Le mot makhzen, au Maroc, remonte à plusieurs siècles. Les historiens, tant marocains qu’étrangers, affirment que ce mot à des racines linguistiques qui ont été employées dans le domaine politique pour désigner l’Etat central, dans la capitale, et le réseau de caïds et de pachas disséminés sur tout le territoire. Le mot makhzen indique l’endroit où est entreposé le blé (la matmoura), et il est fort probable que son sens ait été élargi à un certain moment à l’ensemble de l’Etat car c’est lui qui fait les fortunes des uns et occasionne les infortunes des autres(« tetrik », dépossession), en plus de contrôler les bonnes (ou mauvaises) fortunes des gens, tantôt en leur accordant des privilèges, tantôt en leur retirant leurs moyens de subsistance.
Lors des voyages d’Européens au Maroc, essentiellement dans les misions d’ambassades officielles, les visiteurs du pays distinguaient le makhzen – l’Etat et ses différents responsables – et la société, avec ses baronnets locaux. Par moments, ces étrangers indiquaient le Roi par le terme « souverain » (en considération du fait qu’il était au cœur du makhzen), un terme équivalent à celui, plus moderne, de chef de l’Etat. Les Européens dressaient alors un parallèle entre les formes de pouvoir sur leur continent et la nature particulière de la gouvernance au Maroc ; pour cela, ils employaient l’expression « l’Etat chérifien ».
Cette expression ne comportait aucune connotation négative dans l’esprit des Européens car il ne s’agissait alors que d’un passage de l’Etat en Europe à celui de makhzen au Maroc et que ce passage sémantique indiquait le lien entre deux types de pouvoir, le plus naturellement du monde, tenant compte de leurs spécificités culturelles, cultuelles et politiques, exactement de la même manière qu’on dressait des comparaisons entre l’Etat et le Sultanat dans certains pays d’Orient.
Le concept de makhzen n’a pris son sens négatif qu’à la fin du 19ème – début du 20ème siècles, quand le chaos s’était installé et que des seigneurs et autres marabouts dans les régions avaient entrepris de fonder leurs sphères d’influence loin du pouvoir central, ce qui avait créé la dualité du pouvoir au Maroc entre le makhzen et la Siba (désordre, chaos, absence du pouvoir central). Plus tard, le makhzen était devenu synonyme de domination et d’oppression, quand il avait vaincu les roitelets locaux et que l’Etat central avait dominé les régions.
Cette dualité était encore apparue aux lendemains de l’indépendance à travers la lutte que s’étaient livrés alors l’Etat et l’opposition, une lutte qui s’était poursuivie jusqu’à la moitié des années 70 du siècle dernier. C’est de cette confrontation que le Maroc politique avait été scindé en deux, entre Etat et opposition, laquelle avait adopté une technique particulière pour l’emploi du mot makhzen ; ainsi, quand elle aspirait à un rapprochement avec le pouvoir central, ses dirigeants parlaient de l’Etat et, dans le cas inverse, quand les relations étaient tendues, ces mêmes responsables employaient le mot makhzen. Le terme makhzen avait donc quitté son champ historique pour être intégré dans le jeu politique.
Après la mort d’Hassan II en 1999, l’alors Secrétaire général de l’USFP Mohamed el Yazghi avait lancé son fameux mot : »le makhzen est mort ».Cette formule avait connu un certain succès, mais personne n’avait relevé qu’el Yazghi, à travers son propos, avait été le premier à vouloir opérer une distinction le makhzen et l’institution monarchique. Dans son esprit, le makhzen était synonyme de domination et d’oppression, et à travers son propos, il voulait indiquer qu’avec un Roi jeune et nouveau, l’Etat démocratique allait prendre la place de l’Etat despotique avec son makhzen.
Nous remarquerons également que le mot makhzen a presque disparu de la nomenclature politique depuis l’adoption de la nouvelle constitution de 2011 et l’installation du gouvernement actuel. A la place, l’expression « Etat profond » a gagné en puissance, cette idée étant née en parallèle à l’apparition de l’Etat démocratique capitaliste et de la société industrielle en Occident. L’Etat profond englobait alors les centres d’influence économique et financière, y compris les complexes militaro-industriels, et les autres lobbies, plus discrets qui n’apparaissaient pas au grand jour mais tiraient les ficelles à partir des coulisses et dictaient parfois certaines grandes décisions publiques.
