Mobilisés contre la démolition du patrimoine architectural de Casablanca

Depuis trois mois, une soixantaine de familles manifestent tous les lundis devant le tribunal de justice de Casablanca. Leur objectif : protéger leurs bâtiments résidentiels, héritages de l’architecture des années 1930 et 1940. Leur solution : que leurs immeubles soient classés au patrimoine national. Mais les bulldozers avancent plus vite que leurs démarches.

Un groupe d’habitants de Mers Sultan, un quartier du centre-ville de Casablanca, s’oppose à la destruction de leurs bâtiments anciens, que certains propriétaires veulent remplacer par des immeubles de bureaux. Sur leur page Facebook, ils suspectent leurs propriétaires d’organiser des attaques visant à dégrader leurs immeubles et diffusent des photos des dégâts.

Problème pour les habitants : la loi relative à la protection du patrimoine marocain ne prévoit pas la possibilité de classer une zone entière et oblige de traiter chaque immeuble au cas par cas. Des procédures fastidieuses pour les associations qui doivent déposer des dossiers individuels.

Une proposition de modification de la loi a été faite en 2009, mais celle-ci est toujours en attente de validation par le ministère de la Culture [contacté par FRANCE 24, le ministère n’a pour l’instant pas répondu à nos questions. Nous publierons sa réponse dès que celle-ci nous parviendra].

Plusieurs immeubles de Casablanca ont subi des destructions au cours du XXème siècle à cause de catastrophe naturelles notamment. Pendant la première moitié du siècle dernier, la ville est un grand laboratoire pour les architectes avant-gardistes. Les immeubles du quartier Mers Sultan sont de plusieurs styles architecturaux, art-déco des années 1930 et moderne des années 1940.

"Nous subissons des intimidations morales et physiques permanentes"
Amel (pseudonyme) est une habitante du quartier Mers Sultan. Le tribunal de premier instance de Casablanca a prononcé l’avis d’expulsion de son immeuble préalable à sa destruction.

L’immeuble dans lequel je vis, ainsi qu’une dizaine de familles, n’est toujours pas classé au patrimoine national alors qu’il présente un intérêt historique. Il a été édifié par Pierre Jabin, un architecte français auteur de plusieurs bâtiments dans les années 1940, dans le style moderne.

Les discussions pour classer l’immeuble sont anormalement longues. Le commissaire du patrimoine de Casablanca s’est pourtant déplacé et a constaté l’intérêt d’inscrire au patrimoine national les immeubles du quartier. Mais c’est maintenant au ministère de la Culture d’approuver ces recommandations. Nous attendons la décision de la Cour d’appel pour savoir si on sera demain à la rue ou pas. On a l’impression que les discussions traînent peut-être parce que les promoteurs immobiliers font pression.

La situation est devenue ingérable. Des habitants des immeubles reçoivent des menaces de la part d’inconnus qui leur demandent de quitter les lieux et qui viennent abîmer les bâtiments. La semaine dernière, l’eau a été coupée dans un immeuble voisin où les habitants refusent de partir. Ce sont des intimidations morales et physiques permanentes."
 
"La loi actuelle empêche de raisonner en matière d'ensemble urbains"
Abderrahim Kassou est membre et ancien président de Casamémoire, une association de sauvegarde du patrimoine architectural du XXe siècle au Maroc.

Les propriétaires des immeubles du quartiers Mers Sultan ne sont pas tous à loger à la même enseigne. Mais force est de constater qu’il y a eu des actes de vandalisme criminels et scandaleux.

Certains propriétaires, qui savent que le classement de leur immeuble au patrimoine national va causer leur ruine, choisissent de laisser leur immeuble à l’abandon. Le bâtiment tombe ainsi en ruine, il est déclassé du fait de son état désastreux et le propriétaire peut tranquillement le détruire pour reconstruire sur le terrain vide !

Le problème, c’est que la loi actuelle nous empêche de raisonner en matière d’ensemble urbain ou de zones de paysage comme l’a pourtant recommandé l’UNESCO en 2011. La modification de la loi est dans les tuyaux depuis quatre ans, mais c’est un dossier qui n’intéressait pas beaucoup les ministres de la Culture précédents et il n’a pas beaucoup de moyens [le budget du ministère de la Culture est de 51 millions d’euros].

On a le sentiment que le nouveau ministre est plus réceptif à ces questions, mais la procédure administrative prend énormément de temps. Il faudra encore au moins un an avant que la loi soit modifiée."

http://observers.france24.com/fr/co...ine-architecture-casablanca-maroc-mers-sultan
 
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