Arabie saoudite, Qatar, Iran... : l'intérêt de la France est de traiter avec tout le monde. Et de ne se fâcher durablement avec personne.
Un scoop planétaire vient de sortir : l'Arabie saoudite n'est pas une démocratie. Son mode de fonctionnement est, en effet, assez éloigné de celui du Royaume-Uni ou de la Suisse. Bizarre ! À l'occasion du décès du roi Abdallah, les naïfs, ou ceux qui feignent de l'être, découvrent ébahis les méandres compliqués de la monarchie saoudienne, le carcan du wahhabisme, cette vision rigoriste de l'islam des sables née au XVIIIe siècle. Un pays où les femmes n'ont pas le droit de conduire, où l'on manie volontiers le fouet contre les récalcitrants, où l'on coupe la main des voleurs et où - coutume rafraîchissante - l'on décapite allègrement les assassins au sabre en place publique à la sortie de la prière du vendredi. À vrai dire, rien de nouveau sous le soleil de l'Orient.
Mais, sur les rives de la Seine, des voix vertueuses s'élèvent pour fustiger le voyage protocolaire effectué par François Hollande afin de présenter ses condoléances à la famille royale. Que veulent donc ces âmes nobles ? Que la France renonce à des rapports étroits avec un pays qui détient les deuxièmes réserves de pétrole mondiales (266 milliards de barils) ? Qu'elle fasse la fine bouche en matière de livraison d'armement, de chantiers de BTP, d'aménagement d'infrastructures ? Qu'elle laisse le champ libre aux Américains ? "Il faut exiger, disent les nouveaux croisés droit-de-l'hommistes, des réformes démocratiques." De bien belles paroles, mais totalement déconnectées de la réalité.
Le système politique saoudien est le reflet d'une société demeurée très conservatrice. La dynastie régnante, conformément au pacte signé en 1744 entre Mohammed Ibn Saoud et le prédicateur Mohammed Abdel Wahhab, est sous la surveillance étroite du pouvoir religieux. D'autant plus que le monarque est le protecteur des deux principaux lieux saints de l'islam, La Mecque et Médine. Les élites occidentalisées ne sont guère représentatives de l'Arabie profonde. La monarchie saoudienne ne peut se moderniser qu'à son rythme qui s'apparente plutôt à la vitesse du chameau qu'à celle d'une Ferrari.
Le pays est sous la menace, au nord, de Daesh, au sud et à l'est, de l'agitation des minorités chiites ; du grand rival iranien ; d'al-Qaida très implanté chez le voisin yéménite. Une déstabilisation de l'Arabie saoudite serait une catastrophe, un séisme aux conséquences incalculables. Veut-on d'un second Yémen, d'une autre Somalie ?
Jeu trouble
Même air pincé des donneurs de leçons à propos du très riche Qatar, doté d'énormes réserves de gaz naturel. L'émirat a établi, dès son indépendance en 1971, des relations privilégiées avec la France. Pour trois raisons : se désengager de l'ancien colonisateur britannique, ne pas se retrouver en tête-à-tête avec les Américains, et se prémunir de son puissant voisin saoudien qui avait une fâcheuse tendance à se mêler de ses affaires intérieures.
Pour les mêmes motifs - une alliance de revers face aux Saoudiens - le Qatar avait resserré ses liens avec l'Irak de Saddam Hussein. Les relations franco-qataries n'ont cessé de croître et d'embellir sur le plan économique, culturel, militaire. Et le Qatar a beaucoup investi en France : Lagardère, Total, Vivendi, LVMH, Vinci, Veolia, etc. Sans oublier le PSG hautement stratégique et quelques hôtels particuliers qui ont défrayé la chronique. "Le Qatar achète la France !" : la rumeur n'a cessé d'enfler au point d'annihiler toute analyse rationnelle. Rigolade. La part des fonds qataris dans les entreprises du CAC 40 dépasse rarement 5 % du capital. Et croit-on sérieusement que le Qatar (2 millions d'habitants, mais moins de 300 000 Qataris) est en mesure de "se payer" la France ?
Bien sûr, le wahhabisme a idéologiquement irrigué le monde musulman. Bien sûr, des mosquées, des institutions sociales fondamentalistes ont été financées par l'argent de certains princes saoudiens. Et le royaume a longtemps fermé les yeux sur une évidence : une partie de ce financement arrivait, in fine, dans les mains de groupes peu recommandables. Saoudiens et Qatariens mènent un jeu trouble en Syrie à l'égard de certains groupes djihadistes. Mais les Saoudiens sont aujourd'hui dans la position de l'arroseur arrosé.
