Maroc : destination touristique prisée d’Afrique du nord, avec notamment ses stations balnéaires et ses célèbres randonnées dans l’Atlas. Mais dans l’envers du décor, il existe un phénomène connu de tous et qui, aujourd’hui encore, continue de plomber l’image du royaume : la corruption. Reportage
Direction Casablanca où nous avons tenté d’en savoir un peu plus sur la manière dont les policiers travaillent et le train de vie qu’ils mènent. Le roi Mohammed VI est en visite dans son palais casablancais. Les fonctionnaires ont pour l’occasion revêtu leur plus bel uniforme et les abords du palais sont d’une propreté irréprochable (et rare). RAS dans la ville, tout semble rouler. Enfin du moins, jusqu’à son départ de la capitale économique. Retour à la réalité donc, entre incivilité routière et infractions permanentes, les agents ne savent plus où donner de la tête au point que certains ferment les yeux sur de nombreux abus, tellement la masse de travail est énorme.
Un policier posté sur la route qui longe le palais royal, boulevard Mohammed VI, semble submergé. Entre deux coups de sifflet nous décidons de l’aborder, prétextant rechercher une rue. Après qu’il nous ait informé de manière plutôt sèche, nous lui demandons tout sourire si le métier de policier au Maroc n’est pas difficile, histoire de détendre l’atmosphère. Au même moment, un carambolage est évité de justesse, un chauffard qui venait de griller un feu rouge en pleine heure de pointe. « Enta chof, bla man jawbek », « Tiens regarde, il n’est pas nécessaire que je te réponde », s’exclame-t-il, dépité. Il semble anxieux, nous décidons de nous éloigner sans aborder le sujet tabou de la corruption. De toute manière, taxer à cet endroit-là de l’argent aux automobilistes serait une rude épreuve. En réalité, cette pratique s’opère surtout sur les routes de campagne, sur les nationales, les autoroutes ou lors d’arrestations ciblées dans la ville, pour infraction au code de la route.
Le commissaire et sa petite entreprise
Des barrages au Maroc, vous êtes certains d’en trouver au moins un sur votre passage, si vous quittez la ville. Il y a les barrages de filtrage, installés par mesure de sécurité, et les barrages à bakchich. Sans complexe, les policiers réclament de l’argent aux usagers, témoigne Karim, un routier qui en fait souvent les frais. Les sommes varient en fonction de la tête du « client ». Les autocars ou les taxis versent en moyenne 40 ou 50 dirhams, parfois moins, les transporteurs clandestins donnent au minimum 50 dirhams, quant aux narcotrafiquants cela dépend de la cargaison. « Si jamais tu refuses de donner, ils trouveront n’importe quel prétexte pour t’embêter. Ils te chercheront la petite bête et seront à l’affut du moindre défaut sur la voiture ou dans tes papiers ». C’est donc forcé que Karim donne parfois quelques pièces pour rouler l’esprit tranquille. En fonction du trafic, un barrage peut faire gagner jusqu’à 2 000 dirhams (presque 200 euros) par jour. Mais où va cet argent ?
A Casablanca, un de nos contacts, Hakim, employé dans un laboratoire pharmaceutique en périphérie de la ville, 34 ans et père de trois enfants, connaît bien le système, puisque l’un de ses cousins est un ancien gendarme. « Ils prennent leur part et doivent donner la majorité du pot à leur supérieur qui lui-même reverse une somme importante à son supérieur ». Telle une entreprise privée, les fonctionnaires se partagent les bénéfices en fonction du grade. Et en cas de refus ? « Tu te fais éjecter sur un autre site paumé, au milieu de nul part ». Un système bien rodé, digne d’un conte mafieux. Le cousin de Hakim, Abdelhamid, était gendarme dans la capitale, Rabat. L’histoire de ce fonctionnaire que nous avons pu rencontrer avec Hakim est digne d’un cauchemar.
