Parcours d’intégration : ceci n’est pas de l’intégration !

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Parcours d’intégration : ceci n’est pas de l’intégration ! Surréalisme à la belge en matière d’acquisition de la nationalité par déclaration.




Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 4 décembre 2012 modifiant le Code de la nationalité belge , une personne étrangère qui séjourne légalement depuis plus de 5 années en Belgique peut acquérir la nationalité belge par déclaration pour autant qu’elle prouve la connaissance d’une des trois langues nationales, sa participation économique ainsi que son intégration sociale.



A l’heure où il est question de (déjà) réformer le parcours d’accueil wallon à peine mis en œuvre, et dans l’attente de l’effectivité des bureaux d’accueil francophones qui viennent d’être désignés sur Bruxelles, qu’en est-il actuellement de la preuve de la condition de l’intégration sociale ?



Cette condition peut notamment être prouvée par un document attestant le suivi « d’un cours d’intégration ». Il s’agit du mode de preuve ‘résiduaire’ auquel ont recours les candidats à la nationalité belge lorsqu’ils sont dans l’impossibilité d’apporter d’autres modes de preuve admis par le législateur, à savoir le suivi d’une formation professionnelle de 400 heures, une activité professionnelles de 5 années ininterrompues, ou l’obtention d’un diplôme délivré en Belgique.



En quoi consiste le « cours d’intégration » au sens du Code de la nationalité belge?



C’est ici que le bât blesse. Ni le législateur, ni le Roi, ni le ministre de la Justice ne précise en quoi il consiste.



Tout ce que l’on sait est que ce cours d’intégration doit être « prévu par l’autorité compétente de la résidence principale de l’intéressé au moment où il entame son cours d’intégration».


De son côté, la circulaire parle du « suivi d’un parcours d’intégration ».


Une difficulté vient s’ajouter à l’absence de définition du « cours d’intégration ». La compétence de l’accueil et de l’intégration des étrangers appartient aux entités fédérées.



Au moins trois entités fédérées sont compétentes pour définir le contenu du cours d’intégration au sens de la loi du 4 décembre 2012, à savoir la Communauté flamande, en Région de langue flamande et en Région bilingue de Bruxelles-Capitale, la Région Wallonne, en Région de langue française, et la Commission communautaire française (COCOF) en Région bilingue de Bruxelles-Capitale.



Les politiques d’accueil et d’intégration de la COCOF et de la Communauté flamande se chevauchent à Bruxelles. Il existe donc un risque de disparités au niveau du cours d’intégration entre les candidats à la nationalité selon qu’ils résident en Région wallonne, flamande ou bruxelloise.
 
Ce risque s’est confirmé dès l’entrée en vigueur de la loi du 4 décembre 2012. Ni la COCOF en Région de BruxellesCapitale ni la Région wallonne n’avait encore institué, à l’époque, un cours d’intégration.




Au 1er janvier 2013, date d’entrée en vigueur de la loi, seuls les candidats à la nationalité belge résidant en Flandre et à Bruxelles, avaient la possibilité de suivre un parcours d’intégration dit d’« inburgering » organisé par la Communauté flamande.




Ce parcours comprend en moyenne 60 heures de cours d’orientation sociale (« maatschappelijke oriëntatie») et 240 heures de cours de langue (niveau A2 du Cadre européen commun de référence pour les langues – CECRL).6 1 Loi du 4 décembre 2012 modifiant le Code de la nationalité belge afin de rendre l’acquisition de la nationalité belge neutre du point de vue de l’immigration, M.B., 14 décembre 2012. 2 La personne mariée à un citoyen belge est dispensée de prouver sa participation économique.



Article 12bis, §1er, 3° du Code de la nationalité. 3 Article 12bis, §1er, 2°, b) et 3°, e) du Code de la nationalité belge et articles 7 et 8 de l’Arrêté Royal du 4 janvier 2013 portant exécution de la loi du 4 décembre 2012 modifiant le Code de la nationalité belge afin de rendre l’acquisition de la nationalité belge neutre du point de vue de l’immigration, M.B., 21 janvier 2013.