Si la France doit maintenir ses liens avec le Qatar ou l'Arabie, elle ne doit pas s'interdire, non plus, de défendre ses intérêts en Iran au risque, un jour, de rater le train de l'histoire. Et, en Syrie, ne fermer aucune porte : par exemple ne pas refuser a priori l'idée de reprendre discrètement contact avec Bachar. En matière diplomatique le cynisme est, à tout prendre, moins dangereux que l'angélisme.
http://www.lepoint.fr/monde/ou-va-l...sateur-30-01-2015-1900983_231.php#xtor=CS1-31
Un scoop planétaire vient de sortir : l'Arabie saoudite n'est pas une démocratie. Son mode de fonctionnement est, en effet, assez éloigné de celui du Royaume-Uni ou de la Suisse. Bizarre ! À l'occasion du décès du roi Abdallah, les naïfs, ou ceux qui feignent de l'être, découvrent ébahis les méandres compliqués de la monarchie saoudienne, le carcan du wahhabisme, cette vision rigoriste de l'islam des sables née au XVIIIe siècle. Un pays où les femmes n'ont pas le droit de conduire, où l'on manie volontiers le fouet contre les récalcitrants, où l'on coupe la main des voleurs et où - coutume rafraîchissante - l'on décapite allègrement les assassins au sabre en place publique à la sortie de la prière du vendredi. À vrai dire, rien de nouveau sous le soleil de l'Orient.
Mais, sur les rives de la Seine, des voix vertueuses s'élèvent pour fustiger le voyage protocolaire effectué par François Hollande afin de présenter ses condoléances à la famille royale. Que veulent donc ces âmes nobles ? Que la France renonce à des rapports étroits avec un pays qui détient les deuxièmes réserves de pétrole mondiales (266 milliards de barils) ? Qu'elle fasse la fine bouche en matière de livraison d'armement, de chantiers de BTP, d'aménagement d'infrastructures ? Qu'elle laisse le champ libre aux Américains ? "Il faut exiger, disent les nouveaux croisés droit-de-l'hommistes, des réformes démocratiques." De bien belles paroles, mais totalement déconnectées de la réalité.
Le système politique saoudien est le reflet d'une société demeurée très conservatrice. La dynastie régnante, conformément au pacte signé en 1744 entre Mohammed Ibn Saoud et le prédicateur Mohammed Abdel Wahhab, est sous la surveillance étroite du pouvoir religieux. D'autant plus que le monarque est le protecteur des deux principaux lieux saints de l'islam, La Mecque et Médine. Les élites occidentalisées ne sont guère représentatives de l'Arabie profonde. La monarchie saoudienne ne peut se moderniser qu'à son rythme qui s'apparente plutôt à la vitesse du chameau qu'à celle d'une Ferrari.
Le pays est sous la menace, au nord, de Daesh, au sud et à l'est, de l'agitation des minorités chiites ; du grand rival iranien ; d'al-Qaida très implanté chez le voisin yéménite. Une déstabilisation de l'Arabie saoudite serait une catastrophe, un séisme aux conséquences incalculables. Veut-on d'un second Yémen, d'une autre Somalie ?
Jeu trouble
Même air pincé des donneurs de leçons à propos du très riche Qatar, doté d'énormes réserves de gaz naturel. L'émirat a établi, dès son indépendance en 1971, des relations privilégiées avec la France. Pour trois raisons : se désengager de l'ancien colonisateur britannique, ne pas se retrouver en tête-à-tête avec les Américains, et se prémunir de son puissant voisin saoudien qui avait une fâcheuse tendance à se mêler de ses affaires intérieures.
Pour les mêmes motifs - une alliance de revers face aux Saoudiens - le Qatar avait resserré ses liens avec l'Irak de Saddam Hussein. Les relations franco-qataries n'ont cessé de croître et d'embellir sur le plan économique, culturel, militaire. Et le Qatar a beaucoup investi en France : Lagardère, Total, Vivendi, LVMH, Vinci, Veolia, etc. Sans oublier le PSG hautement stratégique et quelques hôtels particuliers qui ont défrayé la chronique. "Le Qatar achète la France !" : la rumeur n'a cessé d'enfler au point d'annihiler toute analyse rationnelle. Rigolade. La part des fonds qataris dans les entreprises du CAC 40 dépasse rarement 5 % du capital. Et croit-on sérieusement que le Qatar (2 millions d'habitants, mais moins de 300 000 Qataris) est en mesure de "se payer" la France ?
Bien sûr, le wahhabisme a idéologiquement irrigué le monde musulman. Bien sûr, des mosquées, des institutions sociales fondamentalistes ont été financées par l'argent de certains princes saoudiens. Et le royaume a longtemps fermé les yeux sur une évidence : une partie de ce financement arrivait, in fine, dans les mains de groupes peu recommandables. Saoudiens et Qatariens mènent un jeu trouble en Syrie à l'égard de certains groupes djihadistes. Mais les Saoudiens sont aujourd'hui dans la position de l'arroseur arrosé.
Si la France doit maintenir ses liens avec le Qatar ou l'Arabie, elle ne doit pas s'interdire, non plus, de défendre ses intérêts en Iran au risque, un jour, de rater le train de l'histoire. Et, en Syrie, ne fermer aucune porte : par exemple ne pas refuser a priori l'idée de reprendre discrètement contact avec Bachar. En matière diplomatique le cynisme est, à tout prendre, moins dangereux que l'angélisme.
http://www.lepoint.fr/monde/ou-va-l...sateur-30-01-2015-1900983_231.php#xtor=CS1-31