Mais voilà que tout récemment, le mot makhzen a été remis au goût du jour avec le Dr HassanAouridqui a dit, dans une conférence tenue il y a quelques jours, que l’Etat n’est pas le makhzen et que le makhzen n’est pas l’Etat. Nous relèverons qu’Aourid – qui connaît bien les arcanes et rouages de l’Etat – essaie là de renforcer la distinction déjà opérée par el Yazghi entre Etat moderne et le makhzen. La différence est que pour l’ancien leader des socialistes, le makhzen est « mort », alors que pour Aourid il est toujours là, mais agit distinctement de l’Etat, chacun des deux centres de pouvoir préservant ses particularités. Ainsi, Aourid révèle en filigrane la nouvelle donne politique au Maroc : la nécessité de la distinction entre la réalité historique toujours en vigueur et représentée par le makhzen et la réalité politique dynamique véhiculée par l’Etat.
http://www.panoramaroc.ma/fr/makhzen-et-etat-par-driss-ganbouri/
Lors des voyages d’Européens au Maroc, essentiellement dans les misions d’ambassades officielles, les visiteurs du pays distinguaient le makhzen – l’Etat et ses différents responsables – et la société, avec ses baronnets locaux. Par moments, ces étrangers indiquaient le Roi par le terme « souverain » (en considération du fait qu’il était au cœur du makhzen), un terme équivalent à celui, plus moderne, de chef de l’Etat. Les Européens dressaient alors un parallèle entre les formes de pouvoir sur leur continent et la nature particulière de la gouvernance au Maroc ; pour cela, ils employaient l’expression « l’Etat chérifien ».
Cette expression ne comportait aucune connotation négative dans l’esprit des Européens car il ne s’agissait alors que d’un passage de l’Etat en Europe à celui de makhzen au Maroc et que ce passage sémantique indiquait le lien entre deux types de pouvoir, le plus naturellement du monde, tenant compte de leurs spécificités culturelles, cultuelles et politiques, exactement de la même manière qu’on dressait des comparaisons entre l’Etat et le Sultanat dans certains pays d’Orient.
Le concept de makhzen n’a pris son sens négatif qu’à la fin du 19ème – début du 20ème siècles, quand le chaos s’était installé et que des seigneurs et autres marabouts dans les régions avaient entrepris de fonder leurs sphères d’influence loin du pouvoir central, ce qui avait créé la dualité du pouvoir au Maroc entre le makhzen et la Siba (désordre, chaos, absence du pouvoir central). Plus tard, le makhzen était devenu synonyme de domination et d’oppression, quand il avait vaincu les roitelets locaux et que l’Etat central avait dominé les régions.
Cette dualité était encore apparue aux lendemains de l’indépendance à travers la lutte que s’étaient livrés alors l’Etat et l’opposition, une lutte qui s’était poursuivie jusqu’à la moitié des années 70 du siècle dernier. C’est de cette confrontation que le Maroc politique avait été scindé en deux, entre Etat et opposition, laquelle avait adopté une technique particulière pour l’emploi du mot makhzen ; ainsi, quand elle aspirait à un rapprochement avec le pouvoir central, ses dirigeants parlaient de l’Etat et, dans le cas inverse, quand les relations étaient tendues, ces mêmes responsables employaient le mot makhzen. Le terme makhzen avait donc quitté son champ historique pour être intégré dans le jeu politique.
Après la mort d’Hassan II en 1999, l’alors Secrétaire général de l’USFP Mohamed el Yazghi avait lancé son fameux mot : »le makhzen est mort ».Cette formule avait connu un certain succès, mais personne n’avait relevé qu’el Yazghi, à travers son propos, avait été le premier à vouloir opérer une distinction le makhzen et l’institution monarchique. Dans son esprit, le makhzen était synonyme de domination et d’oppression, et à travers son propos, il voulait indiquer qu’avec un Roi jeune et nouveau, l’Etat démocratique allait prendre la place de l’Etat despotique avec son makhzen.
Nous remarquerons également que le mot makhzen a presque disparu de la nomenclature politique depuis l’adoption de la nouvelle constitution de 2011 et l’installation du gouvernement actuel. A la place, l’expression « Etat profond » a gagné en puissance, cette idée étant née en parallèle à l’apparition de l’Etat démocratique capitaliste et de la société industrielle en Occident. L’Etat profond englobait alors les centres d’influence économique et financière, y compris les complexes militaro-industriels, et les autres lobbies, plus discrets qui n’apparaissaient pas au grand jour mais tiraient les ficelles à partir des coulisses et dictaient parfois certaines grandes décisions publiques.
Mais voilà que tout récemment, le mot makhzen a été remis au goût du jour avec le Dr HassanAouridqui a dit, dans une conférence tenue il y a quelques jours, que l’Etat n’est pas le makhzen et que le makhzen n’est pas l’Etat. Nous relèverons qu’Aourid – qui connaît bien les arcanes et rouages de l’Etat – essaie là de renforcer la distinction déjà opérée par el Yazghi entre Etat moderne et le makhzen. La différence est que pour l’ancien leader des socialistes, le makhzen est « mort », alors que pour Aourid il est toujours là, mais agit distinctement de l’Etat, chacun des deux centres de pouvoir préservant ses particularités. Ainsi, Aourid révèle en filigrane la nouvelle donne politique au Maroc : la nécessité de la distinction entre la réalité historique toujours en vigueur et représentée par le makhzen et la réalité politique dynamique véhiculée par l’Etat.
http://www.panoramaroc.ma/fr/makhzen-et-etat-par-driss-ganbouri/