L'Olympe des infortunes de Yasmina Khadra

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ahmed II

Sweet & Sour
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« Tous les jours, je me demande ce que nous sommes en train de devenir avec cette technologie implacable de l’Internet et du numérique, qui nous dépeuple, nous individualise et nous installe progressivement dans l’animalité. » Ainsi philosophe Yasmina Khadra dans son nouveau roman, L’Olympe des Infortunes. C’est un écrivain qui se veut engagé et responsable. Il déclare à un journaliste, en conclusion d’une interview, qu’il « est impératif de se mobiliser avec entrain pour lutter contre la marginalisation des êtres les plus vulnérables, et surtout pour redonner aux rêves et à l’espoir leur légitimité. »

Voilà ce que j’appelle des valeurs sûres (sarcasmes). Toute la gauche appréciera, ainsi que les croyants dont la défense du loqueteux représente la voie royale vers le salut. Et, capitalisation oblige, l’éditeur n’est pas en reste : il doit assurer des ventes phénoménales pour que le succès soit à la hauteur des attentes de ce métier, d’autant plus qu’on joue des coudes avec les grands. Je me demande tout de même en quoi consistent ces « rêves » et cet « espoir », moi qui n’est pas lu ce livre? Quelqu’un l’a lu? (L’écho de ma question se répercute sur les parois des silences opaques malgré cette technologie implacable de l’Internet et du numérique, qui nous dépeuple, nous individualise.)

Personnellement, je ne doute pas de l’efficacité du style de Khadra. Il a de la plume. C'est avec la forme que l'on crée l'illusion, l'une des ficelles de l'art. Je ne juge pas son écriture, les Algériens peuvent être fiers de cet ancien militaire. C'est au-delà des mots que je m'interroge, sur ses idées qu’il ânonne parce qu’elles sortent du mental d’un grand philosophe... Exemple sur Rousseau? Je vous le tire de son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes. Le livre débute ainsi : «C’est un beau et grand spectacle de voir l’homme sortir en quelque manière du néant par ses propres efforts.»

Vous croyez aussi, vous, qui me lisez, que l’homme sort du néant par ses propres efforts? Vous avez certainement entendu parler d’enfants qui ont grandi seuls dans la forêt, et le résultat... Vous savez par conséquent que ça n’existe pas un enfant qui sort du néant par ses propres efforts. Mais Khadra pense que pour créer un monde meilleur et redonner la légitimité à nos espoirs, il faille le bâtir sur un mythe matérialiste. Par exemple il confie à ses lecteurs en toute bonne foi : « Moi, j’ai une définition assez simple de l’animalité. C’est celle de Jean-Jacques Rousseau : "L’animal est une créature dont la douleur se limite à sa propre souffrance." On passera pour le moment sur ce poncif d’une niaiserie à faire gémir les poules.
 
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Sur ce montage, j’ai reproduit l’effort du singe
qui serait à l’origine des grandes découvertes et de
l’apparition de l’homme, selon les théories scientifiques.

Nos gens d’esprit patouillent avec fierté dans la boue des théories animalisant l’homme. Cette fixation sur nos origines bestiales sert bien la cause; elle camoufle la misérable connaissance dont les ancêtres incultes auxquels ils s’identifient faisaient preuves. Pour contourner cette ignorance et justifier leur ontologie supérieure, ces inventeurs de vérités ont forcé le trait et placé à l’origine des origines de notre ascendance une étoile! Des savants reconnus comme tels par leurs pairs, Lévy Strauss par exemple, pour n’en citer qu’un, ajoutent leurs voix à ce concert de spéculations et font l’éloge de cette sensationnelle trouvaille dont la qualité rationnelle s’apparente plus à l’élégance poétique qu’à une théorie scientifique. Bon an mal an, nous sommes passés, tranquillement pas vite, du coq à l’âne, des bondieuseries au scientisme digne des croyances les plus farfelues.
 
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Oui, il y a eu des hommes animaux, et il en a encore peut-être, tout comme des hommes-singes. J’avais écrit, dans ma critique du long métrage d’Abdellatif Kechiche, L’esquive, que vous pouvez lire sur mon blog : « Ô ma mère! Quel film original. On aime le cinéma après ça comme on aime la littérature. On ne s'en priverait plus. Car il ne s'agit pas ici de passer simplement la soirée mais bien de rentrer dans la vie de la cité et la peau des personnages pour tâter du comportement social et humain, surtout humain, dans son sens noble. Assez de l'animal! »

Car c’est là où je bute, sur ces thèses abracadabrantes supposées nous définir; je rechigne quand Khadra se réfère à un culte athée, celui de nos ancêtres les animaux, pour édifier l’avenir. Ce faisant, ironiquement, il se contredit et exprime clairement sa position confuse : les sociétés issues du développement industriel sont devenues inhumaines. Je le cite : « Dans les villes, la notion de solidarité n’est plus qu’une chimère. » Auparavant, les villes, les sociétés, étaient-elles plus humaines ou plus bestiales? Faudrait s’entendre… Sans doute pense-t-il, à la suite de la tradition monothéiste, que l’évolution est arrivée à terme avec l’espèce humaine. Que nous régressons dorénavant. Que nous allons redevenir des têtards puis des étoiles! (Sourire et parenthèse : ceux qui me connaissent s’apercevront que j’ai opté pour ‘sourire’ au lieu de ‘sarcasme’, ça fait plus cool.) Cravaté comme il est, Khadra, dans ses bureaux à Paris, cela ne m’étonnerait pas qu’il croie à l’histoire d’Adam et Ève racontée par les juifs dans l’Ancien testament.

