Après le conflit à Gaza, l'heure est au bilan. En France, le conflit a mobilisé les musulmans de France et les associations. Des accointances ont émergé avec l'extrême gauche.
Samedi 17 janvier, à Paris. Une vingtaine de femmes voilées de noir, jupes longues et tchadors, entourent un immense drapeau palestinien. Autour d'elles, plusieurs milliers de musulmans reprennent en choeur le chant lancé, en arabe, par un religieux invisible, dissimulé derrière les portes de sa camionnette. "Ce rassemblement n'est pas communautaire, nous voulons tous la paix!" tente de convaincre, au mégaphone, Olivia Zémor, membre de l'association EuroPalestine, à l'initiative du rassemblement. Peine perdue: sa voix est couverte par celles des fidèles.
De mémoire de militant, jamais les musulmans de France n'ont été si nombreux à rallier, jusque dans la rue, la cause palestinienne. Bouleversés par les images sanglantes diffusées par la chaîne Al-Jazira, tenus informés en temps réel par SMS, mails, Facebook, ils se sont mobilisés en masse dès les premiers jours du conflit de Gaza. Veillées, conférences, rassemblements, concerts, ils ont été de toutes les initiatives, ou presque.
Le 10 janvier, plus de 200 000 personnes dénonçaient l'offensive israélienne à travers la France. A Paris, les services de police estimaient alors "de 70 à 80 %" la proportion de "personnes issues de la communauté arabo-musulmane". Les traditionnels militants de la cause - syndicalistes (SUD et CGT), communistes, altermondialistes, membres de la LCR ou des Verts, humanitaires et droits-de-l'hommistes- semblaient n'être plus là que pour assurer, en vieux routiers, le service d'ordre et la logistique. Aucun n'eut l'air de s'étonner, en tout cas, de voir le défilé s'interrompre au rythme des prières.
Ce fut la grande nouveauté: les musulmans pratiquants marchaient désor*mais main dans la main avec les organisations laïques, traditionnellement -et toujours- aux commandes de la mobilisation propalestinienne. Dès les premiers bombardements de Gaza, une cinquantaine d'associations musulmanes d'Ile-de-France se regroupaient au sein d'une coordination ad hoc. Une première. "Dans ce moment exceptionnel, il fallait alerter les consciences", explique l'un de ses chefs de file, Karim Azouz. Musulmans et militants de gauche ont enchaîné réunions pour communiquer d'une seule voix. Le 16 janvier, l'antenne du Parti communiste de Seine-Saint-Denis et l'Union des associations musulmanes du département -tenante d'un islam orthodoxe- paraphaient même une déclaration commune.
Les réapparitions de Tariq Ramadan
Parmi les militants religieux engagés, les plus radicaux ont répondu à l'appel du Parti des musulmans de France (PMF), du Strasbourgeois Mohamed Latrèche. Un groupuscule "islamiste, radical, antisémite", selon la sociologue Monique Crinon, membre du Centre d'études et d'initiatives de solidarité internationale (Cedetim). Très minoritaire, le PMF a trouvé l'occasion idéale de porter son message au-delà de son fief alsacien.
Dans un genre différent, l'influente Union des organisations islamiques de France (UOIF) joue également une part active dans la mobilisation religieuse. Contrairement aux autres grandes fédérations musulmanes (voir l'encadré), elle a officiellement appelé ses membres à manifester. Mieux: ses principaux leaders se sont rendus à proximité de Gaza.
Plus discret, le Collectif des musulmans de France (CMF), né à Lyon dans les années 1990 sous l'influence de Tariq Ramadan, a avancé aussi ses pions. Le prédicateur, aujourd'hui résident britannique, faisait plusieurs réapparitions, ces dernières semaines, à la *faveur de réunions organisées dans le Nord et en *région parisienne. Proche des altermondialistes et de certains intellectuels de gauche, le groupe compte parmi ses membres actifs Karim Azouz, initiateur de la toute récente coordination religieuse.
L'idée de rapprocher certains musulmans de France et la gauche laïque, extrême y compris, n'est pas nouvelle. Elle fut même défendue par le CMF dès ses *débuts et abondamment relayée par le site Internet communautaire Oumma.com, l'un des plus visités par les musulmans. En 2004, la question d'interdire le voile à l'école semblait pouvoir resserrer les liens. Karim Azouz, en première ligne à l'époque, en était persuadé. Mais l'alliance a tourné court. Déçu, le jeune activiste déclarait alors dans un article publié sur le site Bladi.net en 2006:"Personne n'est en mesure de faire descendre les musulmans dans la rue."
Il suffisait d'attendre un nouveau contexte politique hexagonal: un Parti socialiste en déliquescence, des communistes sans leader, des altermondialistes sans appareil et le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) d'Olivier Besancenot, qui tiendra son premier congrès fondateur le 6 février... Plus que jamais, les voix musulmanes sont politiquement bonnes à prendre. "L'extrême gauche ne veut plus se cantonner aux anciens trotskistes, elle doit ratisser plus large", confirme Bernard Godard, fin connaisseur de l'islam français et coauteur avec Sylvie Taussig du livre Les Musulmans en France (Laffont).