Vendredi 17 avril en fin d’après midi, à Paris, s’est produit un de ces retournements que les tribunaux connaissent parfois : le plaignant s’est retrouvé sur le banc des accusés.
Mounir Majidi, homme d’affaires et secrétaire particulier du roi du Maroc, Mohammed VI, avait porté plainte en diffamation contre Le Monde et contre le journaliste marocain Ahmed Benchemsi, fondateur de l’hebdomadaire Tel Quel et contributeur occasionnel du quotidien français.
L’article incriminé est paru dans la rubrique « Décryptage-Débats » du Monde, le 26 juin 2012 et était intitulé « La grande corruption règne en maître au Maroc ».
Une synthèse d’une note publiée quelques jours plus tôt sur son blog.
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Ahmed Benchemsi a été plusieurs fois poursuivi par la justice marocaine. « Je me réjouis de comparaître enfin devant une justice indépendante », lâche-t-il avant d’apparaître devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris.
Le ton est donné.
Venu de Washington où il réside désormais, le journaliste dit ne pas comprendre les motivations et la stratégie de Mounir Majidi et de ses avocats.
Ce procès en France est pour lui et son avocat, Me William Bourdon, l’occasion de « déballer sur la monarchie ».
A l’origine, l’affaire BaySys
A la barre, Ahmed Benchemsi défend un « travail d’enquête s’appuyant sur des documents officiels et légaux » qui lui ont permis notamment de révéler l’affaire BaySys, du nom de cet équipementier aéronautique américain en difficulté et à la recherche de 25 millions de dollars.
« Je me réjouis de comparaître enfin devant une justice indépendante », Ahmed Benchemsi
L’affaire remonte à 2010.
Mounir Majidi met en relation la société BaySys avec la compagnie aérienne marocaine publique Royal Air Maroc.
Apparaît alors BaySys Morocco qui, selon l’enquête de l’auteur, serait en fait une « coquille vide sans locaux ni personnel que M. Majidi contrôle à 100 % via deux sociétés écrans ».
Or, cette société prévoit de réaliser un chiffre d’affaires de 45 millions d’euros dès sa première année d’existence, pointe l’auteur.
Même si le deal n’a finalement pas abouti, Ahmed Benchemsi l’utilise pour dénoncer ce qu’il qualifie devant la 17e chambre de « corruption d’Etat ».
Et de critiquer ce qu’il pense être un « système où les conflits d’intérêts règnent et où le trafic d’influence bat son plein, au plus haut niveau de l’Etat ».
Lors de l’audience, Ahmed Benchemsi a rappelé les mots du secrétaire général du parti Justice et développement (PJD, islamiste), Abdelilah Benkirane, prononcés en mars 2011 lors d’une manifestation à Salé, à côté de Rabat.
M. Benkirane qui, huit mois plus tard, allait remporter les élections parlementaires et prendre la tête du gouvernement, avait interpellé le roi sur les hommes d’affaires puissants qui l’entourent. « Le Maroc n’a plus besoin de ceux qui dominent le gouvernement et donnent leurs directives par téléphone et terrorisent les hommes d’Etat. »
Parmi les témoins appelés à la barre par l’avocat de la défense, Me William Bourdon, figure la journaliste française Catherine Graciet, co-auteure avec Eric Laurent du livre Le Roi prédateur, main basse sur le Maroc (Seuil, 2012).
M. Majidi ? « Il gère l’argent et sait faire fructifier la fortune du roi », déclare-t-elle avant de décrire les conditions d’exercice du métier de journaliste au Maroc, où elle a travaillé 18 mois.
« On est régulièrement suivi, menacé, insulté dans la presse du régime comme le site Web ordurier Le360.ma, proche de M. Majidi », lâche-t-elle.
Interrogé à ce sujet, Ahmed Benchemsi ajoute : « J’ai quitté le Maroc en 2010, j’étais harcelé de toutes les manières possibles. »
Echanges vifs entre les avocats
Entre la défense et les avocats parisiens de Mounir Majidi, Me Aurélien Hamelle et Eric Dezeuze, les échanges sont parfois vifs.
Comme lorsque ces derniers mettent en exergue une série d’approximations et de « déductions » du journaliste dont ils contestent la bonne foi. « M. Benchemsi ne poursuit-il pas un but de salir M. Majidi ? », s’interroge Me Hammelle.
« Le trafic d’influence est avancé par le journaliste, et M. Majidi est présenté comme un criminel qui s’adonne à la corruption et qui est capable de contrôler la justice marocaine », relève Me Deleuze.
Les deux avocats estiment qu’Ahmed Benchemsi a fait preuve d’animosité envers leur client, une animosité qu’ils dénoncent comme étant motivée par ses liens avec le prince Moulay Hicham, le cousin et opposant du roi Mohamed VI.
Réplique Me Bourdon : « Ce n’est pas à vous, avocats d’un puissant qui réprime la presse, de donner des leçons de déontologie. »
(...)
Me Bourdon se lance dans une plaidoirie vibrionnante.
L’avocat, dont l’association Sherpa porte l’affaire dite des biens mal acquis contre les présidents africains Omar Bongo, Denis Sassou Nguesso et Teodoro Obiang, dénonce la « tentative d’enfumage du tribunal » par l’accusation et enchaîne par une diatribe contre une « monarchie minée par la corruption ».
Il le martèle : « Mounir Majidi est comme un intouchable au cœur de la pieuvre, nommé par décret royal donc avec une responsabilité publique. »
D’aucuns trouveront que les propos tenus de ce procès sont plus véhéments que le texte de 2012 de l’accusé.
Le procureur a demandé la relaxe d’Ahmed Benchemsi.
Le jugement sera rendu le 12 juin.
