LE MONDE | 28.08.2014 à 11h03 • Mis à jour le 28.08.2014 à 12h35 | Par Isabelle Chaperon, Olivier Faye et Patrick Roger
Je renierais mes amis si tu me le demandais », chantait Edith Piaf dans L'Hymne à l'amour. Manuel Valls en a offert une nouvelle version, mercredi 27 août, à Jouy-en-Josas (Yvelines), à l'université d'été du Medef, dont il était l'invité d'honneur. Copieusement applaudi à son arrivée sous un grand chapiteau archicomble, il est reparti ovationné par un parterre de chefs d'entreprise debout, tombés sous le charme d'un premier ministre qui l'a dit, répété et proclamé : « Moi, j'aime l'entreprise, j'aime l'entreprise. »
Lire aussi : La leçon de Manuel Valls aux socialistes
Au lendemain de la composition de son nouveau gouvernement, le premier message de M. Valls consistait à convaincre qu'une page était bien en train de se tourner. « Je sais qu'il est d'usage d'opposer la gauche et le monde de l'entreprise, a-t-il amorcé. Ce que je crois profondément, c'est que notre pays a besoin de sortir des postures, des jeux de rôles. Tout cela nous a fait perdre trop de temps. Notre pays crève de ces postures. »
Pour son auditoire, les propos du premier ministre n'étaient que miel. « Je le dis, je l'assume, la France a besoin de vous… Il est absurde de parler de “cadeaux faits aux patrons”… Les impôts au cours de ces dernières années ont trop augmenté, pour les ménages comme pour les entreprises… Certaines formalités excessives sont trop pénalisantes. Nous allons accroître la concurrence, alléger certaines règles… » Et d'assurer que les engagements, « tous les engagements », en faveur de la baisse du coût du travail seraient mis en oeuvre.
Lire aussi : Aménagement des seuils sociaux et 35 heures : les dogmes socialistes remis en question
Le parterre patronal buvait ces paroles. Même l'appel lancé par M. Valls en direction des entreprises pour qu'elles s'engagent pour l'emploi – se refusant toutefois à parler de « donnant-donnant » – n'a pas suffi à briser le charme. « Ce gouvernement agit pour les entreprises. La nation a consenti un effort important, a rappelé le premier ministre. Vous êtes attendus sur l'utilisation que vous ferez des 40 milliards du CICE et du pacte. Les Français n'admettraient pas – et ils auraient raison – que les dividendes versés ou que les plus hautes rémunérations explosent. » Qu'importe, le public était déjà conquis.
« HISTORIQUE », « COURAGEUX »
Le président du Medef, Pierre Gattaz, a salué « un discours de lucidité, de pragmatisme, de clairvoyance, de courage ». « C'était le discours dont on avait besoin. Il y aura peut-être un avant et un après », a-t-il lâché, lui qui, quelques instants plus tôt, à la même tribune, appelait à « rompre avec une vision archaïque, naïve et parfois marxiste de l'économie ». « Le gouvernement a pris la bonne direction. Je dis “bravo !”, mais il faut aller plus loin et ne pas dévier de la trajectoire fixée », mettait-il en garde, tout en appuyant : « Cessons de toujours raisonner en termes de donnant-donnant. »
De quoi désarçonner les dirigeants de l'opposition. « Ça ne va pas nous aider », lâchait fugitivement le sénateur Roger Karoutchi (UMP, Hauts-de-Seine) après le départ de M. Valls. Alain Juppé, arrivé en fin d'après-midi pour participer à une table ronde, trouvait des interlocuteurs encore tout attendris par ce qu'ils venaient d'entendre. « C'est difficile de résister à une déclaration d'amour, reconnaissait le maire de Bordeaux. Si j'ai compris, vous n'y avez pas résisté. En tant que responsable politique, je mesurerai ma confiance à l'aune des actes et des résultats. On verra, mais je dis “bonne chance”. »
Les commentaires recueillis dans les allées du campus d'HEC saluaient, dans leur grande majorité, l'intervention du premier ministre. « Historique », « courageux », revenaient en boucle dans les conversations. « C'était le premier ministre de Sarkozy ou de Hollande ? », plaisantaient certains. « La gauche qui dépolitise l'entreprise, c'est du jamais-vu en France », se félicitait Denis Kessler, le patron du réassureur Scor et ténor du Medef, rappelant que Tony Blair et Gerhard Schröder avaient ouvert la voie en Europe.
SIMPLE IDYLLE OU SERMENTS D'AMOUR PROLONGÉ ?
« Ce qui me plaît, c'est que M. Valls parle d'un enjeu collectif. C'est un discours rassembleur que j'attendais depuis des années. Même des ministres de droite n'ont pas osé tenir de tels propos », se réjouissait Philippe Robardey, PDG de Sogeclair, une entreprise d'ingénierie toulousaine qui emploie 1 200 salariés.
Derrière les intentions affichées, les patrons s'interrogent toutefois sur la suite. « On ne peut être que satisfait du discours, de l'enthousiasme, de la lucidité. Il faut maintenant que les ministres s'emparent de cette dynamique », insiste Didier Riou, président de l'Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction. « Le message est sans ambiguïté. Je donne 16 ou 17 sur 20. Maintenant, il va falloir le mettre en musique », appuie Jean-David Chamboredon, président d'Isai Gestion, une des figures de proue des « pigeons » à l'automne 2012. « J'aurais aimé que M. Valls parle de pénibilité. J'attends qu'on m'explique ce que devient l'écotaxe. C'est ça la réalité du terrain », nuance Claude Blot, un vieux routier du transport.
