elle dépareille? et pourtant si différence il y a, Jamila ne l'a jamais ressentie. « Juste une fois, au collège à Bénévent, une fille m'a traitée de négrillonne. Je n'ai pas compris ».
Sa différence, c'est l'âge de femme venue qu'elle la mesura. « J'étais montée à Paris, mais là-bas on s'ignore. Je suis revenue m'installer à Limoges. C'était les années 1980, touche pas à mon pote et tout le reste? Là, ma différence, on me l'a opposée, imposée. Parfois avec les meilleures intentions du monde. Souvent, sans. Mais on me voulait à part alors que je me sentais dedans, intégrée ».
Sentiment qui s'aiguisa quand elle revint dans sa famille, en Creuse, avec ses deux enfants après son divorce. « À Châtelus, j'étais toujours la fille d'ici. Mais à Guéret, encore ce regard. Encore ces remarques ». Guéret où elle rencontre Yves Couty. Une nouvelle histoire, un nouveau départ. Ils auront une fille, Laura. Il va l'embarquer dans son aventure à lui : s'installer en agriculture, dans les pas de son père. Ensemble, ils passent leur brevet professionnel agricole. Ensemble, ils font les démarches. « Souvent, il y avait des grands yeux surpris quand je débarquais avec notre projet », sourit-elle.
Ils finissent par y arriver. Yves élève alors des veaux de boucherie. Ça marche. Jusqu'au coup du sort. La maladie, l'hospitalisation qui le prive de sa ferme. L'impossibilité de porter « cette tonne d'aliment chaque jour » pour nourrir les bêtes. Il finit par liquider son exploitation. C'est Jamila qui prend alors le relais, devenant chef d'exploitation et lui conjoint. Retour au classique : l'allaitant, avec des limousines et des vêlages.
Et l'aventure peut continuer. Certes, ce n'est pas à eux qu'on donne le plus facilement un coup de main. On les oublie aussi quand des terres se répartissent dans le pays. Certes, aussi, Yves a entendu, à la chasse, un compère connaissant sa femme lui dire : « Moi, les gris, j'te les alignes et j'en fais un ball-trap ».
- « Moi, c'est un voisin qui m'a dit : "j'aime pas les Arabes!"
- Et moi, alors.
- Toi, c'est différent !»
Et Jamila de rassurer : « Ceux qui pensent ce qu'ils pensent ne sont pas nombreux à le penser et moins encore à le dire ». Est-ce ça, la différence ? « Vous savez, le racisme n'a pas besoin de couleur », confie Jamila. « Moi, je suis d'Azat-Châtenet, illustre Yves. Et je suis déjà un étranger pour certains ».
C'est la maman qui conclura : « Ce qui me gène, c'est les propos que peut entendre Laura à l'école. Il y en a de plus durs que quand, moi, j'étais enfant. Je pense que c'est dû à l'époque. Elle se tend ».
La Montagne - Éric Donzé