Joan Tilouine
Maroc : procès de Mounir Majidi en bord de Seine
Mounir Majidi, homme d’affaires et secrétaire particulier du roi du Maroc, Mohammed VI, avait porté plainte en diffamation contre Le Monde et contre le journaliste marocain Ahmed Benchemsi, fondateur de l’hebdomadaire Tel Quel et contributeur occasionnel du quotidien français.
L’article incriminé est paru dans la rubrique « Décryptage-Débats » du Monde, le 26 juin 2012 et était intitulé « La grande corruption règne en maître au Maroc ».
Une synthèse d’une note publiée quelques jours plus tôt sur son blog.
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Ahmed Benchemsi a été plusieurs fois poursuivi par la justice marocaine. « Je me réjouis de comparaître enfin devant une justice indépendante », lâche-t-il avant d’apparaître devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris.
Le ton est donné.
Venu de Washington où il réside désormais, le journaliste dit ne pas comprendre les motivations et la stratégie de Mounir Majidi et de ses avocats.
Ce procès en France est pour lui et son avocat, Me William Bourdon, l’occasion de « déballer sur la monarchie ».
A l’origine, l’affaire BaySys
A la barre, Ahmed Benchemsi défend un « travail d’enquête s’appuyant sur des documents officiels et légaux » qui lui ont permis notamment de révéler l’affaire BaySys, du nom de cet équipementier aéronautique américain en difficulté et à la recherche de 25 millions de dollars.
« Je me réjouis de comparaître enfin devant une justice indépendante », Ahmed Benchemsi
L’affaire remonte à 2010.
Mounir Majidi met en relation la société BaySys avec la compagnie aérienne marocaine publique Royal Air Maroc.
Apparaît alors BaySys Morocco qui, selon l’enquête de l’auteur, serait en fait une « coquille vide sans locaux ni personnel que M. Majidi contrôle à 100 % via deux sociétés écrans ».
Or, cette société prévoit de réaliser un chiffre d’affaires de 45 millions d’euros dès sa première année d’existence, pointe l’auteur.
Même si le deal n’a finalement pas abouti, Ahmed Benchemsi l’utilise pour dénoncer ce qu’il qualifie devant la 17e chambre de « corruption d’Etat ».
Et de critiquer ce qu’il pense être un « système où les conflits d’intérêts règnent et où le trafic d’influence bat son plein, au plus haut niveau de l’Etat ».
Lors de l’audience, Ahmed Benchemsi a rappelé les mots du secrétaire général du parti Justice et développement (PJD, islamiste), Abdelilah Benkirane, prononcés en mars 2011 lors d’une manifestation à Salé, à côté de Rabat.
M. Benkirane qui, huit mois plus tard, allait remporter les élections parlementaires et prendre la tête du gouvernement, avait interpellé le roi sur les hommes d’affaires puissants qui l’entourent. « Le Maroc n’a plus besoin de ceux qui dominent le gouvernement et donnent leurs directives par téléphone et terrorisent les hommes d’Etat. »
Parmi les témoins appelés à la barre par l’avocat de la défense, Me William Bourdon, figure la journaliste française Catherine Graciet, co-auteure avec Eric Laurent du livre Le Roi prédateur, main basse sur le Maroc (Seuil, 2012).
M. Majidi ? « Il gère l’argent et sait faire fructifier la fortune du roi », déclare-t-elle avant de décrire les conditions d’exercice du métier de journaliste au Maroc, où elle a travaillé 18 mois.
« On est régulièrement suivi, menacé, insulté dans la presse du régime comme le site Web ordurier Le360.ma, proche de M. Majidi », lâche-t-elle.
Interrogé à ce sujet, Ahmed Benchemsi ajoute : « J’ai quitté le Maroc en 2010, j’étais harcelé de toutes les manières possibles. »
Echanges vifs entre les avocats
Entre la défense et les avocats parisiens de Mounir Majidi, Me Aurélien Hamelle et Eric Dezeuze, les échanges sont parfois vifs.
Comme lorsque ces derniers mettent en exergue une série d’approximations et de « déductions » du journaliste dont ils contestent la bonne foi. « M. Benchemsi ne poursuit-il pas un but de salir M. Majidi ? », s’interroge Me Hammelle.
« Le trafic d’influence est avancé par le journaliste, et M. Majidi est présenté comme un criminel qui s’adonne à la corruption et qui est capable de contrôler la justice marocaine », relève Me Deleuze.
Les deux avocats estiment qu’Ahmed Benchemsi a fait preuve d’animosité envers leur client, une animosité qu’ils dénoncent comme étant motivée par ses liens avec le prince Moulay Hicham, le cousin et opposant du roi Mohamed VI.
Réplique Me Bourdon : « Ce n’est pas à vous, avocats d’un puissant qui réprime la presse, de donner des leçons de déontologie. »
(...)
Me Bourdon se lance dans une plaidoirie vibrionnante.
L’avocat, dont l’association Sherpa porte l’affaire dite des biens mal acquis contre les présidents africains Omar Bongo, Denis Sassou Nguesso et Teodoro Obiang, dénonce la « tentative d’enfumage du tribunal » par l’accusation et enchaîne par une diatribe contre une « monarchie minée par la corruption ».
Il le martèle : « Mounir Majidi est comme un intouchable au cœur de la pieuvre, nommé par décret royal donc avec une responsabilité publique. »
D’aucuns trouveront que les propos tenus de ce procès sont plus véhéments que le texte de 2012 de l’accusé.
Le procureur a demandé la relaxe d’Ahmed Benchemsi.
Le jugement sera rendu le 12 juin.
Joan Tilouine
Maroc : procès de Mounir Majidi en bord de Seine