par Sanaa Elaji
Le journaliste Ahmed Reda Benchemsi a écrit un point de vue, qui est le sien, sur la prière du vendredi accomplie par le roi Mohammed VI, derrière le cheikh salafiste Mohamed Fizazi, réputé pour ses idées extrémistes. Benchemsi considère, donc, que la récupération par l’Etat de ses adversaires est une vieille ficelle, mais parfois, cette stratégie peut être porteuse de messages dangereux et peut également nuire aux valeurs que nous voulons pour ce pays. Personnellement, je souscris à ce point de vue, mais cela ne veut pas dire qu’il soit partagé par tout le monde car, finalement, les opinions personnelles ne reflètent pas des vérités absolues. Penser le contraire serait du fascisme intellectuel. Nous avons tous des idées que certains partagent et que d’autres réprouvent. Il arrive même que parfois on ne soit d’accord qu’avec une partie seulement d’une opinion donnée.
C’est cela, le débat démocratique mature que, bien malheureusement, nous n’avons pas encore maîtrisé dans ce beau pays qui est le nôtre.
En réponse à l’article de Benchemsi, Fizazi en a écrit un autre qu’il a diffusé dans les médias, et dans lequel il insulte le journaliste, en employant des propos déplacés, comme par exemple quand il le qualifie de « gamin » (barhouch en VO). Nous savons tous ce que signifie ce terme et ce qu’il véhicule comme image dégradante.
J’admets que cette nouvelle polémique fait naître en moi un sentiment d’énervement, d’irritation colérique. Pas en défense de Benchemsi qui n’a nullement besoin de moi pour me porter à son secours. Non, mon propos est de défendre le droit à la différence.
Depuis quelques années, en effet, le débat public se trouve réduit à des postures manichéistes ravageuses : blanc ou noir, makhzénien ou démocrate, bon ou pas bon, gentil ou méchant, bien ou mal… alors même que la vérité est ailleurs, et bien plus complexe que ces vues réductrices, binaires, voire simplistes. Tous nos efforts, dans ce genre de débat, ne vont pas dans le sens de la discussion de l’avis et de l’avis contraire, mais plutôt dans la volonté de classer les gens, de les catégoriser, et souvent même de les injurier. Mais, est-on vraiment obligés de souscrire à tout ce que dit une personne, voire de nous soumettre à elle et à ses pensées ? Est-on obligé d’accepter en bloc ce que dit une personne ou alors de rejeter en vrac toutes ses positions ? Ne peut-on pas parfois partager un avis et pas un autre, pourtant émanant de la même personne ? Ne peut-on donc pas entériner les idées d’un individu, ou nous y opposer, sans invective ? Pourquoi alors éprouvons-nous ce besoin d’étiqueter les gens dans des catégories que nous créons nous-mêmes pour eux ? Pourquoi toujours cette question : Etes-vous pour ou contre ?
Cela fait des mois que je vois des gens en exclure d’autres d’un débat, au nom de la démocratie ! Ces gens, les éradicateurs, se sont auto-érigés et autoproclamés en défenseurs officiels des valeurs des droits humains, de la démocratie et du changement, mais à l’usage, au quotidien, ils se révèlent incapables d’endosser dans leurs comportements ces mêmes valeurs qu’ils sont supposés défendre… Il vous suffit de diverger avec eux dans tel ou tel sujet, dans l’approche d’un thème donné, dans le style adopté pour exprimer son avis, et vous voilà agoni d’injures et voué aux gémonies, accusé de félonie et pourchassé pour pensées honnies ! Et tout cela se fait, bien évidemment, au nom de la démocratie. Or, cette démocratie, n’est-elle pas précisément un ensemble de valeurs et de pratiques à adopter au quotidien ? Le respect de l’autre et de l’avis contraire au nôtre n’est-il pas le fondement même de la démocratie et de la pluralité, si tant est que l’Autre ne souhaite rien nous imposer, même pas de l’écouter ?…
Et force est de constater que là, malheureusement, on retrouve tout le monde, islamistes, gauchistes et laïques : "je defends la democratie certes , mais j'ai raison et vous avez tort"
On peut rejoindre Benchemsi dans certaines de ses idées et lui en disputer d’autres. On peut être en accord avec Fizazi dans certaines de ses positions et en critiquer d’autres. Cela n’est pas le plus important, non… car ce qui prime est de prendre conscience que la démocratie se fonde sur le droit à la différence et sur l’obligation de respecter les avis des autres et de les laisser libres de les exprimer. On peut critiquer mais la critique est aussi un art, parfois, aussi facile soit-elle. Elle doit se faire dans le respect. On ne combat une idée que par une autre, meilleure de préférence, et tout cela est enrichissant, quand on l’accepte… mais l’insulte, la diffamation, l’invective et l’accusation ne reflètent que le bien bas niveau de ceux qui les profèrent.
J’enrage… je fulmine contre cette déliquescence intellectuelle qui m’empêche de prendre part à bien des débats publics… je suis fatiguée d’entendre autant d’adresses hostiles envoyées par les uns et les autre ; je suis lasse d’écouter tant d’accusations de trahison, émises par ceux-là mêmes qui devraient contribuer à bâtir le Maroc de demain.
