jeudi 2 octobre 2008 - 18h:43
Alain Gresh - Le Monde Diplomatique
Dans une tribune publiée par le quotidien Le Monde du 1er octobre, et intitulée « Les démocraties face au terrorisme », Michèle Alliot-Marie, ministre de lintérieur, développe sa pensée. Et, pourrait-on dire, tous les poncifs de la doxa sécuritaire face à lislamisme et au terrorisme.
« Le terrorisme est lennemi commun des démocraties. Lislamisme radical nest certes pas le seul en cause, il demeure toutefois une priorité. Depuis plus de six ans, comme ministre de la défense puis de lintérieur, jen ai suivi les modalités, les évolutions et hélas les manifestations. Certaines réalités ne sont pas inutiles à rappeler. »
Le terrorisme, « un ennemi commun » ? Quy a-t-il de commun entre Al-Qaida, lETA basque, les Tigres tamouls ? En réalité, le seul ennemi, dans lesprit de la ministre, cest bien lislamisme radical.
« La première est que la France est une cible potentielle, car ses valeurs : liberté, tolérance, respect des femmes, laïcité, droits de lhomme, sont en opposition avec celles de lintégrisme. Elle nest pas plus menacée que dautres : ces dernières années ont vu plus dattentats dans les pays musulmans quen Europe. Elle ne lest pas moins : le démantèlement de réseaux et les arrestations dislamistes sur notre sol le montrent. »
Cest une reprise sans aucune nuance du discours du président Bush : « ils » nous haïssent non pas à cause de notre politique, mais à cause des valeurs que nous représentons. A quoi Oussama Ben Laden répondait en substance que, si sa haine était dirigée en priorité contre la démocratie et les libertés, son principal objectif serait la Suède, et non les Etats-Unis. Ce type de raisonnement américain, repris par la ministre, a pour avantage (si lon peut dire) quil dispense de toute réflexion sur les effets de la politique américaine ou occidentale dans le monde musulman.
« La deuxième réalité est lextension géographique du terrorisme islamiste. Larc du terrorisme intégriste couvre lAfghanistan, le Pakistan, la Malaisie, lIndonésie, la Somalie, la péninsule Arabique, le Moyen-Orient, la zone subsaharienne et le Maghreb. De ces bases, il projette ses actions vers lEurope. »
On pourrait inverser le raisonnement, et dire que ce qui est nouveau, cest la présence massive de troupes occidentales en Irak, en Afghanistan, au Liban, sans parler des bases et des conseillers militaires ou de sécurité. Cest cet interventionnisme, sans précédent depuis la fin de lépoque coloniale, qui a contribué à créer cet arc de crise et cette internationale de la résistance (lire « Des frontières chamboulées par la guerre américaine » et voir la carte « Autoroute de linternationale insurgée », Le Monde diplomatique, octobre-novembre 2007).
« Les conflits irakien, israélo-palestinien, afghan lui servent de terrain dentraînement. Les zones grises où les Etats ne parviennent pas à imposer leur autorité abritent ses bases arrière et les trafics de drogue ou darmes qui le financent. »
Qui a créé ces conflits qui servent de terrain dentraînement ? En Irak comme en Afghanistan, nous avons une guerre occidentale et, en Palestine, le refus permanent dIsraël dappliquer les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, refus qui bénéficie dun soutien américain et de la complaisance européenne.
« La troisième réalité est lévolution idéologique du terrorisme. Al-Qaida sest dabord identifiée à une radicalisation religieuse appelant à une guerre totale entre monde musulman et monde occidental. Cette motivation est encore mise en avant. Pourtant depuis trois ou quatre ans, lidéologie lemporte de plus en plus sur le religieux. »
Cest tout simplement faux. On sait depuis longtemps que nombre des adeptes dAl-Qaida ou des groupes qui lui sont liés sont mus avant tout par des motifs politiques ou nationalistes (comme en Afghanistan). Al-Qaida dispose dun prestige auprès de certains musulmans non parce que ceux-ci auraient envie de vivre sous un régime de type taliban, mais parce quils veulent sopposer aux Etats-Unis et à leur politique, et quAl-Qaida leur apparaît comme lorganisation qui lutte vraiment contre Washington.
« A lheure où le communisme sefface, et avec lui une voie politique de contestation, lintégrisme accueille des personnes frustrées, en quête didentité, fragilisées, mais aussi, et cest une nouveauté, des acteurs apparemment bien intégrés - voire occidentaux, mais sensibilisés par la propagande, comme les médecins des attentats de Londres. »
Sont-ils sensibilisés seulement par la « propagande » ? Ou bien par ce quils peuvent voir sur les écrans de télévision de massacres, doppression, dinvasion perpétrés par des troupes étrangères qui prétendent apporter aux pays « arriérés » la civilisation et la démocratie ?
« A ce titre, les Etats arabes ou musulmans et leurs dirigeants deviennent des cibles au même titre que les Occidentaux. »
Oui, cela est vrai... mais, depuis la naissance des groupes violents dans la région, cela la toujours été.
