J'ai lu cette nouvelle hier en déjeunant
Madame Narcisse
Avant de sortir, madame Narcisse décida de se refaire une beauté. Elle s'assit à sa vieille coiffeuse rococo et sortit ses instruments. D'abord une tenaille avec laquelle elle réussit sans trop de mal à s'arracher l'oeil droit : il vint pendre nonchalamment sur sa jour ensanglantée, oscillant par le nerf optique comme un pendule. Mme Narcisse profita qu'elle avait bien l'outil en main pour se démettre quelques phalanges. Elle retrouve dans un petit tiroir de dentelles une série de petits ciseaux bien aiguisés avec lesquels elle se fit saigner un peu partout. Arrivée près de sa poitrine, elle ne put résister à se couper l'aréole du sein gauche. Une scie électrique avec laquelle Mme Narcisse avait l'intention de se recoiffer lui sectionna net l'oreille : elle entreprit alors de s'amputer une jambe. Elle enleva son bas avec l'élégance d'une strip-teaseuse et attaqua la cuisse au-dessus du genou. En quelques minutes, son fémur saillit triomphalement d'un moignon bouillant. Elle déposa son membre mort dans un châle en soie et revint à sa toilette.
Avec de grands ciseaux cette fois-ci, Mme Narcisse se découpa consciencieusement la langue et la fit grésiller sur un réchaud dont elle éprouvait l'intensité de la chaleur pour y rougir un fer-blanc. Une fois écarlate, elle se l'appliqua sur le ventre et l'y maintint jusquà ce que le nombril ne fût plus qu'un volcan de braise. Quelques épingles piquées au hasard dans la plupart des parties du corps achevèrent l'allègre première partie de ses méticuleux préparatifs et parures.
Ce fut le temps de s'édenter. Un marteau et un très joli burin en acier firent l'affaire. Mme Narcisse se déchaussa une à une toutes les incisives, puis les molaires : elle conserva la dernière qui tenait à peine, pour se mordre le bras jusqu'à ce qu'elle restât plantée dans la chair, comme un bijou. C'est alors que vint l'instant des rasoirs : elle en disposa toute une colonie devant la grande glace étoilée çà et là par le sang des giclures. Avec le premier rasoir, Mme Narcisse pratiqua sa propre excision : elle n'alla pas chercher bien loin le clitoris qui, depuis le début des soins, ne demandait qu'à sortir de son fourreau. Puis, prise par je ne sais quelle folie, elle l'avala en souriant des bouts de lèvres qu'elle n'avait pas eu le courage de trancher avec la langue tout à l'heure. L'ablation de son vibraphone intime lui donna des idées : elle en profita pour se faire une « totale » avec deux grands couteaux à pain qu'elle s'enfonça dans le vagin pantelant pour en extraire l'appareil génital au grand complet. Ce qu'elle conserva de cet amas de viande dégoulinante, ce fut bien le bas-ventre, méconnaissable. Mme Narcisse, avec un grand rasoir, se découpa dans les fesses deux demi-sphères charnues qu'elle introduisit à grand peine dans les plaies de sa poitrine dont les globes presque détachés pendaient dangereusement vers les genoux. Les secousses aidant, et presque énervée d'avoir encore son mamelon, elle se cousit, avec du gros fil et une aiguille rouillée, un dôme de fesse à la place de ce sein-là.
Un regard dans le miroir lui confirma les derniers détails que son maintien exigeait. Encore le nez à casser, puis les ongles à arracher. Elle urina mélodieusement dans son vaporisateur et se parfuma ensuite de cet alcali. Avec un second marteau, plus conséquent que le premier, elle se fractura lépaule et se martela le pied restant jusquà ce quil ressemblât à une semelle de crêpe. Après quoi, elle dénicha une hachette qui lui servit à se mutiler la dernière main valide, puis, sans pouvoir ne pas sourciller, elle la sacrifia dun coup précis à la hauteur du poignet. Deux doigts qui ne tenaient quà un fil, deux petits doigts voltigèrent dans la chambre avec gaieté
Cest alors que monsieur Narcisse vint chercher sa femme, toujours trop longue à se préparer. Il la trouva belle « comme une fleur » et ils descendirent majestueusement pour le Grand Dîner.
p.19-22 (ko et autres contes)
illustration de Vuillemin