La descente aux enfers
Installé paisiblement à Rabat avec sa femme et ses trois enfants, Abdelhamid est un citoyen sans histoire. Mais cette routine angélique vire rapidement au drame. Son supérieur lui réclame des « cadeaux ». « Je lui ai répondu que je ne mangeais pas de ce pain-là. J’ai été rétrogradé puis muté. Mon salaire avait considérablement diminué, je ne pouvais plus subvenir aux besoins de ma famille ». Une virée dramatique qui a poussé Abdelhamid, 45 ans, à se lancer dans de petits trafics pour arrondir les fins de mois. Mais cet ex-gendarme, qui ne rentre pas dans les "cases", dérange. Son supérieur veut absolument se débarrasser de lui. Il lance une enquête discrète à son sujet. Ses petits trafics sont découverts et Abdelhamid est arrêté. « J’ai passé 3 ans de ma vie en prison, loin de mes enfants ». Et comme un malheur n’arrive jamais seul, pendant son incarcération, son épouse réclame le divorce. « J’ai tout perdu, mon travail, ma femme, mes enfants et même ma maison. Je suis depuis hébergé chez des proches », raconte-t-il révolté.
Pourquoi n’a-t-il pas prévenu d’autres autorités de la gendarmerie royale ? « Si jamais un plaignant envoie une lettre, l’officier convoquera le chef mis en cause pour lui demander de calmer ses équipes. Rien d’autre ne se passera », se désole Abdelhamid. La raison en est simple, l’officier lui-même touche ses pots-de-vin et toute personne susceptible de nuire à ce système pyramidal est de fait écartée. D’après Hakim, ce système n’est pas prêt de changer « surtout avec une monarchie au pouvoir où tout est lié au principe de respect, de royauté et de soumission ». Il faudra encore de longues, de très longues années avant que la situation ne change.
Hassan Bellouti dit stop
Souvenez-vous de l’histoire de ce policier, Hassan Bellouti, qui travaillait au barrage policier de Sidi Kacem. Les sommes ramassées par Hassan et ses collègues étaient partagées entre les agents de service et le commissaire. Bellouti faisait partie de ce système corrompu, sauf que lui préférait garder les trois quart de l’argent qu’il ramassait avant de partager le reste avec ses collègues. Averti de ces pratiques, son supérieur veut le muter à la circulation, le pire cauchemar d’un policier, dans le petit village de Machraâ Belksiri. Bellouti a bien tenté de racheter sa « liberté » en versant, lui et sa femme, des sommes importantes et des produits de contrebande au commissaire, selon
Exaspéré par la situation, Hassan Bellouti, policier depuis 1982, père de cinq enfants, veut porter plainte contre ses supérieurs et dénoncer la corruption dans la région. Trois de ses collègues tentent de le dissuader. Bellouti sort son arme et les tue, le 10 mars 2013. Un coup de folie expliquera-t-il…
Les MRE ne sont pas épargnés
Le plus important barrage à bakchich a lieu en pleine période estivale, à Tanger. Un barrage implanté dans le port, par les services de douane. Chaque été, des milliers de Marocains résidant à l’étranger (MRE) font leur retour au pays en voiture. Après avoir traversé le détroit de Gibraltar, les mésaventures commencent. Au mieux, certains ressortent rapidement du port, si un proche travaille dans la douane. Au pire, l’attente peut être interminable avant de récupérer son passeport tamponné et de se faufiler vers la sortie du port. L’astuce pour ne pas attendre indéfiniment ? Etre généreux avec les douaniers qui n’hésitent pas à choisir eux-mêmes leurs provisions en fouillant dans les valises. Pour le reste, tout marche au pourboire et on vous le fait comprendre à base de : « Voilà votre passeport. Et pour le café alors ? », traduisez : « Et mon pourboire alors ? ».
Yanis, un Maroco-espagnol peu habitué à se rendre dans son pays maternel, ne l’avait pas compris de cette oreille-là. Le jeune médecin madrilène de 31 ans a surpris le douanier en lui répondant : « Non merci, je n’ai pas le temps de prendre un café ». Et c’est sans encombre que Yanis a pris la route vers Casablanca où nous l’avons retrouvé afin qu’il nous livre ses impressions. C’est seulement en racontant l’anecdote à sa mère qu’il comprit que le douanier lui demandait de l’argent et non de prendre un café avec lui. Voilà une réplique, à adapter selon le contexte, qui pourrait inspirer bon nombre de MRE pour l’été 2014 !