« La quatrième réalité, cest la guerre de la communication. Les terroristes utilisent les images des populations victimes des affrontements au Liban, en Palestine, en Afghanistan, comme propagande contre lOccident ; celles des otages ou des militaires occidentaux tués comme preuve de leur puissance. »
Les populations victimes « daffrontements » ? Ou dune politique dagression soutenue par les Occidentaux ?
« Ils recherchent la symbolique pour créer la panique. Métros, gares, casernes, rencontres politiques, sportives, culturelles très médiatisées, constituent à ce titre autant de cibles potentielles. Devant cette recherche du toujours plus spectaculaire, lutilisation darmes chimiques ou bactériologiques sur des cibles comme les centrales nucléaires, les réservoirs deau ou les systèmes informatiques, est une crainte légitime. »
(...)
« Agir, cest intervenir là où sont les organisations, les réseaux de financement, les camps dentraînement, les écoles dendoctrinement. Cest le sens profond de lengagement de nos militaires en Afghanistan ou au Liban aux côtés de leurs camarades des autres pays, dans des missions aussi risquées quindispensables. LONU donne sa légitimité à cette action militaire, car ses décisions sont celles de la communauté internationale entière et non des seuls pays occidentaux. »
Quel rapport entre la présence française en Afghanistan et au Liban ? Dans ce deuxième pays, elle nest présente que parce quil y a laccord de toutes les forces politiques, y compris le Hezbollah. En Afghanistan, la France sert de supplétif aux Etats-Unis, et cest pourquoi larmée française doit se retirer de ce pays.
« Agir, cest aussi contribuer à lamélioration des conditions de vie et au retour à lEtat de droit, dans des pays dont la situation politique et labsence de valeurs démocratiques est de nature à favoriser lémergence de groupes radicaux. »
Parler de lEtat de droit pour lAfghanistan (ou pour lIrak) relève sans doute dun sens de lironie très particulier...
(...)
« LEurope ne saurait ignorer quelle partage les mêmes risques que lAmérique. Il est temps de donner un contenu nouveau au dialogue transatlantique avec un cadre qui favorise les échanges dinformations pertinents et garantisse un niveau élevé de protection des droits individuels et des libertés. Laction policière nécessite une législation adaptée, mais qui ne renonce pas à nos valeurs de respect de la démocratie et des droits de lhomme. »
Mais si la politique américaine est lune des causes essentielles du développement du terrorisme, de quoi allons-nous parler avec Washington ? De la création dun Etat palestinien promis depuis des années ? Des bombardements de civils en Afghanistan ou en Irak ? Des droits de lhomme tels quils sont interprétés à Guantanamo ou dans les prisons afghanes contrôlées par les Etats-Unis ?
Alain Gresh - Le Monde Diplomatique
Dans une tribune publiée par le quotidien Le Monde du 1er octobre, et intitulée « Les démocraties face au terrorisme », Michèle Alliot-Marie, ministre de lintérieur, développe sa pensée. Et, pourrait-on dire, tous les poncifs de la doxa sécuritaire face à lislamisme et au terrorisme.
« Le terrorisme est lennemi commun des démocraties. Lislamisme radical nest certes pas le seul en cause, il demeure toutefois une priorité. Depuis plus de six ans, comme ministre de la défense puis de lintérieur, jen ai suivi les modalités, les évolutions et hélas les manifestations. Certaines réalités ne sont pas inutiles à rappeler. »
Le terrorisme, « un ennemi commun » ? Quy a-t-il de commun entre Al-Qaida, lETA basque, les Tigres tamouls ? En réalité, le seul ennemi, dans lesprit de la ministre, cest bien lislamisme radical.
« La première est que la France est une cible potentielle, car ses valeurs : liberté, tolérance, respect des femmes, laïcité, droits de lhomme, sont en opposition avec celles de lintégrisme. Elle nest pas plus menacée que dautres : ces dernières années ont vu plus dattentats dans les pays musulmans quen Europe. Elle ne lest pas moins : le démantèlement de réseaux et les arrestations dislamistes sur notre sol le montrent. »
Cest une reprise sans aucune nuance du discours du président Bush : « ils » nous haïssent non pas à cause de notre politique, mais à cause des valeurs que nous représentons. A quoi Oussama Ben Laden répondait en substance que, si sa haine était dirigée en priorité contre la démocratie et les libertés, son principal objectif serait la Suède, et non les Etats-Unis. Ce type de raisonnement américain, repris par la ministre, a pour avantage (si lon peut dire) quil dispense de toute réflexion sur les effets de la politique américaine ou occidentale dans le monde musulman.
« La deuxième réalité est lextension géographique du terrorisme islamiste. Larc du terrorisme intégriste couvre lAfghanistan, le Pakistan, la Malaisie, lIndonésie, la Somalie, la péninsule Arabique, le Moyen-Orient, la zone subsaharienne et le Maghreb. De ces bases, il projette ses actions vers lEurope. »
On pourrait inverser le raisonnement, et dire que ce qui est nouveau, cest la présence massive de troupes occidentales en Irak, en Afghanistan, au Liban, sans parler des bases et des conseillers militaires ou de sécurité. Cest cet interventionnisme, sans précédent depuis la fin de lépoque coloniale, qui a contribué à créer cet arc de crise et cette internationale de la résistance (lire « Des frontières chamboulées par la guerre américaine » et voir la carte « Autoroute de linternationale insurgée », Le Monde diplomatique, octobre-novembre 2007).
