L'Islande face à un scandale bancaire de plusieurs milliards d'euros

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Il n'était bien entendu pas prévu que l'affaire soit rendue publique. En pleine période de crise, les Islandais apprennent que, deux semaines avant de faire faillite, la plus grosse banque de leur pays a prêté des sommes allant de 45 millions à 1,4 milliard d'euros… à ses principaux actionnaires.

Le document est daté du 25 septembre 2008. Deux semaines plus tard, le 9 octobre, la banque est mise sous tutelle et placée en cessation de paiements. Et parmi les 205 emprunteurs, on trouve essentiellement des actionnaires de la banque.

DES CENTAINES DE MILLIONS D'EUROS PRÊTÉS AUX ACTIONNAIRES

Des noms reviennent régulièrement au fil des 210 pages. Par exemple les frères Ágúst et Lýður Guðmundsson, qui dirigent le groupe Exista, le plus gros actionnaire de la banque. Exista possède 99 % du groupe Skipti, également actionnaire de Kaupthing Bank. Exista a reçu un prêt de 1,42 milliard d'euros, Skipti, de 320 millions d'euros.

Robert Tchenguiz est directeur du groupe Exista. Il a reçu personnellement un prêt d'un peu plus d'un milliard d'euros. Son frère, Vincent, a, lui, reçu 200 millions d'euros en prêt. Ólafur Ólafsson, un autre homme d'affaires, a emprunté personnellement 48 millions d'euros. Mais il est également président du conseil administratif de la holding Alfesca, qui a reçu près de 150 millions d'euros en prêt. En tout, selon l'hebdomadaire islandais Visir, son emprunt s'élèverait à 700 millions d'euros. Des emprunts massifs, consentis à des initiés à un moment où les dirigeants de la banque savaient que l'entreprise était au plus bas, et accordés sans aucune garantie.

Quant à l'homme d'affaires Skuli Thorvaldsson a, lui, reçu 650 millions d'euros. En outre, il est le plus gros emprunteur de KBLux (filiale luxembourgeoise de la banque belge Kredietbank). En avril s'est justement ouvert en Belgique le procès de l'une des plus grosses affaires de fraude fiscale que le pays ait connue : l'affaire KBLux.

ÉTOUFFER L'AFFAIRE

Comme si ce scandale ne se suffisait pas à lui-même, un jour après la publication de ce rapport, les avocats de la "nouvelle" banque Kaupthing, depuis nationalisée – mais dont certains dirigeants sont restés en place – ont écrit à Wikileak pour que ce rapport soit retiré du site. "Cette information hautement sensible et confidentielle est soumise au secret bancaire islandais", écrit l'avocat principal de Kaupthing. "Toute divulgation de ces informations est strictement interdite et passible de peines de prison, selon la loi islandaise", menace-t-il.

La radiotélévision publique islandaise (RUV) a également reçu l'injonction de taire l'affaire. L'ordre a été donné par le commissaire de Reykjavik, Rúnar Guðjónsson, dont le fils, Guðjón Rúnarsson, dirige l'Association islandaise des services financiers et joue le rôle de porte-parole des banques en faillite du pays. Détail : l'autre fils du commissaire, Frosti Reyr Rúnarsson, a dirigé le département de courtage de Kaupthing. La RUV a refusé de faire l'impasse.

Ce n'est qu'après le week-end, mardi 4 août, que la première ministre islandaise, Johanna Sigurdardottir, a fait une déclaration publique, devant l'ampleur de la colère du peuple et des médias islandais. "Il n'est pas possible, dans la situation que connaît actuellement notre société, où tout doit être ouvert et transparent, d'utiliser le secret bancaire pour dissimuler des abus du marché", a-t-elle déclaré lors d'une conférence de presse. "Nous avons donc examiné la possibilité de réviser la législation sur le secret bancaire", a-t-elle ajouté.

RENDRE LA BANQUE AUX ACTIONNAIRES

Le 20 juillet, l'Etat islandais avait annoncé son intention de renflouer à hauteur de 1,5 milliard d'euros les trois principales banques islandaises, nationalisées en urgence en octobre, dont la "nouvelle" Kaupthing. L'accord, précédé de plusieurs semaines de négociations avec les créanciers des banques, était censé être appliqué le 14 août et prévoyait que la quasi-totalité du capital de deux banques, Islandsbanki (ex-Glitnir) et New Kaupthing, soit rendu à des actionnaires. On prend les mêmes et on recommence ?
Hélène Bekmezian
 
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