Fatima Ifriqi
Coupables !
Coupables d'être belles et oser descendre dans l'arène politique, cheveux au vent, armées de leur grâce et de leurs atours.
« Ils » les voudraient transparentes ou mieux, invisibles. « Ils » les rêveraient plus proches du petit peuple et plus sobres, prêtes à renoncer à toute féminité, à troquer l'institut de beauté contre le premier coiffeur pour hommes et à abandonner le collier de perles et les boucles d'oreilles. L'engagement politique, comme « ils » le prétendent, ne s'accommode ni de talons aiguilles, ni de rouge à lèvres.
« Ils », ce sont ces gardiens du temple qui ont décrété que la politique est une affaire de mâles. A les écouter, une militante doit impérativement s'enlaidir, sacrifier sa nature, se « masculiniser » et abandonner au vestiaire ses coiffures, en même temps que ses compétences, son intégrité et son respect pour les valeurs qui font la démocratie.
C'est la condition sine qua none pour être admise dans les salons politiques où tout s'achète et tout se vend, jusqu'à la dignité. Où tout se négocie et se marchande, jusqu'aux voix des électeurs, marchepied vers le pouvoir, son prestige et ses avantages. Alors seulement, elle sera libre d'enchaîner les meetings, de disserter sur les bienfaits de la démocratie, d'animer des conférences sur les vertus de la séparation des pouvoirs, de revendiquer la lutte contre la corruption.
« Ils » consentiraient toutefois que la grâce et la beauté féminine puissent entrer en politique, pour peu que nos belles laissent de côté, toutes velléités féministes. A la tribune, les beaux tailleurs pourraient avoir droit de cité exceptionnel, pour autant que prendre la parole ne signifierait pas pour la gente féminine, défier les moustachus de service, en dénonçant leurs travers, en leur faisant la leçon ou en affichant une volonté de s'émanciper de leur tutelle ancestrale. En un mot, la femme est autorisée à faire de la figuration, mais afficher sa volonté de liberté et d'indépendance, relève du crime de lèse-macho. Impensable !
On dit des femmes qu'elles sont fragiles comme le cristal et qu'elles sont si faciles à briser. Il faut dire qu'elles ont perdu tant de batailles et consommé tant de défaites, face à la tyrannie multiséculaire du mâle, qui n'en finit plus de brandir sa virilité, pour justifier sa dictature. Au lieu de les affronter sur le terrain des idées et du débat pacifique, « ils » préfèrent espionner leur vie amoureuse, traquer leurs antécédents coupables de chirurgie esthétique, ou guetter leurs fréquentations cosmétiques, forcément douteuses. Autant de sournoiseries destinées à dissuader celles qui, par malheur, auraient oublié de s'enlaidir, de manifester une quelconque opinion politique. Ainsi, sans combat ni cause à défendre, nul n'attentera plus à leur vie privée, ni ne menacera de livrer au grand jour les petits secrets de leur foyer.
Dès les premiers mois de son mandat de Chef de Gouvernement, et bien qu'il est clairement fait mention d'égalité, dans la Constitution, Abdelilah Benkirane n'avait pas manqué de s'illustrer et se répandre en propos machistes, faisant la démonstration de cette ignorance qui imprègne tant notre inconscient collectif. On se souvient, entre autres sorties du Chef du gouvernement, de sa réponse à une question du journaliste d' « Al Jazeera », déclinée avec la proverbiale et déplorable spontanéité qui est la sienne :
«J'ai pour mission la gestion des affaires de l'Etat, et non pas un quelconque crépage de chignons, dans les bains publics féminins ! ».
C'est encore de la chevelure, dont on dit sous nos latitudes, qu'elle est la moitié de la beauté d'une femme, dont il sera question, quelques mois plus tard, dans l'éditorial d'un quotidien de gauche lorsqu'il s'agira de donner la réplique à une opinion exprimée par Nabila Mounib, Leader du Parti Socialiste Unifié (PSU).
Réplique choquante, pour une publication, dont les pionniers firent tant et tant pour la cause féminine et le droit des femmes. Un éditorial qui se voulait humoristique et qui se fit ignominieux et insultant à évoquer une supposée propension de Nabila Mounib, à baigner dans « l'art de la coiffure, au point de proposer aux partis politiques des séances d'essai de différentes coiffures ».
Au même chapitre des infamies, ce cheikh salafiste de sinistre réputation, connu pour son obséquiosité vis-à-vis de la monarchie et qui n'avait trouvé meilleur argutie pour exprimer son rejet des manifestations contre la grâce royale d'un pédophile espagnol, que de traiter les honnêtes gens qui manifestaient de « prostituées », comme si la calomnie et la grossièreté devaient fatalement se nourrir d'un parfum de scandale féminin.
Piètres lapsus qui trahissent notre misogynie et notre ignorance sacrée.
Pour nos pitoyables leaders politiques, qui s'éprouvent plus héroïques les uns que les autres, la meilleure façon de conforter leur supposée virilité politique est de s'en prendre aux femmes, improvisées victimes expiatoires si commodes.
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