Article 12bis, §1er, 2°, b) et 3°, e) du Code de la nationalité belge et articles 7, 4°, c) et 8, 5°, c) de l’Arrêté Royal du 4 janvier 2013. 5 Point IV, A, 1.2, 1° de la Circulaire du 8 mars 2013 relative à certains aspects de la loi du 4 décembre 2012 modifiant le Code de la nationalité belge afin de rendre l’acquisition de la nationalité belge neutre du point de vue de l’immigration, M.B., 14 mars 2013. Nous soulignons. 6 Décret du 8 février 2003 relatif à la politique flamande d’intégration civique, M.B., 8 mai 2003. Voir également, le décret du 7 juin 2013 relatif à la politique flamande d’intégration et d’intégration civique, M.B., 26 juillet 2013. 3 ADDE - Newsletter n°114 - novembre 2015
 
En d’autres mots, au 1er janvier 2013, seules les personnes ayant leur résidence en Région flamande et à Bruxelles avaient le moyen d’obtenir une attestation de suivi de cours d’intégration pour prouver leur « inté- gration sociale » au sens du Code de la nationalité belge.




Quelle est la situation en Région wallonne ?



En Région wallonne, à défaut de cours d’intégration dans les premiers mois de l’application de la loi du 4 décembre 2012, certaines juridictions ont semblé faire preuve de souplesse dans l’interprétation de la condition « d’intégration sociale ».7




Le 27 mars 2014, un décret organisant un parcours d’accueil a été adopté par le législateur wallon.8 Un arrê- té d’exécution a suivi peu après.9 Enfin, une circulaire a été adoptée le 23 mars 2015.10 Concrètement, le parcours d’accueil organisé en Région wallonne est divisé en deux volets. Le premier volet obligatoire comprend un entretien sous la forme d’un bilan social (2h), une séance d’information sur les droits et devoirs de chaque personne qui réside en Belgique (3h), ainsi qu’une aide ou une orientation aux différentes démarches administratives qui pourraient être entamées.




A l’issue de ce premier volet, une attestation est délivrée. Le second volet n’est pas obligatoire. Il est déterminé sur la base d’un entretien avec l’étranger au cours duquel est conclue une convention.



Il comprend un cours de langue de minimum 120 heures et/ou un module de cours à la citoyenneté de minimum 20 heures et/ou une orientation socio-professionnelle, selon les besoins de la personne.




Aujourd’hui, un parcours d’accueil est donc pleinement opérationnel en Région wallonne. Plus de problème pour les candidats à la nationalité qui souhaitent prouver leur intégration sociale via un cours d’intégration, me direz-vous ! Eh bien non.



Il semblerait que certains parquets en Région wallonne – notamment celui de Liège – considèrent que l’attestation remise à l’issue du 1er volet ne soit pas suffisante pour prouver l’intégration sociale.11



Les raisons ? Le cours de droits et devoirs serait trop « light » pour prouver l’intégration sociale en comparaison à celui organisé par la Communauté flamande. Au surplus, il ne comprend pas de cours de langue.12



Cette lecture de la loi ne nous semble pas pouvoir être suivie. D’une part, la Code précise qu’il s’agit d’un cours d’intégration « prévu par l’autorité compétente », à savoir les entités fédérées compétentes en matière d’intégration.



Le législateur ne dit rien de plus à ce sujet. Certes, des disparités existantes entre les entités fédérées peuvent conduire à des difficultés en termes d’égalité de traitement entre candidats à la nationalité: il n’y a, en effet, pas de commune mesure entre le cours de 3 heures sur les droits et devoirs en Région wallonne et les 60 heures de cours d’orientation sociale organisées par la Communauté flamande.



Néanmoins, c’est au législateur fédéral, et non au parquet de chaque arrondissement judiciaire, de régler cette question et de préciser ce qu’il entend par « cours d’intégration ».



Entre temps, ce sont les entités fédérées qui demeurent compétentes pour déterminer le contenu du cours d’intégration au sens du Code de la nationalité sans obligation de s’aligner les unes sur les autres.



Dès lors, le fait que la Communauté flamande prévoie un nombre plus substantiel d’heures de cours ne pourrait pas, à notre sens, constituer un argument pour refuser les attestations délivrées en Région wallonne à l’issue du premier volet du parcours d’intégration.



La justice ne peut, par le biais du parquet, remettre en cause ce que le législateur fédéral a décidé et certainement pas le contenu d’un cours d’intégration mis en place par une autorité fédérée.