« Les conflits irakien, israélo-palestinien, afghan lui servent de terrain dentraînement. Les zones grises où les Etats ne parviennent pas à imposer leur autorité abritent ses bases arrière et les trafics de drogue ou darmes qui le financent. »
Qui a créé ces conflits qui servent de terrain dentraînement ? En Irak comme en Afghanistan, nous avons une guerre occidentale et, en Palestine, le refus permanent dIsraël dappliquer les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, refus qui bénéficie dun soutien américain et de la complaisance européenne.
« La troisième réalité est lévolution idéologique du terrorisme. Al-Qaida sest dabord identifiée à une radicalisation religieuse appelant à une guerre totale entre monde musulman et monde occidental. Cette motivation est encore mise en avant. Pourtant depuis trois ou quatre ans, lidéologie lemporte de plus en plus sur le religieux. »
Cest tout simplement faux. On sait depuis longtemps que nombre des adeptes dAl-Qaida ou des groupes qui lui sont liés sont mus avant tout par des motifs politiques ou nationalistes (comme en Afghanistan). Al-Qaida dispose dun prestige auprès de certains musulmans non parce que ceux-ci auraient envie de vivre sous un régime de type taliban, mais parce quils veulent sopposer aux Etats-Unis et à leur politique, et quAl-Qaida leur apparaît comme lorganisation qui lutte vraiment contre Washington.
« A lheure où le communisme sefface, et avec lui une voie politique de contestation, lintégrisme accueille des personnes frustrées, en quête didentité, fragilisées, mais aussi, et cest une nouveauté, des acteurs apparemment bien intégrés - voire occidentaux, mais sensibilisés par la propagande, comme les médecins des attentats de Londres. »
Sont-ils sensibilisés seulement par la « propagande » ? Ou bien par ce quils peuvent voir sur les écrans de télévision de massacres, doppression, dinvasion perpétrés par des troupes étrangères qui prétendent apporter aux pays « arriérés » la civilisation et la démocratie ?
« A ce titre, les Etats arabes ou musulmans et leurs dirigeants deviennent des cibles au même titre que les Occidentaux. »
Oui, cela est vrai... mais, depuis la naissance des groupes violents dans la région, cela la toujours été.
« La quatrième réalité, cest la guerre de la communication. Les terroristes utilisent les images des populations victimes des affrontements au Liban, en Palestine, en Afghanistan, comme propagande contre lOccident ; celles des otages ou des militaires occidentaux tués comme preuve de leur puissance. »
Les populations victimes « daffrontements » ? Ou dune politique dagression soutenue par les Occidentaux ?
« Ils recherchent la symbolique pour créer la panique. Métros, gares, casernes, rencontres politiques, sportives, culturelles très médiatisées, constituent à ce titre autant de cibles potentielles. Devant cette recherche du toujours plus spectaculaire, lutilisation darmes chimiques ou bactériologiques sur des cibles comme les centrales nucléaires, les réservoirs deau ou les systèmes informatiques, est une crainte légitime. »
(...)
« Agir, cest intervenir là où sont les organisations, les réseaux de financement, les camps dentraînement, les écoles dendoctrinement. Cest le sens profond de lengagement de nos militaires en Afghanistan ou au Liban aux côtés de leurs camarades des autres pays, dans des missions aussi risquées quindispensables. LONU donne sa légitimité à cette action militaire, car ses décisions sont celles de la communauté internationale entière et non des seuls pays occidentaux. »
Quel rapport entre la présence française en Afghanistan et au Liban ? Dans ce deuxième pays, elle nest présente que parce quil y a laccord de toutes les forces politiques, y compris le Hezbollah. En Afghanistan, la France sert de supplétif aux Etats-Unis, et cest pourquoi larmée française doit se retirer de ce pays.
« Agir, cest aussi contribuer à lamélioration des conditions de vie et au retour à lEtat de droit, dans des pays dont la situation politique et labsence de valeurs démocratiques est de nature à favoriser lémergence de groupes radicaux. »
Parler de lEtat de droit pour lAfghanistan (ou pour lIrak) relève sans doute dun sens de lironie très particulier...
(...)
« LEurope ne saurait ignorer quelle partage les mêmes risques que lAmérique. Il est temps de donner un contenu nouveau au dialogue transatlantique avec un cadre qui favorise les échanges dinformations pertinents et garantisse un niveau élevé de protection des droits individuels et des libertés. Laction policière nécessite une législation adaptée, mais qui ne renonce pas à nos valeurs de respect de la démocratie et des droits de lhomme. »
Mais si la politique américaine est lune des causes essentielles du développement du terrorisme, de quoi allons-nous parler avec Washington ? De la création dun Etat palestinien promis depuis des années ? Des bombardements de civils en Afghanistan ou en Irak ? Des droits de lhomme tels quils sont interprétés à Guantanamo ou dans les prisons afghanes contrôlées par les Etats-Unis ?