Pas assez de tunisiens dernière les cuisines dans les foyers...(c'est pas une blague)

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Le soleil vient à peine de se lever dans le quartier de Sahloul, à Sousse. Sana réveille doucement sa fille cadette qui peine à ouvrir les yeux. Walid, lui, est déjà dans la cuisine avec l’ainée. Un verre de lait et des cahiers sont éparpillés sur la table à manger. La petite n’a pas terminé d’apprendre sa poésie. Alors, Walid s’y colle. Parents de deux filles, ils sont ce qu’on pourrait appeler une « famille moderne ». Chez eux, le partage des tâches ne semble pas poser de problèmes, surtout lorsqu’il s’agit de s’occuper des enfants. Chaque matin, ils organisent la répartition des rôles : « aujourd’hui, je récupère Baya car je termine plus tôt, mais je vais t’envoyer les affaires scolaires qui manquent. Il faudra passer à la librairie, et quand tu rentreras pendant la pause déjeuner, n’oublie pas d’étendre le linge, je viens de lancer une machine ! », énumère Sana qui jette un coup d’œil au ciel : « pas au balcon le linge, j’ai l’impression qu’il va pleuvoir ». Walid débarrasse rapidement la table et fait la vaisselle, pendant que Sana finit de préparer les filles.

Il est 7h00, tout le monde dehors. Direction la crèche pour Baya et l’école pour la plus grande. « Dans la mesure où nous travaillons tout les deux, c’est logique que je sois autant impliqué que mon épouse. J’ai toujours changé les couches, emmené les enfants chez le pédiatre, donné le bain … », explique Walid sur le chemin de l’école. « Mais la nuit, c’est toujours moi qui me suis levée pour les filles, lorsqu’elles sont malades, c’est moi qui reste avec elles à la maison, c’est moi qui planifie les activités, les sorties », corrige Sana.

"Lorsqu’un homme fait quelques tâches, il a l’impression de faire autant que sa femme. Et en plus, il faut les applaudir. On est très loin du partage égalitaire des rôles."


Selon une étude d’Oxfam[1], les femmes tunisiennes consacrent 5 à 12 heures par jour aux tâches domestiques contre 45 minutes pour les hommes ! Sur le plan juridique, si le Code du statut personnel est venu supprimer le devoir d’obéissance de l’épouse, il n’a pas changé le statut de chef de famille de l’époux (article 23).

Pour la sociologue, Hédia Bahloul, les pères d’aujourd’hui sont des « pères en transitions » : « ils se situent entre le père autoritaire, figure du patriarcat, et le père moderne qui a définitivement intériorisé l’égalité entre les rôles », précise-t-elle. Nous sommes progressivement en train de passer de la toute-puissance paternelle à la coparentalité. Dans les structures familiales traditionnelles, le père incarne l’autorité à l’égard de sa progéniture et reste le principal pourvoyeur du foyer. La femme, elle, assure l’éducation des enfants et joue le rôle de gardienne du foyer. Avec l’accès des femmes à la vie active et le déclin de la famille élargie, ce modèle a été profondément remis en cause et l’implication du père s’est, de fait, imposée. Mais pour Hédia Bahloul, « il s’agit d’un aménagement et non d’un changement de culture ».
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En effet, les femmes tunisiennes représentent 30% de la population active. Sans doute plus si les femmes qui travaillent dans l’économie informelle étaient comptabilisées. L’implication du père ne serait donc qu’une concession accordée par ce dernier pour que sa femme puisse travailler et participer aux dépenses du foyer ? « Si l’homme est davantage présent, en déposant les enfants à l’école par exemple, il évitera certaines tâches qui toucheraient sa masculinité, car il reste, même inconsciemment, influencé par le schéma patriarcal », observe Hédia Bahloul. « Il faut une révolution culturelle des mentalités pour passer du père en transition, au père moderne », affirme-t-elle. Car souvent, c’est la dimension économique qui détermine le rôle du père.
 