Enfin, concernant la question de savoir si l’intégration sociale passe nécessairement par le suivi d’un cours de langue, il est vrai que les travaux préparatoires et la circulaire sont ambigus sur la question.13 Néanmoins, on rappellera que
 
la connaissance d’une des trois langues nationales est une condition imposée par ailleurs par le législateur pour l’acquisition de la nationalité belge par déclaration.



Elle peut être prouvée par différents documents listés par le Code de la nationalité et son arrêté royal. Il va de soi qu’une attestation d’intégration ne pourrait pas servir comme preuve de la connaissance d’une des trois langues nationales si elle n’implique pas le suivi d’un cours de langue attestant du niveau A2.




Par contre, il nous paraîtrait formaliste et contraire à l’esprit de la loi de considérer que le cours d’intégration devrait comprendre un cours de langue pour prouver la condition d’intégration sociale alors que la personne peut prouver la connaissance d’une des trois langues nationales via d’autres modes de preuve.



D’ailleurs, il semblerait que le parquet de Bruxelles accepte les attestations délivrées par le bureau d’accueil flamand BON comme preuve de l’intégration sociale même lorsque la personne n’a pas suivi un cours de langue dans ce cadre.


Aujourd’hui donc, certains candidats à la nationalité qui résident en Région wallonne sont dans l’impossibilité d’obtenir la nationalité belge en prouvant leur intégration sociale via le cours d’intégration suivi dans le cadre du 1er volet.



Que peuvent-elles faire? Introduire un recours auprès du tribunal de première instance compétent est une voie possible. Il n’est pas non plus exclu que le cours de citoyenneté suivi dans le cadre du 2ème volet puisse être pris en compte comme preuve de l’intégration sociale.



La personne pourrait également attendre d’avoir 10 ans de séjour légal pour introduire une nouvelle demande de nationalité en prouvant par toute voie de droit sa participation à la communauté de vie d’accueil. Mais 10 ans, c’est long. D’autant plus lorsque la nationalité peut servir d’outil comme inclusion de la personne au sein de la société belge.




Par ailleurs, il y aura vraisemblablement des changements au niveau du parcours d’intégration en Région wallonne. En effet, un avant-projet de décret en la matière a récemment été adopté par le gouvernement wallon à l’initiative du ministre Prévot.14



Il n’est pas non plus exclu qu’une réforme du Code de la nationalité intervienne prochainement eu égard à l’accord de gouvernement.



Qu’en est-il en Région bilingue de Bruxelles-Capitale ? A l’heure actuelle, les candidats à la nationalité qui souhaiteraient prouver leur intégration sociale via un cours d’intégration n’ont pas d’autre choix que de se tourner vers le parcours d’intégration organisé par la Communauté flamande via BON.



En effet, les parcours d’intégration « alternatifs » organisés à Bruxelles par des ASBL francophones telles que le Ciré ou Convivial ne sont pas considérés comme des cours d’intégration au sens du Code de la nationalité belge.




Une raison principale l’explique : ils ne sont pas organisés par « l’autorité compétente », à savoir la COCOF, comme le requiert le Code. Le parcours d’accueil organisé par la COCOF est en phase de devenir suite à la désignation récente de deux bureaux d’accueil.



Il devrait donc voir le jour en 2016.15 Une fois en état de fonctionnement, encore faudrat-il déterminer si l’intégration sociale sera considérée comme prouvée par l’attestation délivrée au terme du premier volet du parcours d’accueil ou du second. Au législateur fédéral de définir le cours d’intégration au sens du Code de la nationalité belge!




La condition de l’intégration sociale qui peut être prouvée via une attestation de suivi d’un cours d’intégration pour obtenir la nationalité belge est un triste tableau du surréalisme à la belge. Ce surréalisme découle d’une imprécision de la loi sur la notion d’intégration sociale et plus précisément de « cours d’intégration ».




Comme on l’a vu, cette incertitude est propice à une grande insécurité juridique et à de nombreuses différences de traitement des candidats à la nationalité belge selon leur région de résidence.



Il serait souhaitable qu’à l’avenir, le législateur fédéral apporte des précisions quant à cette notion afin que les régions puissent mettre en place des modules qui répondent à la condition de cours d’intégration au sens du Code, de manière à ce que les candidats à la nationalité belge soient traités de manière égalitaire.



Sarah Ganty, membre du CA de l’ADDE asbl et doctorante en droit à l’ULB,


Caroline Apers, juriste ADDE asbl,
 
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