Pour comprendre ce qui se passe avec l'Euro...

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Jacques Sapir nous livre le troisième volet de son article sur la fin de l'euro, extrait de son nouveau livre qui paraîtra courant novembre. Selon lui, la crise de l’Euro résulte de trois crises combinées, qu'il nous détaille aujourd'hui.
La crise de l’Euro ne se limite pas à la crise des dettes souveraines en Europe, même si elle l’englobe. Par crise de l’Euro, il faut entendre en fait trois crises qui se conjuguent et sont désormais intimement liées.
Il y a tout d’abord l’étranglement de certaines économies d’Europe par le montant des dettes tant publiques que privées. La monnaie unique est un vecteur de cette montée de la dette, car elle impose aux pays de se financer sur les marchés financiers. Les institutions de la monnaie unique, du Traité de Maastricht au Traité de Lisbonne, interdisent en effet aux États de recourir soit à des avances de leurs Banques Centrales aux Trésors Publics, soit d’imposer aux banques l’achat de titres de dette en proportion de leur actif (1). Les marchés financiers deviennent alors la seule source de financement possible. Dès lors, ils sanctionnent lourdement tant le montant des dettes que les faibles perspectives de croissance. Mais, le rôle de la monnaie unique dans cette montée des dettes dans certains pays ne se limite pas à cette dimension institutionnelle. La monnaie unique impose aussi un taux de change unique vis-à-vis des autres monnaies pour tous les pays appartenant à la zone Euro. Ce taux engendre une dégradation inexorable de la compétitivité pour de nombreux pays, les conduisant soit à accepter une activité économique réduite soit à soutenir cette dernière. Et pour cela, bien entendu, ils doivent procéder à un déficit budgétaire plus ou moins important, les conduisant à aggraver leur endettement.
Ceci a concerné la Grèce, mais aussi le Portugal, l’Irlande, l’Italie et la France. La crise de la dette des États a concentré l’attention depuis la fin du printemps 2010 en particulier dans le cas de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal. Cette crise a mis en évidence l’incapacité des autorités politiques à réagir à temps et de manière efficace. C’est ce que l’on appelle la crise de la gouvernance dans la zone Euro. Les autorités, qu’il s’agisse des gouvernements ou de la Banque Centrale Européenne, se sont révélées incapables de gérer des situations de crise pourtant aisément prévisibles. Elles se sont révélées dépassées tant pas les événements que par une spéculation qu’elles n’ont nullement cherchée à décourager autrement qu’en paroles.
 
Vient ensuite une seconde crise qui est quant à elle structurelle. Elle résulte des effets de la monnaie unique sur la dynamique de croissance. Depuis l’introduction de l’Euro, Euro d’abord scriptural puis à partir de 2002 Euro fiduciaire, la croissance des pays de la zone Euro a été régulièrement inférieure à celle des autres pays développés. La zone Euro est même en retard par rapport aux pays d’Europe qui n’en font pas partie, comme la Suède, la Suisse et la Norvège. Cela est dû aux taux d’intérêts imposés par la Banque Centrale Européenne (BCE) mais aussi à la surévaluation générale de l’Euro que nous connaissons depuis 2002. Ici encore certaines économies ont plus été touchées que d’autres, et c’est le cas au premier chef de l’Italie, mais aussi de l’Espagne, du Portugal et, dans une mesure non négligeable, de la France. Cependant, même dans le cas de l’Allemagne, dont on donne en exemple la
« rigueur » et le montant des excédents commerciaux, on constate que la croissance à été particulièrement faible depuis l’introduction de l’Euro. Si le chômage n’a pas explosé dans ce pays, c’est du fait de la dynamique démographique qu’il connaît.
Or, la question de la croissance et du chômage occupe une place centrale dans un contexte économique marqué par la crise économique et financière de 2007-2008, et tout particulièrement pour un pays qui, comme la France, a une dynamique démographique favorable. En fait, on peut montrer que ce problème revient à celui de l’hétérogénéité initiale des économies que les institutions mises en place par le Traité de Maastricht ne permettaient pas de traiter en profondeur. Dès lors, loin de produire une quelconque convergence, la zone Euro a organisé une divergence massive des économies, et de la structure de leurs appareils productifs. C’est aussi le refus de voir ce problème que nous payons aujourd’hui.


La troisième crise est celle des institutions qui encadrent la monnaie unique. On affecte aujourd’hui de découvrir que l’on a créé une monnaie sans règles pour unifier au préalable les politiques budgétaires des États qui sont membres de la zone, les politiques économiques, et plus généralement les réglementations bancaires. En un mot, que la monnaie commune implique un État fédéral. D’après les discours que l’on entend actuellement, c’est à un manque de gouvernance que l’on doit cette crise. Mais, en réalité, les conditions de la constitution de cette gouvernance globale à l’échelle européenne n’existaient et n’existent pas. Il n’était pas possible de réaliser une telle unification des politiques sans établir de puissants mécanismes de transferts entre ceux-ci. Or, ceci fut refusé par les dirigeants politiques et prohibé dans les différents traités dont l’Europe se dota. On découvre ici que l’on ne passe pas impunément un coup de rabot fédéraliste sur cinq siècles d’Histoire ! Cette question de la gouvernance illustre bien comment les dirigeants des différents pays ont été victimes de l’idéologie européiste et du mythe des « Etats-Unis d’Europe ».
 
Ces trois crises aujourd’hui se télescopent et rendent insoluble la crise immédiate qui se manifeste en Grèce, au Portugal, en Irlande et bientôt en Espagne et en Italie. En réalité, si ces pays se sont endettés, et si on les a laissé faire, c’est en raison des deux autres crises. La crise est donc globale et générale, ce qui rend sa solution au mieux extrêmement coûteuse et dans les faits probablement impossible.
L’existence de ces trois crises était connue depuis longtemps et leurs effets manifestes depuis l’été 2009. Mais, il a fallu que la crise Grecque prenne un tour réellement dramatique, que les Grecs descendent dans la rue en masse mais aussi les Espagnols et les Portugais, pour que l’on commence à débattre d’une crise de l’Euro. Il ne fait aucun doute désormais que l’Euro, par le biais des plans d’austérité qu’il nécessite, est un facteur général de régression sociale pour tous les pays concernés. Le risque est donc qu’aujourd’hui l’Euro, dans sa forme actuelle, rende l’Europe odieuse et discrédite durablement le principe d’une coordination monétaire.

(1) En France, ceci fut interdit par une loi votée en 1973. Mais ce qu’une loi a fait, une autre peut la défaire. Il faut rappeler ici que les avances au Trésor Public ou les « planchers obligatoires de la dette publique » dans les bilans des banques avaient été largement pratiqués après-guerre et avaient fourni au pays le financement à faible coût qui lui avait permis de se reconstruire et de se développer.

Retrouvez les deux premiers volets de l'analyse de la crise de l'Euro, par Jacques Sapir :
Pour Sapir, nous sommes près de la fin de l'Euro (1)
Pour Sapir, nous sommes près de la fin de l'Euro (2)
http://www.marianne2.fr/Pour-Sapir-nous-sommes-pres-de-la-fin-de-l-Euro-3_a210581.html
 
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