Et tout cela est regrettable. Et affligeant.
http://www.panorapost.com/maroc-le-debat-public-perdu-par-sanaa-elaji/
Le journaliste Ahmed Reda Benchemsi a écrit un point de vue, qui est le sien, sur la prière du vendredi accomplie par le roi Mohammed VI, derrière le cheikh salafiste Mohamed Fizazi, réputé pour ses idées extrémistes. Benchemsi considère, donc, que la récupération par l’Etat de ses adversaires est une vieille ficelle, mais parfois, cette stratégie peut être porteuse de messages dangereux et peut également nuire aux valeurs que nous voulons pour ce pays. Personnellement, je souscris à ce point de vue, mais cela ne veut pas dire qu’il soit partagé par tout le monde car, finalement, les opinions personnelles ne reflètent pas des vérités absolues. Penser le contraire serait du fascisme intellectuel. Nous avons tous des idées que certains partagent et que d’autres réprouvent. Il arrive même que parfois on ne soit d’accord qu’avec une partie seulement d’une opinion donnée.
C’est cela, le débat démocratique mature que, bien malheureusement, nous n’avons pas encore maîtrisé dans ce beau pays qui est le nôtre.
En réponse à l’article de Benchemsi, Fizazi en a écrit un autre qu’il a diffusé dans les médias, et dans lequel il insulte le journaliste, en employant des propos déplacés, comme par exemple quand il le qualifie de « gamin » (barhouch en VO). Nous savons tous ce que signifie ce terme et ce qu’il véhicule comme image dégradante.
J’admets que cette nouvelle polémique fait naître en moi un sentiment d’énervement, d’irritation colérique. Pas en défense de Benchemsi qui n’a nullement besoin de moi pour me porter à son secours. Non, mon propos est de défendre le droit à la différence.
Depuis quelques années, en effet, le débat public se trouve réduit à des postures manichéistes ravageuses : blanc ou noir, makhzénien ou démocrate, bon ou pas bon, gentil ou méchant, bien ou mal… alors même que la vérité est ailleurs, et bien plus complexe que ces vues réductrices, binaires, voire simplistes. Tous nos efforts, dans ce genre de débat, ne vont pas dans le sens de la discussion de l’avis et de l’avis contraire, mais plutôt dans la volonté de classer les gens, de les catégoriser, et souvent même de les injurier. Mais, est-on vraiment obligés de souscrire à tout ce que dit une personne, voire de nous soumettre à elle et à ses pensées ? Est-on obligé d’accepter en bloc ce que dit une personne ou alors de rejeter en vrac toutes ses positions ? Ne peut-on pas parfois partager un avis et pas un autre, pourtant émanant de la même personne ? Ne peut-on donc pas entériner les idées d’un individu, ou nous y opposer, sans invective ? Pourquoi alors éprouvons-nous ce besoin d’étiqueter les gens dans des catégories que nous créons nous-mêmes pour eux ? Pourquoi toujours cette question : Etes-vous pour ou contre ?
Cela fait des mois que je vois des gens en exclure d’autres d’un débat, au nom de la démocratie ! Ces gens, les éradicateurs, se sont auto-érigés et autoproclamés en défenseurs officiels des valeurs des droits humains, de la démocratie et du changement, mais à l’usage, au quotidien, ils se révèlent incapables d’endosser dans leurs comportements ces mêmes valeurs qu’ils sont supposés défendre… Il vous suffit de diverger avec eux dans tel ou tel sujet, dans l’approche d’un thème donné, dans le style adopté pour exprimer son avis, et vous voilà agoni d’injures et voué aux gémonies, accusé de félonie et pourchassé pour pensées honnies ! Et tout cela se fait, bien évidemment, au nom de la démocratie. Or, cette démocratie, n’est-elle pas précisément un ensemble de valeurs et de pratiques à adopter au quotidien ? Le respect de l’autre et de l’avis contraire au nôtre n’est-il pas le fondement même de la démocratie et de la pluralité, si tant est que l’Autre ne souhaite rien nous imposer, même pas de l’écouter ?…
Et force est de constater que là, malheureusement, on retrouve tout le monde, islamistes, gauchistes et laïques : "je defends la democratie certes , mais j'ai raison et vous avez tort"
On peut rejoindre Benchemsi dans certaines de ses idées et lui en disputer d’autres. On peut être en accord avec Fizazi dans certaines de ses positions et en critiquer d’autres. Cela n’est pas le plus important, non… car ce qui prime est de prendre conscience que la démocratie se fonde sur le droit à la différence et sur l’obligation de respecter les avis des autres et de les laisser libres de les exprimer. On peut critiquer mais la critique est aussi un art, parfois, aussi facile soit-elle. Elle doit se faire dans le respect. On ne combat une idée que par une autre, meilleure de préférence, et tout cela est enrichissant, quand on l’accepte… mais l’insulte, la diffamation, l’invective et l’accusation ne reflètent que le bien bas niveau de ceux qui les profèrent.
J’enrage… je fulmine contre cette déliquescence intellectuelle qui m’empêche de prendre part à bien des débats publics… je suis fatiguée d’entendre autant d’adresses hostiles envoyées par les uns et les autre ; je suis lasse d’écouter tant d’accusations de trahison, émises par ceux-là mêmes qui devraient contribuer à bâtir le Maroc de demain.
Et tout cela est regrettable. Et affligeant.
http://www.panorapost.com/maroc-le-debat-public-perdu-par-sanaa-elaji/