Direction Casablanca où nous avons tenté d’en savoir un peu plus sur la manière dont les policiers travaillent et le train de vie qu’ils mènent. Le roi Mohammed VI est en visite dans son palais casablancais. Les fonctionnaires ont pour l’occasion revêtu leur plus bel uniforme et les abords du palais sont d’une propreté irréprochable (et rare). RAS dans la ville, tout semble rouler. Enfin du moins, jusqu’à son départ de la capitale économique. Retour à la réalité donc, entre incivilité routière et infractions permanentes, les agents ne savent plus où donner de la tête au point que certains ferment les yeux sur de nombreux abus, tellement la masse de travail est énorme.
Un policier posté sur la route qui longe le palais royal, boulevard Mohammed VI, semble submergé. Entre deux coups de sifflet nous décidons de l’aborder, prétextant rechercher une rue. Après qu’il nous ait informé de manière plutôt sèche, nous lui demandons tout sourire si le métier de policier au Maroc n’est pas difficile, histoire de détendre l’atmosphère. Au même moment, un carambolage est évité de justesse, un chauffard qui venait de griller un feu rouge en pleine heure de pointe. « Enta chof, bla man jawbek », « Tiens regarde, il n’est pas nécessaire que je te réponde », s’exclame-t-il, dépité. Il semble anxieux, nous décidons de nous éloigner sans aborder le sujet tabou de la corruption. De toute manière, taxer à cet endroit-là de l’argent aux automobilistes serait une rude épreuve. En réalité, cette pratique s’opère surtout sur les routes de campagne, sur les nationales, les autoroutes ou lors d’arrestations ciblées dans la ville, pour infraction au code de la route.
Le commissaire et sa petite entreprise
Des barrages au Maroc, vous êtes certains d’en trouver au moins un sur votre passage, si vous quittez la ville. Il y a les barrages de filtrage, installés par mesure de sécurité, et les barrages à bakchich. Sans complexe, les policiers réclament de l’argent aux usagers, témoigne Karim, un routier qui en fait souvent les frais. Les sommes varient en fonction de la tête du « client ». Les autocars ou les taxis versent en moyenne 40 ou 50 dirhams, parfois moins, les transporteurs clandestins donnent au minimum 50 dirhams, quant aux narcotrafiquants cela dépend de la cargaison. « Si jamais tu refuses de donner, ils trouveront n’importe quel prétexte pour t’embêter. Ils te chercheront la petite bête et seront à l’affut du moindre défaut sur la voiture ou dans tes papiers ». C’est donc forcé que Karim donne parfois quelques pièces pour rouler l’esprit tranquille. En fonction du trafic, un barrage peut faire gagner jusqu’à 2 000 dirhams (presque 200 euros) par jour. Mais où va cet argent ?
A Casablanca, un de nos contacts, Hakim, employé dans un laboratoire pharmaceutique en périphérie de la ville, 34 ans et père de trois enfants, connaît bien le système, puisque l’un de ses cousins est un ancien gendarme. « Ils prennent leur part et doivent donner la majorité du pot à leur supérieur qui lui-même reverse une somme importante à son supérieur ». Telle une entreprise privée, les fonctionnaires se partagent les bénéfices en fonction du grade. Et en cas de refus ? « Tu te fais éjecter sur un autre site paumé, au milieu de nul part ». Un système bien rodé, digne d’un conte mafieux. Le cousin de Hakim, Abdelhamid, était gendarme dans la capitale, Rabat. L’histoire de ce fonctionnaire que nous avons pu rencontrer avec Hakim est digne d’un cauchemar.