Simple idylle de fin d'été ou serments d'amour prolongé ? En tout cas, les travaux d'approche semblent avoir porté leurs fruits.
http://abonnes.lemonde.fr/politique...-manuel-valls-et-le-medef_4478011_823448.html
Je renierais mes amis si tu me le demandais », chantait Edith Piaf dans L'Hymne à l'amour. Manuel Valls en a offert une nouvelle version, mercredi 27 août, à Jouy-en-Josas (Yvelines), à l'université d'été du Medef, dont il était l'invité d'honneur. Copieusement applaudi à son arrivée sous un grand chapiteau archicomble, il est reparti ovationné par un parterre de chefs d'entreprise debout, tombés sous le charme d'un premier ministre qui l'a dit, répété et proclamé : « Moi, j'aime l'entreprise, j'aime l'entreprise. »
Lire aussi : La leçon de Manuel Valls aux socialistes
Au lendemain de la composition de son nouveau gouvernement, le premier message de M. Valls consistait à convaincre qu'une page était bien en train de se tourner. « Je sais qu'il est d'usage d'opposer la gauche et le monde de l'entreprise, a-t-il amorcé. Ce que je crois profondément, c'est que notre pays a besoin de sortir des postures, des jeux de rôles. Tout cela nous a fait perdre trop de temps. Notre pays crève de ces postures. »
Pour son auditoire, les propos du premier ministre n'étaient que miel. « Je le dis, je l'assume, la France a besoin de vous… Il est absurde de parler de “cadeaux faits aux patrons”… Les impôts au cours de ces dernières années ont trop augmenté, pour les ménages comme pour les entreprises… Certaines formalités excessives sont trop pénalisantes. Nous allons accroître la concurrence, alléger certaines règles… » Et d'assurer que les engagements, « tous les engagements », en faveur de la baisse du coût du travail seraient mis en oeuvre.
Lire aussi : Aménagement des seuils sociaux et 35 heures : les dogmes socialistes remis en question
Le parterre patronal buvait ces paroles. Même l'appel lancé par M. Valls en direction des entreprises pour qu'elles s'engagent pour l'emploi – se refusant toutefois à parler de « donnant-donnant » – n'a pas suffi à briser le charme. « Ce gouvernement agit pour les entreprises. La nation a consenti un effort important, a rappelé le premier ministre. Vous êtes attendus sur l'utilisation que vous ferez des 40 milliards du CICE et du pacte. Les Français n'admettraient pas – et ils auraient raison – que les dividendes versés ou que les plus hautes rémunérations explosent. » Qu'importe, le public était déjà conquis.
« HISTORIQUE », « COURAGEUX »
Le président du Medef, Pierre Gattaz, a salué « un discours de lucidité, de pragmatisme, de clairvoyance, de courage ». « C'était le discours dont on avait besoin. Il y aura peut-être un avant et un après », a-t-il lâché, lui qui, quelques instants plus tôt, à la même tribune, appelait à « rompre avec une vision archaïque, naïve et parfois marxiste de l'économie ». « Le gouvernement a pris la bonne direction. Je dis “bravo !”, mais il faut aller plus loin et ne pas dévier de la trajectoire fixée », mettait-il en garde, tout en appuyant : « Cessons de toujours raisonner en termes de donnant-donnant. »
De quoi désarçonner les dirigeants de l'opposition. « Ça ne va pas nous aider », lâchait fugitivement le sénateur Roger Karoutchi (UMP, Hauts-de-Seine) après le départ de M. Valls. Alain Juppé, arrivé en fin d'après-midi pour participer à une table ronde, trouvait des interlocuteurs encore tout attendris par ce qu'ils venaient d'entendre. « C'est difficile de résister à une déclaration d'amour, reconnaissait le maire de Bordeaux. Si j'ai compris, vous n'y avez pas résisté. En tant que responsable politique, je mesurerai ma confiance à l'aune des actes et des résultats. On verra, mais je dis “bonne chance”. »
Les commentaires recueillis dans les allées du campus d'HEC saluaient, dans leur grande majorité, l'intervention du premier ministre. « Historique », « courageux », revenaient en boucle dans les conversations. « C'était le premier ministre de Sarkozy ou de Hollande ? », plaisantaient certains. « La gauche qui dépolitise l'entreprise, c'est du jamais-vu en France », se félicitait Denis Kessler, le patron du réassureur Scor et ténor du Medef, rappelant que Tony Blair et Gerhard Schröder avaient ouvert la voie en Europe.
SIMPLE IDYLLE OU SERMENTS D'AMOUR PROLONGÉ ?
« Ce qui me plaît, c'est que M. Valls parle d'un enjeu collectif. C'est un discours rassembleur que j'attendais depuis des années. Même des ministres de droite n'ont pas osé tenir de tels propos », se réjouissait Philippe Robardey, PDG de Sogeclair, une entreprise d'ingénierie toulousaine qui emploie 1 200 salariés.
Derrière les intentions affichées, les patrons s'interrogent toutefois sur la suite. « On ne peut être que satisfait du discours, de l'enthousiasme, de la lucidité. Il faut maintenant que les ministres s'emparent de cette dynamique », insiste Didier Riou, président de l'Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction. « Le message est sans ambiguïté. Je donne 16 ou 17 sur 20. Maintenant, il va falloir le mettre en musique », appuie Jean-David Chamboredon, président d'Isai Gestion, une des figures de proue des « pigeons » à l'automne 2012. « J'aurais aimé que M. Valls parle de pénibilité. J'attends qu'on m'explique ce que devient l'écotaxe. C'est ça la réalité du terrain », nuance Claude Blot, un vieux routier du transport.
Simple idylle de fin d'été ou serments d'amour prolongé ? En tout cas, les travaux d'approche semblent avoir porté leurs fruits.
http://abonnes.lemonde.fr/politique...-manuel-valls-et-le-medef_4478011_823448.html