Moi, je pense que si un homme est civilisé, c’est qu’un autre l’a éduqué. Il n’a pas surgi du néant. Jamais. Mis à part les calculs abstraits capables de nous faire avaler jusqu’aux plus grosses couleuvres, le principe de la vie naissante est toujours resté le même. Point de changement en ce domaine. À preuve du contraire, la vie vient encore de la vie. Il y a toujours eu quelque chose avant elle de vivant plutôt que mort. Seuls les ignorants avancent le contraire, que la vie procède de la matière, inerte par définition. Quand on ne sait plus, quand on ne voit plus, quand on y entend plus rien à l’antiquité ou qu’on hait le passé, qu’on a fait tabula rasa sur l’histoire, ravagé les connaissances ancestrales par impérialisme, on proclame avec forces convictions, comme une vérité rationnelle, scientifique, que le monde a vagi du néant.

Khadra colporte un cliché usé jusqu’à la corde, un cliché forgé sur le passé culturel de la Gaule, des Romains, des Grecs, de l’Europe barbare, où les hommes et les femmes, dans leur majorité, étaient moins que des animaux. Des ours mal léchés et dangereux comme des chiens enragés.

Leurs manières de vivre étaient tout aussi lamentables que leur ignorance. Ils ont concocté une science sur leurs spéculations intéressées, dites objectives, pour formater définitivement, à leur mesure, les peuples à coloniser et s’ériger en maîtres du monde. Diaboliquement efficace!
 
Yasmina Khadra se dépêche de rattraper le retard et d’échapper à ce filet lancé par les impérialistes chevronnés. Il est certainement inspiré par une autre de leur idée fantastique : l’égalité. Si l’on peut faire sien les concepts philosophiques occidentaux, doit-il s’imaginer, et qu’on tienne avec eux la queue de la poêle, on sera sur le même pied. Donc, imitons-les, ou, du moins, suivons sur leurs traces. Khadra ne cherche pas à s’évader de ce carcan idéologique pour être original, différent ou supérieur, mais tout simplement égal, pour jouir des mêmes privilèges que les Occidentaux. Laissons aux utopistes l’art de réinventer la roue, lui ne retombera plus dans le piège, telle l’erreur qui a conduit les rouges (trotskistes et autres istes de cet acabit) à l’exploitation des faibles tout en prétendant le contraire. En Algérie, la réforme agraire a également été un désastre. Non, pour être au diapason avec les théories moderne et recycler ces convictions de jeunesse de façon plus appropriée, il choisie la science, ça c’est une valeur sûre. Même s’il se trompe, le monde entier sera dans le même cas, ce qui pourrait ne plus se compter comme une erreur.

Je dois être honnête avec vous. Je ne lis pas les livres de Khadra. Pour revenir sur ce que je disais plus haut, personnellement, son écriture ne m’impressionne pas. Ni son récit. Encore moins sa morale. Il faut dire que je ne suis pas porté sur le roman. Il en va de même pour la poésie. Pas que je sois contre cette forme d’art, mais rarement je tombe sur des œuvres qui m’accrochent. Par curiosité, et de temps à autre, je prends un livre, en l’occurrence L’Olympe des infortunes, pour en feuilleter les pages. J’en suis rapidement désenchanté. Le titre n’est pas pour m’aider. Vous le savez maintenant, tout ce qui touche aux Grecs me laisse indifférent. J’ai cependant compulsé les premières pages de son livre pour me persuader de mon jugement. L’histoire débute avec deux bougres, des clochards. L’un, Ach, est borgne et jouit d’une ascendance psychologique sur son compagnon. Comme il n’aime pas que celui-ci se rende en ville, lieu de débauche et de maléfices par excellence, pour l’effrayer il lui raconte une anecdote de la Bible, celle de Sodome et Gomorrhe. « Surtout, ne te retourne pas, lui recommande Ach en agitant le doigt. Le bon Dieu a mis en garde Loth : "J’vais foutre en l’air Sodome. Prends ta smala et taille-toi illico presto. Lorsque tu entendras bousiller la baraque, te retourne surtout pas." Loth a rassemblé sa tribu et lui a expressément intimé de pas se retourner quand il entendra le bon Dieu foutre en l’air Sodome. Mais la femme à Loth, elle, elle s’est retournée… Et tu sais ce qui lui est arrivé, à Mme Loth?
-Tu m’as déjà raconté. »
Pas grave, le clochard a oublié certains détails, voilà une bonne occasion pour Khadra de nous ressortir ce mythe. Mais ce n’est pas pour me plaire. C’est comme les histoires grecques mais en bien pire. Khadra va lui expliquer la morale de ce drame divin. Je fais encore un petit effort pour lire quelques lignes. Je ne suis qu’à la page cinq après tout.
 
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