Mariage de mineures: cette vidéo qui choque l’Egypte
Les chiffres démontrent l’ampleur du fléau. En 2021, environ 118.000 filles de 10 à 17 ans ont été mariées, particulièrement dans les zones rurales du pays. Une vidéo emblématique de cette pratique est venue réveiller la société égyptienne.
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Les chiffres démontrent l’ampleur du fléau. En 2021, environ 118.000 filles de 10 à 17 ans ont été mariées, particulièrement dans les zones rurales du pays. Une vidéo emblématique de cette pratique est venue réveiller la société égyptienne.
Vue des millions de fois, la vidéo de la procession a créé la polémique en Egypte, indigné les ONG de défense des femmes et relancé le vif débat sur le mariage des mineures.
Brandissant un drap blanc dans la main en symbole de pureté et chasteté, une fille est portée en procession sur les épaules de son père dans tout le village de Soulimania, dans le gouvernorat de Sharqiya, dans le delta du Nil. Autour d’elle, une centaine d’hommes crient : « La vierge est arrivée au village. » La fille de 16 ans avait été mariée illégalement par sa famille à un jeune homme du village. Mais la nuit du mariage, le marié l’a accusée de ne pas être vierge et a décidé de la quitter. Sous le choc, le père de la fille l’a emmenée faire un examen médical pour prouver sa virginité, célébrée par cette procession lugubre.
Les chiffres démontrent l’ampleur de ce fléau. En 2021, environ 118.000 filles de 10 à 17 ans ont été mariées, particulièrement dans les zones rurales, soit 14 % du total des chiffres des mariages pour la même année, selon l’Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques (Capmas).
Des traditions plus fortes que la loi
Si l’Egypte a adopté en 2018 une loi qui criminalise le mariage des filles de moins de 18 ans et a lancé récemment une grande campagne médiatique pour lutter contre le mariage des mineures, le phénomène reste répandu, dans les villes comme dans les villages. « De nombreuses familles estiment que la fille constitue un fardeau et que son destin ne peut être autre que celui de femme et mère au foyer », dit Intsar al-Saeid, directrice de la Fondation du Caire pour le développement et le droit (CFDL). « Dans les villages, une fille qui atteint 18 ans sans être mariée préoccupe la famille, qui fait tout pour la marier le plus vite possible. »Selon l’activiste, le mariage des mineures se fait avec l’implication de l’Etat. « Ce sont des responsables religieux qui sont chargés d’écrire les contrats de mariage qu’ils font parvenir à l’État, notamment dans les villages. Ils font des contrats de mariage non enregistrés auprès de l’Etat pour les mineures. Ils attendent ensuite que la fille ait 18 ans pour enregistrer le mariage avec une nouvelle date. »
Que se passe-t-il si les autorités découvrent cette fraude ? Les délinquants restent impunis, répond Intsar al-Saeid. « La loi actuelle sur le mariage contribue à l’aggravation de ce phénomène. Si l’Etat le découvre, les délinquants ont le choix entre une peine de deux ans de prison ou une amende de 300 livres égyptiennes (11,40 euros), alors, dans tous les cas, ils paient seulement cette petite amende. »
« Toutes les filles se marient comme ça »
Dans le village de Harbshant, dans le gouvernorat de Beni Suif, au sud du Caire, le mariage des mineures est très répandu. « Mon père et son ami se sont mis d’accord pour me marier avec son fils. Le lendemain, il m’a informée que j’allais épouser ce jeune homme et que le mariage serait dans quelques mois, alors que je venais de fêter mes 15 ans », dit Wahiba, 17 ans, mère d’une fille d’un an et demi. « Toutes les filles du village se marient comme ça, car c’est une honte pour une fille d’atteindre 18 ou 20 ans sans être mariée », ajoute-t-elle.Des mariages aux conséquences désastreuses pour les enfants. La fille de Wahiba n’est pas encore enregistrée auprès de l’Etat, car le mariage de ses parents n’est pas encore reconnu. Résultat : elle ne peut pas recevoir les vaccins nécessaires, notamment celui contre la poliomyélite.