La descente aux enfers
Installé paisiblement à Rabat avec sa femme et ses trois enfants, Abdelhamid est un citoyen sans histoire. Mais cette routine angélique vire rapidement au drame. Son supérieur lui réclame des « cadeaux ». « Je lui ai répondu que je ne mangeais pas de ce pain-là. J’ai été rétrogradé puis muté. Mon salaire avait considérablement diminué, je ne pouvais plus subvenir aux besoins de ma famille ». Une virée dramatique qui a poussé Abdelhamid, 45 ans, à se lancer dans de petits trafics pour arrondir les fins de mois. Mais cet ex-gendarme, qui ne rentre pas dans les "cases", dérange. Son supérieur veut absolument se débarrasser de lui. Il lance une enquête discrète à son sujet. Ses petits trafics sont découverts et Abdelhamid est arrêté. « J’ai passé 3 ans de ma vie en prison, loin de mes enfants ». Et comme un malheur n’arrive jamais seul, pendant son incarcération, son épouse réclame le divorce. « J’ai tout perdu, mon travail, ma femme, mes enfants et même ma maison. Je suis depuis hébergé chez des proches », raconte-t-il révolté.
Pourquoi n’a-t-il pas prévenu d’autres autorités de la gendarmerie royale ? « Si jamais un plaignant envoie une lettre, l’officier convoquera le chef mis en cause pour lui demander de calmer ses équipes. Rien d’autre ne se passera », se désole Abdelhamid. La raison en est simple, l’officier lui-même touche ses pots-de-vin et toute personne susceptible de nuire à ce système pyramidal est de fait écartée. D’après Hakim, ce système n’est pas prêt de changer « surtout avec une monarchie au pouvoir où tout est lié au principe de respect, de royauté et de soumission ». Il faudra encore de longues, de très longues années avant que la situation ne change.
Hassan Bellouti dit stop
Souvenez-vous de l’histoire de ce policier, Hassan Bellouti, qui travaillait au barrage policier de Sidi Kacem. Les sommes ramassées par Hassan et ses collègues étaient partagées entre les agents de service et le commissaire. Bellouti faisait partie de ce système corrompu, sauf que lui préférait garder les trois quart de l’argent qu’il ramassait avant de partager le reste avec ses collègues. Averti de ces pratiques, son supérieur veut le muter à la circulation, le pire cauchemar d’un policier, dans le petit village de Machraâ Belksiri. Bellouti a bien tenté de racheter sa « liberté » en versant, lui et sa femme, des sommes importantes et des produits de contrebande au commissaire, selon
Exaspéré par la situation, Hassan Bellouti, policier depuis 1982, père de cinq enfants, veut porter plainte contre ses supérieurs et dénoncer la corruption dans la région. Trois de ses collègues tentent de le dissuader. Bellouti sort son arme et les tue, le 10 mars 2013. Un coup de folie expliquera-t-il…
Les MRE ne sont pas épargnés
Le plus important barrage à bakchich a lieu en pleine période estivale, à Tanger. Un barrage implanté dans le port, par les services de douane. Chaque été, des milliers de Marocains résidant à l’étranger (MRE) font leur retour au pays en voiture. Après avoir traversé le détroit de Gibraltar, les mésaventures commencent. Au mieux, certains ressortent rapidement du port, si un proche travaille dans la douane. Au pire, l’attente peut être interminable avant de récupérer son passeport tamponné et de se faufiler vers la sortie du port. L’astuce pour ne pas attendre indéfiniment ? Etre généreux avec les douaniers qui n’hésitent pas à choisir eux-mêmes leurs provisions en fouillant dans les valises. Pour le reste, tout marche au pourboire et on vous le fait comprendre à base de : « Voilà votre passeport. Et pour le café alors ? », traduisez : « Et mon pourboire alors ? ».
Yanis, un Maroco-espagnol peu habitué à se rendre dans son pays maternel, ne l’avait pas compris de cette oreille-là. Le jeune médecin madrilène de 31 ans a surpris le douanier en lui répondant : « Non merci, je n’ai pas le temps de prendre un café ». Et c’est sans encombre que Yanis a pris la route vers Casablanca où nous l’avons retrouvé afin qu’il nous livre ses impressions. C’est seulement en racontant l’anecdote à sa mère qu’il comprit que le douanier lui demandait de l’argent et non de prendre un café avec lui. Voilà une réplique, à adapter selon le contexte, qui pourrait inspirer bon nombre de MRE pour l’été 2014 !