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Mais est-ce que tu es fou. Quest-ce que tu viens faire au Maroc après toute une vie passée en Occident ! » : voici le genre de remarques que beaucoup de nos compatriotes de « lkharij », rentrés au pays, sentendent dire concernant leur retour à la mère-patrie.
Ces interrogations résument parfaitement le « décalage » ou le « fossé culturel » qui demeure encore entre Marocains de « lextérieur » et ceux de « lintérieur ». « Cest presque toujours la même chose », explique Farid, un jeune parisien, qui a passé toute son adolescence en France. « On nous pose cette question avec insistance, comme si on nous reproche le fait de revenir. Pour beaucoup de nos citoyens, limmigré est censé vivre à létranger. Et cela paraît presque bizarre, voire suspicieux, de le voir retourner vivre dans son pays ! ». Samir et Hatim font également partie de ce lot. « Parfois cette interrogation frôle le harcèlement. Pour moi, cela traduit la frustration de ceux qui nont pas pu immigrer
En quelque sorte, ils reportent sur nous leurs frustrations », renchérit Samir.
Nos deux amis affirment que leur retour est fondé plus sur des motivations dordre affectif, que celles purement professionnelle. Samir déclare à ce sujet : « Lavenir me paraissait incertain dans une France en crise. En plus, javais un autre problème : celui des papiers. En effet, jai passé pratiquement toute ma vie en France. Mais à la différence de mes frères et surs, je nai pas eu la nationalité française ». Et dajouter : « Jai constaté que sans papiers, la situation serait difficile. Jai donc préféré anticiper et rentrer chez moi au Maroc, après 35 ans de vie en banlieue parisienne ».
Aujourdhui, Samir occupe un poste de chauffeur-livreur pour une société postale. Et même sil semble ne pas représenter lexemple type du « jeune beur qui a réussi pleinement », il considère quêtre aux côtés de sa grand-mère, le seul lien affectif qui lui reste après la mort de ses parents, vaut « plus que tout lor du monde », comme il aime à le souligner. Autre exemple, celui de Hatim, pour qui le lien affectif lemporte sur laspect matériel. « Je suis natif de Nice, et je suis un pur produit français musulman. Mais ma mère habite au Maroc et jai donc opté pour vivre à côté delle, car je considère que la mère est comme la terre ».
Ce lien transcendant lemporterait-il donc envers et contre tout ? Oui, mais pas complètement. Autre exemple, autre contexte : Un beau jour de mai 2002, Abdennour a choisi de tout quitter en France, pour rejoindre « sa deuxième moitié à Casablanca ». Des raisons affectives ici encore, mais pas seulement. « Jai mesuré le pour et le contre depuis la France, où joccupais le poste dingénieur au sein dune entreprise de logistique ferroviaire pour un bon salaire. Lorsquon ma proposé le même salaire avec Maersk au port de Casablanca, jai foncé. Jai une meilleure qualité de vie quen région parisienne, avec en moins les incertitudes du lendemain liées à une conjoncture des plus mauvaises en Europe ».
La quarantaine, un corps massif et imposant, Abderrahim Berrahou est, quant à lui, lexemple parfait de limmigré carriériste, qui retourne au pays, avec en plus des diplômes dans ses bagages, des capitaux et des projets pleins la tête. Après plus de vingt ans passés aux Etats-Unis sur la côte Est, il sest installé à Témara. A son retour, avec une forte expérience dans le monitorat sportif et un capital de plusieurs milliers de dollars, il réalise un vieux rêve : la création de salles de remise en forme. Petites structures abordables par la classe moyenne, ses salles se veulent à la portée du peuple et lui donnent loccasion de faire un travail qui le passionne. Dailleurs, il ne rate pas le cours de gymnastique quil donne chaque soir à 18h00.
Plusieurs exemples, un dénominateur commun
Nawal El Kahlaoui, 35 ans, née à Mantes-la-Jolie, en banlieue parisienne, sest décidée à revenir au bled après son mariage et dirige aujourdhui une société de marketing à Casablanca. Elle laisse derrière une grande partie de sa famille dont ses parents. Mais, à aucun instant, elle ne regrette d« avoir franchi le cap », car elle quitte une « France déchirée par la fracture sociale, et un marché saturé ». Le cas de Nawal, née en Europe de parents marocains, ayant laissé derrière elle vécu et famille, est loin dêtre isolé. Hassan Bezzazi, jeune ardéchois de 29 ans, organise des randonnées VTT dans les montagnes de lAtlas. Redouan Mfaddel, né à Dreux en 1970, dirige avec son frère le Groupe « Yasmine », acteur important de limmobilier marocain. Brahim, fils de chauffeur de bus, a grandi à Schaerbeek, le quartier immigré de Bruxelles. Basé à Agadir depuis trois ans, il compte parmi les réalisateurs de films les plus productifs du Maroc. Mohamed Ezzouak, fils douvrier à Oyannax, dans lAin, gère Yabiladi.com, le premier site consacré à la diaspora marocaine du monde entier. Samira Abaragh, née en 1973 à Hardricourt (78), occupe le poste dassistante de direction à la Cosumar, la grande entreprise sucrière du Maroc
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On pourrait multiplier à linfini les exemples de ces « retours » des enfants dimmigrés dans le pays de leurs parents. Leur dénominateur commun reste un ras-le-bol expliqué à la fois par des sentiments dordres personnel (racisme, islamophobie grandissante, ostracisme) et conjoncturel (saturation des marchés occidentaux, chômage, cherté de la vie, crise financière internationale
). Pourquoi le retour des MRE prend-il de plus en plus dampleur de nos jours ? « Parce que le Maroc est en pleine expansion depuis 1999. La libéralisation des marchés fait que les entreprises qui sy installent sont à la recherche de cadres formés en Europe et en même temps capables de comprendre la langue et la culture du pays », répond Paul Mercier, responsable de la zone Afrique dans le cabinet de recrutement Michael Page.
« Avec une croissance économique supérieure à 6%, de réels progrès dans les libertés démocratiques, et certaines villes très occidentalisées comme Casablanca, Rabat ou Marrakech, le Maroc a tout pour attirer une jeunesse européenne désireuse dentreprendre. Loffshoring, notamment, secteur phare de cette croissance, draine une bonne partie de ces enfants de limmigration », ajoute-t-il. Brahim Belahmar, de retour de Paris, illustre également ce phénomène. A 36 ans, ce fils de paysans du Sud marocain est en train décrire une des plus belles success stories réussies par un MRE de retour au pays. Fin 2008, il emménage une grande superficie pour des bureaux quil a fait construire à Sidi Maârouf, le quartier de Casablanca en passe de devenir la « Silicon Valley marocaine » de loffshoring.