Dernière édition:
En témoigne l’expérience de Youssef, 32 ans, devenu père au foyer, il y a quelques années. « Ma femme a repris le travail quand notre fils avait 6 mois. Au même moment, je perdais le mien », raconte-t-il. « C’était l’hiver, et plutôt que de mettre notre fils dans un jardin d’enfant, j’ai préféré m’en occuper et chercher du travail à côté », poursuit-il. « Je ne pensais pas que j’allais rester avec lui jusqu’à ses 3 ans. J’ai tout fait : changer les couches, préparer les repas, les biberons, je l’emmenais avec moi lorsque je sortais voir des amis, c’est même moi qui lui ai appris à passer au pot, ma femme n’en revenait pas ! », se souvient-il. Pour Youssef, il devenait de plus en plus inconcevable de quitter son fils pour travailler. Il savait qu’il gagnerait moins que sa femme, alors pourquoi ne pas inverser les rôles ? « Jamais je n’aurai imaginé qu’être père pouvait être une source d’épanouissement. J’ai vécu sa première rentrée à l’école comme un déchirement ». Pourtant, il a fallu se battre contre les préjugés, envers sa femme, mais aussi sa famille et la société en générale. « Pour eux, un homme n’a rien à faire à la maison à s’occuper de son fils. On m’a collé l’étiquette du mari fainéant qui ne veut pas travailler », regrette-t-il. En effet, nombreux sont ceux qui nourrissent l’idée selon laquelle il y aurait des tâches réservées à la mère. « Lorsque j’emmène les enfants chez le pédiatre, c’est drôle de voir la réaction des mères, elles vont être particulièrement attentionnées avec ma fille comme si je ne pouvais pas, seul, m’en occuper », remarque Walid. Mêmes observations chez Youssef :

"Lorsqu’un homme fait quelques tâches, il a l’impression de faire autant que sa femme. Et en plus, il faut les applaudir. On est très loin du partage égalitaire des rôles."

Selon une étude d’Oxfam[1], les femmes tunisiennes consacrent 5 à 12 heures par jour aux tâches domestiques contre 45 minutes pour les hommes ! Sur le plan juridique, si le Code du statut personnel est venu supprimer le devoir d’obéissance de l’épouse, il n’a pas changé le statut de chef de famille de l’époux (article 23).
Pour la sociologue, Hédia Bahloul, les pères d’aujourd’hui sont des « pères en transitions » : « ils se situent entre le père autoritaire, figure du patriarcat, et le père moderne qui a définitivement intériorisé l’égalité entre les rôles », précise-t-elle. Nous sommes progressivement en train de passer de la toute-puissance paternelle à la coparentalité. Dans les structures familiales traditionnelles, le père incarne l’autorité à l’égard de sa progéniture et reste le principal pourvoyeur du foyer. La femme, elle, assure l’éducation des enfants et joue le rôle de gardienne du foyer. Avec l’accès des femmes à la vie active et le déclin de la famille élargie, ce modèle a été profondément remis en cause et l’implication du père s’est, de fait, imposée. Mais pour Hédia Bahloul, « il s’agit d’un aménagement et non d’un changement de culture ».
 

CONSIDÉRATIONS D’ORDRE ÉCONOMIQUES​

En effet, les femmes tunisiennes représentent 30% de la population active. Sans doute plus si les femmes qui travaillent dans l’économie informelle étaient comptabilisées. L’implication du père ne serait donc qu’une concession accordée par ce dernier pour que sa femme puisse travailler et participer aux dépenses du foyer ? « Si l’homme est davantage présent, en déposant les enfants à l’école par exemple, il évitera certaines tâches qui toucheraient sa masculinité, car il reste, même inconsciemment, influencé par le schéma patriarcal », observe Hédia Bahloul. « Il faut une révolution culturelle des mentalités pour passer du père en transition, au père moderne », affirme-t-elle. Car souvent, c’est la dimension économique qui détermine le rôle du père.

En témoigne l’expérience de Youssef, 32 ans, devenu père au foyer, il y a quelques années. « Ma femme a repris le travail quand notre fils avait 6 mois. Au même moment, je perdais le mien », raconte-t-il. « C’était l’hiver, et plutôt que de mettre notre fils dans un jardin d’enfant, j’ai préféré m’en occuper et chercher du travail à côté », poursuit-il. « Je ne pensais pas que j’allais rester avec lui jusqu’à ses 3 ans. J’ai tout fait : changer les couches, préparer les repas, les biberons, je l’emmenais avec moi lorsque je sortais voir des amis, c’est même moi qui lui ai appris à passer au pot, ma femme n’en revenait pas ! », se souvient-il. Pour Youssef, il devenait de plus en plus inconcevable de quitter son fils pour travailler. Il savait qu’il gagnerait moins que sa femme, alors pourquoi ne pas inverser les rôles ? « Jamais je n’aurai imaginé qu’être père pouvait être une source d’épanouissement. J’ai vécu sa première rentrée à l’école comme un déchirement ». Pourtant, il a fallu se battre contre les préjugés, envers sa femme, mais aussi sa famille et la société en générale. « Pour eux, un homme n’a rien à faire à la maison à s’occuper de son fils. On m’a collé l’étiquette du mari fainéant qui ne veut pas travailler », regrette-t-il. En effet, nombreux sont ceux qui nourrissent l’idée selon laquelle il y aurait des tâches réservées à la mère. « Lorsque j’emmène les enfants chez le pédiatre, c’est drôle de voir la réaction des mères, elles vont être particulièrement attentionnées avec ma fille comme si je ne pouvais pas, seul, m’en occuper », remarque Walid. Mêmes observations chez Youssef :

Lorsque ma femme a repris le travail et que je me suis retrouvé seul avec mon fils, mes sœurs, ma mère, ma belle-mère, les voisines, toutes se sont mobilisées pour m’aider ! Les femmes sont parfois les premières à perpétuer les inégalités.

L’ÉMERGENCE D’UN NOUVEAU PÈRE ?​

Ces jeunes pères annoncent t-ils l’avènement d’une génération de plus en plus engagée dans l’éducation des enfants ? Pas si sûr pour Hédia Bahloul, pour qui, là encore, « ce sont des considérations économiques et non culturelles qui ont amené, au départ, ce jeune père à rester avec son fils ». En effet, la responsabilité de la conciliation travail-famille repose encore largement sur les femmes. L’exemple de Youssef, qui s’occupe du foyer et dont la femme assure le revenu du ménage reste très inhabituel au sein des couples. Les schémas sont encore figés et le chemin vers une paternité plus présente est encore long. Les femmes restent plus contraintes par leur rôle de mère que les hommes ne le sont par celui de père. Le père « en transition », aussi impliqué soit-il, « ne sacrifiera pas ses ambitions professionnelles pour s’occuper des enfants, de même qu’il ne participera aux tâches ménagères qu’en fonction de son bon vouloir », ajoute la sociologue.

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Il aura fallu plusieurs décennies pour passer du « père traditionnel » au « père transitionnel ». Combien de temps faudra-t-il pour voir émerger le « père nouveau » ? Devant la crèche de Baya, les mamans s’affairent. C’est l’heure de rentrer à la maison ou d’enchaîner sur des activités extrascolaires. Les papas ? Nous en comptons deux. « Ils sont plus nombreux le matin », assure Sana. Sur le chemin du retour, plusieurs arrêts : la librairie, « finalement ce sera plus simple si c’est moi qui m’en occupe », le primeur, « il manque des légumes pour le repas de ce soir », et enfin, la boulangerie. Parfois, Sana se sent dépasser par les injonctions contradictoires d’une société en perpétuel mouvement. « Je ne sais plus si j’en demande trop ou pas assez à Walid ! ». Dans la cuisine, Sana enchaîne les tâches : vider les courses, lancer le repas du soir, et jouer avec la petite confortablement installée sur une chaise haute. Lorsque Walid sera rentré avec l’aînée, l’essentiel sera déjà fait.

A qui la faute ? Aux pères qui rechignent à s’impliquer ? Aux mères qui ne veulent pas se sentir dépossédées de certains rôles ? A une société structurellement inégalitaire ? En août 2024, le congé de paternité est passé de 3 jours à 7 jours. Une malheureuse semaine. Et pourtant, c’est le signe que la législation avance. Selon la Stratégie Nationale Multisectorielle de Développement de la Petite Enfance[2], les programmes d’éducation parentale doivent « renforcer le rôle du père dans le développement du petit enfant, l’instauration d’une culture familiale de partage des rôles entre les parents et la création d’une ambiance paisible et chaleureuse au sein de la famille, loin de toute violence ». Et d’ajouter : « il est temps d’entreprendre une approche plus globale ciblant l’ensemble des domaines de préparation aussi bien des mères que des pères et d’inclure les interventions portant sur le rôle des deux parents ». En attendant des initiatives plus concrètes de la part des pouvoirs publics, les tâches éducatives et domestiques restent l’apanage des femmes. Or, déboulonner la figure de « moula dar » implique de déconstruire les normes masculines. « Je ne sais pas si je peux faire plus que ce que je ne fais déjà », reconnait Walid. « Il faudra plusieurs générations pour se débarrasser de tous les stéréotypes ancrés en nous ». C’est peu dire : la sphère du masculin et celle du féminin restent obstinément étanche.

 
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